une troisième lettre

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une troisième lettre

Contenu : des pages de carnet arrachées


Première page :

« 04/11/16

Si je t'écris aujourd'hui, en plein milieu de la nuit, c'est que j'ai des choses à te transmettre et t'avouer. Je t'ai dit que je te laisserai du temps. Il est vrai que j'ai oublié de préciser que j'ai décidé de te laisser le plus de temps possible sans moi dans tes pattes : l'éternité.

Après tout, j'ai fait le choix de retenter de partir. C'est mon choix de faiblesse Reina, et je ne sais pas si c'est le bon. Tu ne veux plus de moi, je le sais bien. J'ai ainsi tout perdu, par ma faute en plus. Ne culpabilise pas, je ne t'en donne pas le droit.

Au fond, on se connaît sans se connaître Reina. Il a fallu trois jours pour qu'un lien se ficelle entre nous, une semaine pour que j'entame le premier pas. Une semaine de plus pour te briser le cœur. Et une dernière pour essayer de me racheter, sans succès.

Tu te dis que j'ai ma sœur, ma mère, des amis, une meilleure amie à mes côtés, pas vrai ? Alors pourquoi partir ?

Parce que je suis dépressif. On ne prend jamais la dépression au sérieux ici, dans la campagne loin de tout. On ne croit pas en ce trouble grave en général. La dernière fois j'en ai discuté avec une infirmière, un soir où j'étais aux urgences, elle m'a dit qu'il fallait que j'arrête de me persuader que j'étais dépressif alors que j'étais juste un petit veinard sans maladie. Je l'ai trouvée médiocre. Elle n'arrêtait pas de me comparer aux autres patients qu'elle avait et je l'ai trouvée encore plus répugnante.

On ne compare pas les maladies en général. Personne ne devrait le faire. Après ce soir-là, j'ai commencé à être hypocondriaque. La peur d'avoir une maladie grave m'a possédé un long moment. Chaque symptôme anormal me conduisait à retourner dans cet hôpital. J'ai délaissé la dépression un temps et j'ai pensé au suicide. Puis, je me suis rendu compte que ce n'était pas une maladie grave qui me foutait les jetons mais bien la mort causée par celle-ci.

C'est paradoxal d'avoir peur de la mort et de finir par en avoir tellement peur qu'on s'engouffre à l'intérieur.

Je ne sais pas ce qui s'est passé dans mon esprit pour que tout se torde ainsi. J'ai fait ma tentative de suicide, mon père est mort j'ai arrêté de vouloir vivre.

Reina, c'était ça la nuance. Vouloir arrêter de vivre, pas mourir. »


Deuxième page :

« 02/01/17

Reina, j'ai réussi.

Je m'en sors, pour de vrai. Début novembre, j'avais arrêté de lutter. Depuis décembre, je lutte à tout prix contre mes angoisses, la dépression, les mauvais moments de la vie.

La première page est le début de ma lettre de suicide. Elle n'est pas terminée et je ne la terminerai pas. Je te la donne parce qu'elle est pour toi.

Dedans, je raconte des choses faibles, tristes, terribles. Je te raconte ma vie avant les événements de cet automne. Et qu'elle est pénible à lire !

Finalement, je ne sais même plus quoi écrire, parce que je préfère tout te dire à l'oral, te dire comment j'ai merdé, comme je suis con, comment j'ai fait les choses de la mauvaise façon.

On s'est revu hier, et j'ai vu des mitaines un peu trop trouées dans ta poche. Tu les portes tout le temps quand il fait froid.

Au fait, je te dois des explications pour mon retard. Je suis allé à ma ville natal pour prendre la boîte de cadeau que je voulais que tu retrouves après ma mort. C'est tout bête un stylo à plume mais à chaque fois, avec toi, j'ai besoin de me rendre utile.

J'ai remarqué que ton stylo fuyait, j'ai voulu t'en offrir un neuf. Tes mitaines se détérioraient, j'ai voulu t'en racheter une autre paire. Ton sourire s'est fané et j'ai voulu que tu puisses trouver dans les miens un soupçon des tiens.

J'ai encore d'autres choses à te raconter :

La crise arriva avec l'overdose à l'océan, le soir de l'enterrement. J'étais paumé, seul, voué à l'échec, confus et apeuré. Le matin où tu m'as assuré que j'irai voir l'océan pour oublier mes soucis, j'ai compris. C'était tout simple comme mots, mais ce fut le déclic qui changea la donne. Le moment où j'ai commencé à te trouver tellement spéciale que je me suis mis à t'aimer.

Je suis blessant et je t'ai blessée cette nuit-là dans cette voiture. Pour tout t'avouer, j'aurais dû crever ce soir-là, j'en avais le besoin mais Douglas et moi avions un exposé à présenter le lendemain alors je suis resté.

Mes mots blessent. Je t'ai heurtée avec les miens. Tes mots, à toi, Reina, me soignent.

J'ai tout perdu ma reine. Même toi. Je crois que je te perds encore aujourd'hui.

Mais cette nuit-là, allongé dans tes bras, tes lèvres sur mon front et tes mains dans mes cheveux. J'ai compris que j'avais encore une chance minime de me rattraper.

Tout est énuméré dans un ordre tout sauf chronologique.

J'espère que tu as compris ce que je voulais te faire remarquer :

Oui, Reina, tu es l'espoir.

Tu es admirable, fantastique, adorable, magnifique. Tu es sensible, à l'écoute, forte et humaine. Tu es un tout. Tu es celle que j'aime, ne l'oublie pas.

On ne sait pas si la promesse tiendra. On ne sait pas si ça marchera.

Mais je vais mieux grâce à toi.

Excuse-moi une nouvelle fois,

Je te souhaite le meilleur des anniversaires,

Neville. »

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