un deuxième chapitre

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Chapitre 2


On s'est fixée une bonne dizaine de minutes. C'est elle qui décide de faire le premier pas en m'envoyant un petit sourire implacable.

« Regarde Neville, l'inconnue ne me sourit même pas en retour. » Remarqua-t-elle à haute voix alors que le garçon s'allumait une clope.

Je les ai regardés un à un avant de soupirer. Deux inconnus et une fugueuse au bord d'une route avec des champs autour, rien de très redondant. La blonde aux « curly hair » s'est approchée de moi et m'a tendu sa petite main à la peau laiteuse.

Je ne l'ai pas tout de suite serrée, légèrement étonnée par ce geste. Puis, après une longue minute de réflexion, j'ai tendu la mienne.

« Olivia Sylvani, enchantée. Excuse-nous pour avoir un peu gâché ton voyage. L'autre derrière c'est mon demi-frère, Neville Morel. Ne lui parle pas trop, ça t'évitera de dépenser de la salive, il ne parle que lorsqu'il s'y sent obligé. Lance-t-elle en serrant vigoureusement ma main, comme un pacte de connaissances.

J'ai regardé dans la direction du fameux gars de dos – qui a maintenant un nom – et j'ai trouvé ça bête qu'un gars aussi canon puisse avoir l'air aussi chiant.

- Reina. Je ne peux pas trop te donner mon nom de famille vu que j'suis en pleine fuite mais, enchantée. Me présenté-je avec un air las.

Ses yeux s'écarquillent d'étonnement.

- Trop cool une fugue, je croyais que ça n'arrivait que dans les films ! T'as pris le car pour aller dans l'autre ville de ploucs ? Interroge-t-elle excitée.

J'acquiesce et laisse ma main re-traîner dans la poche de mon sweat. Elle ne me laisse pas le temps de répondre :

- Mon frangin et moi, on va à l'enterrement de notre père, c'est glauque je sais mais on le vit assez bien. Explique Olivia avec un demi-sourire.

Ses paroles me laissent sans voix. « Oh » est la seule chose que j'ose prononcer. La gêne fait place à une désolation quasi-ridicule.

- J'aurais bien voulu te dire « toutes mes condoléances » ou « je suis désolée » mais ce sont des phrases vraiment merdiques à bannir. Tenté-je en faisant une grimace.

Son petit rire emplit l'espace et le vent glacial qui souffle ne ternit pas son amusement.

- J'ai encore mieux. « Je partage ta peine. » On m'a dit ça la dernière fois, j'ai assurément ri à sa face. Réplique-t-elle joyeuse.

J'aurais bien voulu répondre mais au même moment, le garçon a tapoté le crâne de sa sœur.

- Depuis quand les inconnus parlent de leurs vies privées comme si de rien n'était. Maintenant, tais-toi, faut qu'on marche jusqu'au prochain village, à cause de toi on va devoir faire du stop. Gronde-t-il en dévisageant sa sœur.

Olivia a une voix aiguë, mignonne, presqu'à croquer. Tandis que la fameux Neville a l'air d'être sorti tout droit de sa mue, le grave pénétrant chaque son qu'il émet. Elle s'est relevée en me faisant signe de me relever également.

- Reina, je t'invite à l'enterrement. Annonce-t-elle sûre d'elle.

Neville la foudroie du regard et ma réaction reste particulièrement cocasse, je me tapote les deux joues en soupirant.

- Je ne suis pas sûre que ce soit possible et c'est pas que je ne veux pas mais ce sera la première fois que je m'incrusterai à un simple enterrement où tout me sera inconnu. Me justifié-je.

Je dépasse la blonde d'une bonne tête et me demande comment elle le vit de devoir regarder son frère le cou totalement débloqué. Neville est vraiment trop grand si on les compare.

- Au moins, toi, t'es pas débile comme elle, allez Olivia on bouge. Ordonne le brun en poussant légèrement sa sœur vers l'avant.

