un dernier chapitre

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Chapitre 23

Je suis née à 4 heures 03 du matin. C'est une heure tardive que j'apprécie incroyablement. Le matin de chaque 3 janvier, je peux me lever en ayant l'impression d'avoir bel et bien l'âge que je vais fêter le jour-même. Pendant dix-sept ans j'ai fêté le 3 janvier avec ma mère, mon frère et un beau-père absent autour de la table sans gâteau. Il y avait bien une part de tarte avec une petite bougie plantée dessus. Ça m'allait, j'avais l'impression d'être le centre du monde une fois par an.

Je n'ai jamais fêté mon anniversaire comme la fête grandiose avec des ballons et confettis partout. On m'a déjà offert des cadeaux. Tous les 4 janviers, un jour après la date officielle, ma mère m'offrait des bons cadeaux chez de grandes marques que mon frère me piquait pour payer les extravagances de sa copine.

Ce matin, en me réveillant, j'ai 18 ans.

Je suis dans mon lit, fatiguée et seule dans cette chambre de pension. J'ouvre mes volets et tombe sur un temps nuageux. J'espère qu'il va pleuvoir à un moment de la journée, que je puisse profiter des fines gouttelettes que j'aime tant.

C'est un jour comme les autres où je me trimballe en short et en t-shirt oversize alors que sans le chauffage déréglé, je serai en train de me transformer en glaçon. Vêtue de ma tenue habituelle – combo sweat et jean mom –, je me coiffe. Des nœuds partout entre les cheveux, glorieux. Mon peigne est à la guerre. Je passe à ma brosse, sans résultat. J'abandonne cette fois-ci, au moins, je n'ai pas les cheveux gras.

Les cours reprennent d'ici le début de la semaine prochaine. Je n'ai pas du tout hâte. Ces deux derniers jours ont été rythmés par les différentes escapades tardives dans la chambre d'Olivia où on a profité du manque de surveillant pour nous faire un marathon Harry Potter. Elle clame toujours que les films sont beaucoup moins bien que les livres, ce qui est compréhensible et vraie. Mais on n'a pas bronché quand Voldemort est apparu à l'écran et Oli' a même sorti une baguette collector de sous son lit. « Je l'ai achetée à l'expo Harry Potter l'année dernière à Paris, très sympa. » Finalement, la nuit dernière, j'ai fini par monter dans ma chambre à 3 heures et demi du mat', trop fatiguée par les séances de visionnage.

-       Je dois aller à la poste demain matin, on remet ça à plus tard ? A-t-elle demandé roulée en boule dans son plaid.

J'ai dû remonter les escaliers dans un silence complet et retenir ma respiration pour ne pas me faire cramer. Arrivée dans ma chambre, j'avais sûrement battu le record mondial d'apnée.

Depuis le nouvel an, j'ai l'impression que tout va mieux.

Même si ce n'est que de surface et qu'aucun de mes problèmes na été réglé, quelque chose me pousse à sourire plus souvent qu'en fin de décembre. Même Olivia semble reprendre de la couleur la nuit, elle n'a plus besoin de mes mouchoirs ou de nos discussions lunatiques, juste un film pour passer le temps et ça va mieux. C'est rassurant.

Aujourd'hui, je ne me laisserai pas tenter par les pensées acerbes de mon cœur au sujet de papa. Aujourd'hui, je n'ai plus qu'à profiter. Peut-être que ce sera le calme avant la tempête. Peut-être que ce sera le dernier jour de repos avant l'apparition d'une longue agonie. Mais je m'en fiche parce que je suis de bonne humeur et qu'il faut que je passe une bonne journée le seul jour qui m'est consacré de l'année.

Il y a dix-huit ans, je suis née. C'est tellement con de dire ça comme ça, mais je prends clairement un coup de vieux. Je ne me sens pas pour autant prête à attaquer l'étape supérieure, le « monde adulte » et tout le tralala.

Je suis descendue dans la chambre d'Olivia. Mince, elle est sûrement à la poste. Je finis par me résoudre à prendre mon petit déjeuner pour pouvoir me brosser les dents juste après. Mon haleine témoigne d'un malaise constant.

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