un cinquième chapitre

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J'ai dormi durant les trois quarts du trajet. C'est seulement quand il a commencé à pleuvoir, au moment où les gouttes ont atterri dans mes cheveux par le biais de la fenêtre ouverte que j'ai daigné ouvrir mes paupières.

J'aime beaucoup la pluie. Non pas parce que je suis une dépressive de la vie – en fait si un peu – et que les gouttes me rappellent des larmes. Mais bien parce que depuis toute petite, j'ai toujours trouvé ça intriguant de voir s'abattre sur les petits êtres humains un cadeau de la nature : des gouttes de pluie qui trempent les sols, qui arrosent les champs et surtout qui créent des jolies flaques. À cinq piges, avec mes bottes en caoutchouc et la chanson du « il pleut, il mouille, c'est la fête à la grenouille » hurlée de toutes mes forces, je saccageais tout l'environ en provoquant avec mes sauts des tsunamis poisseux sur les passants. On me regardait archi mal mais j'avais mes bottes jaunes canaries et mon k-way rouge, donc tout allait pour le mieux de mon côté.

Avec presque treize en plus, je suis dorénavant adulatrice des conditions météo du genre. La pluie gâche les rayons de soleil que tout le monde affectionne, et ça c'est le jackpot. On manque de vitamines, les gens commencent à sentir mauvais à force de mettre des pschitt de déo et les gens dans la rue sortent leurs capuches et leurs parapluies. Et vraiment, les capuches, ce sont les époux légitimes de ma vie. Dans la rue, je ne suis plus seule à vouloir cacher ma touffe et ma vieille tronche sous un tissu bien couvert. Beaucoup sont en sweat et je ne suis plus obligée de mettre les vêtements chics et osés de femme florissante à l'âge de procréer que m'impose ma famille de dévergondés.

-       Tu pourrais fermer la fenêtre tout en haut Reina ? Ça m'éviterait de me lever. Demande Olivia en lisant tranquillement sur sa liseuse, une sucette dans la bouche.

Comment fait-elle ? Sérieusement, rien que de la voir lire me donne envie de vomir. Je ferme la fenêtre à contrecœur et colle mon front contre les gouttes apparentes de l'extérieur. C'est comme quand je prends l'avion, j'ai envie d'ouvrir le hublot et nager dans les couchers de soleil et ces fascinants amas de nuages quitte à mourir de froid dans le vide.

Puis Bam, le drame.

Un lac, juste devant moi, visible de la vitre sur ma gauche, à quelques mètres. J'ai perdu toute raison à cet instant, me suis largement dégagée de ma ceinture de sécurité. Je me suis précipitée vers l'autre côté des sièges, dans l'espoir d'admirer chaque détail du paysage. Olivia n'a pas fait attention à mon geste tandis que Neville m'a fixé dans les yeux. C'est embarrassant comme échange de contact, celui où il te souffle du regard que ce que tu viens de faire était totalement débile. Malgré tout, j'ai souri imperceptiblement en regardant la pluie clapoter sur l'eau, même avec un barrage de verre entre les ondes spirituelles de l'endroit et moi. C'est si beau.

Le car s'est arrêté sur le bord de la route et je me suis définitivement retournée vers le chauffeur en le bénissant presque de me laisser savourer, quelques instants, le tableau qui se façonne devant moi.

-       Bon, le gringalet m'a filé deux clopes pour que vous puissiez sortir si ça vous tente. Par contre 20 minutes pas plus, sinon je ne pourrai pas me justifier du retard accumulé. Annonce le conducteur tout devant, avec Neville juste à ses côtés.

Je suis sortie, le sweat à capuche bien arrangé et j'ai crié de joie. Le garçon bien plus grand que moi m'a suivie, les cheveux à l'air, prêt à se faire un petit shampooing.

Sur le petit ponton perdu entre le peu d'arbres qui couvrent l'espace, j'ai frissonné. Il fait vachement froid et mes converses laissent passer le peu d'eau des flaques jusqu'à mes chaussettes. Ce n'est pas fameux.

-       Excuse-moi pour avoir lu le carnet avec Oli'. Murmuré-je quelque peu embarrassée au brun, derrière moi, qui marche tranquillement les cheveux maintenant trempés.