Elle me salue, sidérée et marche lentement à ses côtés. Une discussion a l'air de se transformer en dispute. Olivia revient en flèche, joint entre les doigts.

- Je suis garante de l'accident du car, je suis obligée de t'avoir près de moi pour être redevable au moins une fois. En plus, j'ai fait exprès de brûler le siège, c'était vraiment drôle à faire. Rappelle-t-elle en me fixant les yeux brillants.

Je n'ai rien dit. La blonde est une fille beaucoup trop sûre d'elle pour que je la contredise. De toute façon, je dois aller dans la même direction.

- Par contre hors de question que j'aille à l'enterrement. Murmuré-je à son oreille.

Elle rit.

- C'était juste une excuse pour que tu viennes avec moi. Reina sans nom de famille, je suis sûre qu'on peut devenir de très bonnes amies si Neville ne nous séparerait point. Assure-t-elle en faisant un clin d'œil à son demi-frère.

Celui-ci reprend sa marche et écrase sa cigarette. Je ne peux m'empêcher de l'envier avec sa doudoune chaude. Je gèle.

On fait toujours des rencontres lors d'une fuite, à ma 3ème, j'avais fait la connaissance d'un marchand de pommes agréable qui voulait bien me donner quelques fruits gratis. Olivia restait bien différente des autres personnes croisées en cours de route.

C'est peut-être l'aura amical qui plane autour de nous qui me fait croire ça, ou tout simplement parce que j'ai l'impression qu'avec elle, nous sommes sur la même longueur d'onde.

J'ai regardé mon portable un instant et ai remarqué la petite barre de réseau qui s'était ajoutée. Il faut seulement trois secondes pour que je reçoive tous les messages de ma famille, de Iris mon ex-meilleure-amie et Tristan.

Lorsqu'on fuit, mieux vaut ne pas penser à ses anciennes histoires amoureuses de pacotilles. Tristan n'est pas qu'un ex après tout, c'est aussi mon seul meilleur ami. Je n'ai pas vraiment pensé à lui cette fois-ci tandis qu'à la 4ème, il prenait toute sa place dans mon esprit comme une encre qui s'étale.

« Iris m'a dit que t'avais disparu une nouvelle fois, si tu as besoin de moi, appelle-moi. »

Son message me tourmente le cœur.

Tristan.

Tristan.

Tristan.

Notre rupture m'affecte toujours énormément. Et le fait qu'il sorte maintenant avec Iris m'a beaucoup poussé à fuguer une nouvelle fois. Plus tard, si j'ai des gosses, je leur dirais que c'était une histoire malheureuse où la fille se faisait larguer par son copain pour la meilleure amie. Cependant, la vraie version ne ressemble pas du tout à cela. Peut-être que je devrais la rectifier comme quoi c'était l'histoire d'une fille pas du tout amoureuse de son copain qui lui avait brisé le cœur en lui disant qu'elle ne l'aimait pas. C'est pourquoi il s'était réfugié dans les bras de la meilleure amie.

Cette version rendra la fille plus peste tandis que la première attisera la compassion et une pitié que je ne mériterai pas.

Je suis encore perdue dans mes pensées lorsqu'une bande de scouts traversent la route et qu'un autocar vient les chercher.

Neville s'approche d'Olivia et la menace de lui passer un savon si elle gâche l'opportunité qu'il va créer. Il revient quelques minutes auprès, l'air moins tendu.

- On a trois places gratuites pour le prochain village. Expose-t-il en prenant le joint d'Olivia et en le jetant par terre.

Oli' – si je me permets de raccourcir son prénom vu ma flemme – rouspète. Je les suis sans rien dire avant d'atteindre les places du milieu.

Le début du trajet se passe dans une ambiance agréable, je discute tranquillement avec Olivia. Les enfants nous offrent même des cookies. Malgré tout, cela ne dure pas. Un raz-de-marée de coups de bâtons me tombent sur la tête. Les gosses me frappent comme si j'étais leur tambour à petit prix. Maudits scouts à cookie.

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