un dix-neuvième chapitre

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Chapitre 19

Le soleil se lève et le vent est insolent. Il souffle si fort sur la plage que les grains de sable virevoltent vers les bâtiments. Je me suis assise un peu plus loin, sur la bordure, en essayant d'avoir une vue sur l'océan sans le sable me brouillant les pupilles.

Je suis arrivée à destination à trois heures du matin, les cheveux en vrac et le cœur battant incessamment. Depuis, la boîte est entre mes mains.

Elle n'est pas très grande, de la taille d'une très grande main. Il y a quelques rayures sur le côté et l'ouverture est légèrement abîmée.

Il ne fait pas très beau. Des nuages surplombent l'aurore et les rayons de soleil peinent à pointer leur nez. Mais le climat océanique est là et je me sens bien. Réellement.

Un cliquetis. La boîte s'ouvre.

J'attends le bon moment pour l'ouvrir complètement tout en tremblotant. C'est terrible comme sentiment. J'y arrive mais je redoute l'instant.

Puis je l'ouvre entièrement.

Un stylo plume ouvert avec une plume cassée.

Deux photos développées.
Un petit bloc-notes, une enveloppe remplie et un papier usé.

Et c'est tout.

-       C'est dingue.

Mes yeux brillent d'étonnement. Si tout cela appartient à papa, je sais d'où vient alors ma passion pour les rapports. C'est fou.

Je prends d'abord le stylo avec attention. Une fine couche de poussière l'enveloppe. Le bouchon a disparu et quelques lettres sont gravées sur l'objet. Trois lettres, N I B.

Je mets du temps à comprendre. Nib ? Mon niveau de langue en anglais me dirige vers l'hypothèse que c'est la traduction de « la plume du stylo ». Nib, ce mot sonne si bien et si simplement.

Mon cœur s'arrête de battre lorsque je parviens à discerner les visages sur les deux photos. Je reconnais ma mère, beaucoup plus jeune, beaucoup plus souriante et heureuse. Je reconnais mon père, tout aussi souriant. Son expression ressemble à celle de la dernière photo que j'ai de lui au lac. Je la sors pour les comparer. Oui c'est lui. Mon père aimait étonnamment sourire à l'objectif.

Sur la deuxième photo, le couple est encore dessus mais on voit une bague au doigt de maman. Ils sont fiancés ? mariés ? Derrière le cliché, est écrit avec une écriture fine et penchée : « tout juste mariés. Nib. »

Je cache mon bonheur. Des souvenirs de papa et maman. Papa signait avec le pseudonyme « nib ». Mon être s'apaise alors. Ils sont si beaux sur les deux photos.

Je m'attarde alors sur le bloc-notes. Petit, à carreaux et dont les pages ont jauni avec le temps. Absorbée par la couverture en cuir, j'ouvre le carnet, avidement.

« j'ai rencontré une fille. elle veut que je l'appelle rosa' parce qu'elle n'aime pas son prénom. on est assis à côté en classe. elle n'a jamais de gomme. Nib. »

Je feuillette les pages une à une.

« je me suis mariée avec cette fille. rosa a insisté pour que je me rase la barbe. rosa est belle à en crever. parfois, j'oublie à quel point je peux l'aimer. Nib. »

Sur la prochaine page, un dessin d'elle. Maman est représentée avec le stylo à plume.

« rosa et moi nous nous disputons rarement. pourtant hier, elle m'a parlé de divorce. Nib. »

Je me suis arrêtée, là et ai ressenti toute la peine de mon père. Sur une centaine de mots, il ne fait que glorifier son amour.

Le carnet s'arrête sur une dernière note à lui-même.

«  je vais avoir une fille. je vais être papa. rosa ne veut pas la garder. demain, il y aura un procès. après tout, j'ai vécu une belle histoire d'amour. Nib. »

Mes doigts tremblent lorsque je déplie la lettre. Les larmes remontent. Ce n'est pas la version que je connais. Loin de là.

La lettre. Je la lis les yeux brillants.

« ma tendre rosa,

ma fille est morte. Ça doit être vrai, j'ai juste entendu les paroles de mon frère qui me répétait que t'avais pris la foutue dernière pilule. ci-joint mon testament et quelques broutilles. 

je t'aime encore, c'est dur à croire et malgré ma schizophrénie, je t'aime encore. je sais que c'est dur pour toi. mais plus j'y pense, plus j'entends ces voix qui me disent que je t'aime encore et que j'aurais voulu être papa.

le problème c'est que je ne peux pas être papa. pas vrai rosa. tu m'as dit qu'entendre des voix ne pouvait pas faire de moi un bon papa. après tout, je ne sais pas si ma maladie est une hallucination ou mon amour un délire. j'aurais jamais dû fumer à ce point. tout ce cannabis qu'on fumait ensemble après les cours. j'aurais jamais dû commencé. ça ne servait à rien.

je sais que tu m'as beaucoup aimé. Je le sais parce que tu n'as pas voulu m'abandonner quand j'ai dit que j'avais peut-être cette foutue maladie. je t'en veux quand même rosaline. tu veux abandonner reina. tu l'as déjà abandonné, sans mon avis.

appelle-la reina. je veux que ma fille soit une reine. je veux qu'elle ne manque de rien dans la vie. je suis un gosse riche, elle aura ma fortune. elle est morte, je sais qu'elle est morte mais ça ne fait rien. elle est vivante quelque part, pour de vrai et je veux qu'elle s'appelle reina.

parce que reina aura beaucoup d'amour quoi qu'il en coûte.

même si elle est morte et que son papa meurt avec elle dans l'océan cette fois.

la première fois qu'on s'est vu, tu m'as demandé si j'avais une gomme pour toi. Ce jour-là, j'ai cru que l'espoir brillait en moi.

souffre, rosaline lyange et n'oublie jamais reina. Nib.»

J'ai regardé l'océan, ai coupé mon souffle, en apnée.

Mon papa était malade mais rêvait tout de même que je sois une reine.

Mon papa pensait que j'étais morte avant d'être née.

Quelqu'un lui a menti et il s'est suicidé.

Cet homme n'avait rien d'un faible. J'ai eu tort, depuis le départ.

Alors, j'ai oublié tout ce que j'ai toujours cru sur mon papa.

Les sanglots sont venus précipitamment et j'ai longuement pleuré en regardant l'océan, la lettre contre mon cœur.

J'ai ouvert le dernier papier usé.

« reina,

Noie

l'Imaginaire &

Brille d'amour. »

À cet instant, je me suis noyée dans des vagues. J'ai fermé la boîte bleue métallique et me suis allongée sur le sable.

J'ai longtemps cru en une version faussée de l'histoire, comme quoi les médias prouvaient que le scandale de ma naissance avait causé sa perte. Loin de là, c'était le scandale de ma mort.

Un gémissement douloureux me gonfle la gorge.

La rosée du matin atterrit sur mon corps et délicatement dans l'océan. Que j'aime la pluie.


Papa est mort pour moi.

Et, promis papa, je vais vivre pour toi.

NibWhere stories live. Discover now