Aucune réaction de sa part. Il a juste levé les yeux au ciel un quart de seconde avant de reprendre sa mine blasée du début de trajet.

-       Merci aussi. Lâché-je à bout de souffle.

Il m'a souri.

Neville m'a souri d'un sourire qui voulait dire « de rien, c'est normal », pas un sourire moqueur comme il aime faire à sa sœur, un sourire assez gentil pour que je vois la différence.

Ce n'est peut-être pas grand chose mais j'ai senti que ça avait une remarque derrière, quelque chose de bien plus profond qu'un simple sourire où on étire ses lèvres.

Il s'est arrêté pour prendre des photos avec son portable, l'objectif qui dépasse de sa manche. Et moi, j'ai admiré le son du désert des vagues, le mouvement incontrôlé des ellipses qui se créent dans l'eau. Et j'ai aussi souri, les larmes coulant sur mes joues.

Merde, je vais gâcher mon maquillage.

Ce n'est pas juste un lac où on pique-nique les dimanches sur la pelouse ou un lac où les pêcheurs s'amusent à vouloir comparer la taille de leurs poissons. C'est bien plus que tout ça, ça me dépasse presque. Ce lac, c'est une déesse marine grecque qui danse, ce lac, il est semblable à celui de la seule photo que j'aie de mon vrai père jeune, en train de lancer des galets dans l'eau.

Neville n'a pas parlé et est rentré avant moi dans le car. Puis lorsque j'ai entendu les cris au loin qui m'appelaient pour me prévenir qu'ils redémarraient, j'ai longé la rive et ai enlevé ma capuche.

J'ai traîné mes pieds jusqu'à des zones de galets, en ai pris trois résolument. Ensuite, je les ai lancés, une par une, en criant : « Un pour mon stylo à plume, un autre pour la mort et la dernière pour la vie. » avant de remonter jusqu'au car.

Ça m'a fait du bien.

Je devais avoir une drôle de tête, le maquillage fichu et les jambes flageolantes.

Olivia dormait à poing fermé. Je me suis assise un peu plus loin, derrière Neville et discrètement je l'ai regardé dessiner. Il m'a passé naturellement un écouteur par l'espace vide entre deux sièges. J'ai hoqueté de surprise et de chaleur.

Ses vagues bleutées et sa jolie chanson des années '70, tout m'inspirait l'encre de mes émois.











-       On est arrivé ! Hurle Olivia, son sac sur le dos, prête à descendre les marches.

De mon côté, j'essaye encore tant bien que mal d'enlever les dernières traces de maquillage de mon visage. Neville est déjà sorti quand la porte du car s'ouvre entièrement. Ce gars a tout le temps un geste d'avance sur les autres, c'est fou. Olivia la suit de près.

En sortant, j'ai bien cru que j'allais me ramasser. Avec maladresse, je me suis à peu près relevée et ai regardé autour de moi. Des pavés, des offices de tourisme autour de nous et ces rues remplies de jeunes cigarettes entre les lèvres ; il n'y a que cela.

Ça change du village.

-       Il est 19 heures, avec Neville, on va manger au bistrot de notre oncle, ça te tente ? Propose Oli' en me souriant.

Je la regarde avec une petite grimace. Je ne me vois vraiment pas m'incruster dans ce bistrot où tous les membres sont en deuil.

-       Fonce vers l'océan Reina. Poursuit Olivia en comprenant que je ne les suivrai pas.

Je l'ai serrée dans mes bras. Peut-être que je la reverrai un jour, même demain mais en tant que compagnon de voyage, elle a été une fille splendide pleine de bon sens et de jolis rires.

-       Neville, tu ne dis pas au revoir ou adieu ? Demande sa sœur les mains sur les hanches.

Le garçon laisse planer son regard vers moi, murmure un « salut » sourd et quitte la zone des offices de tourisme en premier.

Ça aurait pu vexer certains ce « salut » décalé. Pourtant je l'ai trouvé pas trop mal vu que je ne lui ai absolument rien dit.

Je suis partie vers l'océan en suivant les panneaux, en achetant un casse-croûte à une boulangerie presque fermée. Et assise sur le sable, en face de l'océan, j'ai dévoré mes croissants.

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