Chapitre 4

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Quand Axel s'éveilla le lendemain, Itzal était déjà debout, en train de terminer d'ajuster son uniforme dans le grand miroir fixé sur l'armoire. Il s'étira, déployant ses ailes au maximum de leur envergure. Leur chambre était spacieuse.

— Bien dormi ?

Axel hocha la tête, tout en frottant ses yeux, puis bondit hors du lit. Il frissonna dans l'air, bien plus frais que sous la couette, et s'empressa d'enfiler son uniforme noir : pantalon, chemise, veste. Il n'avait même pas à faire la ligne de boutons ; les ailés enfilaient leurs vêtements comme des ponchos, laçant le devant et le derrière sur les côtés plutôt que devant. Enfin, il enfila ses bottes, tapant du pied pour les enfoncer correctement. Un rapide coup de peigne pour tenter de discipliner ses cheveux, et il s'inclina devant son mentor.

— Je suis prêt, Messager.

Pour le petit déjeuner, ils eurent droit à une corbeille de brioches. Axel resta paralysé devant le choix. Plus que des brioches, chacune représentait un animal, une fleur, ou un nuage. Le tout bien trop adorable pour qu'on ait envie d'y croquer. Dans des petits pots en céramiques, soigneusement peints, plusieurs confitures étaient assemblées autour d'un pot de beurre, comme pour former les pétales d'une fleur.

Itzal le poussa légèrement du coude.

— Mange, au lieu de regarder, tu vas en avoir besoin.

Axel sortit de son hébétude, s'empara d'une brioche fleur et croqua dedans avant de changer d'avis. Elle était moelleuse à souhait, avec un léger parfum d'orange. Un pur délice.

Son plaisir se dissipa pourtant quand les autres clients descendirent peu à peu. Les regards insistants, les chuchotements... Axel se raidit. Impossible de passer inaperçu, avec le violet qu'il arborait partout sur lui. Pire, le noir de son uniforme faisait ressortir la couleur. Hier soir, avec la pénombre, peu y avait prêté attention. Là, avec l'éclat du soleil matinal qui ressortait depuis les fenêtres...

— Tu as ta troisième Barrette depuis quinze jours, observa Itzal. Et je t'ai donné mon accord pour te rendre dans la Forêt de Jade choisir un Compagnon.

— Je sais, je sais...

— Tu en as largement les capacités. Qu'est-ce qui te retient ?

Axel soupira.

—Les autres... ils murmurent tous que mon Compagnon saura rivaliser avec un phénix. Ils s'attendent tous à ce que je me lie avec un animal légendaire.

— Et toi ? C'est ce que tu souhaites ?

— Non ! C'est un partenaire que je cherche. Pas un animal pour parader.

— Alors si tu sais ce que tu veux... pourquoi ne pas y aller ?

Axel joua avec les miettes sur la table, incertain.

— J'ai l'impression de... je ne sais pas. Les décevoir ? Ils s'attendent tellement à ça...

Le Messager fronça les sourcils.

— Tu seras bientôt Émissaire, Axel. Tu dois arrêter de chercher à leur faire plaisir. Nul autre que toi ne peut avancer sur le chemin que tu traces.

Le jeune Envoyé resta silencieux. Il appréciait son Messager et ses conseils pertinents, mais il avait aussi l'impression de se heurter à un mur. Tracer son chemin ? Ça paraissait si facile, dit comme ça. Itzal ne portait pas les attentes de camarades. Beaucoup s'étaient dit être son ami, juste pour se révéler être des profiteurs cherchant les faveurs du pouvoir. Depuis, Axel avait du mal à faire confiance. À quels avis se fier, quand il sentait que les compliments n'étaient là que pour marquer des points auprès de lui ? Itzal était certes un mentor, mais aussi l'ami de ses parents. Était-il aussi objectif qu'il le prétendait ? Un Massilien ne mentait pas, certes, mais Axel savait aussi qu'il existait de nombreux moyens de contourner adroitement la vérité. Un apprentissage indispensable pour côtoyer les autres peuples de la Fédération, qui eux mentaient avec une facilité déconcertante. À quoi servait l'honneur face à ces gens ?

Les réflexions moroses du jeune homme lui ayant coupé tout appétit, il se contenta d'attendre qu'Itzal termine son repas, laissant une brioche à peine entamée sur son assiette.

Quand il le suivit hors de l'auberge, Axel eut désagréablement conscience des regards curieux qui s'attardaient sur lui.

— Laisse, tu ne peux rien y faire, lui conseilla Itzal.

— Je ne suis pas certain que vous puissiez comprendre, marmonna Axel.

— Tu n'es pas le seul à avoir un physique qui sort de la norme. Mes ailes sont noires, et même si c'est naturel chez moi, c'est extrêmement rare. Seuls les Faucons Noirs, cette guilde d'assassins célèbre, maintes fois démantelée, arborent des ailes si noires. D'accord, ils utilisent de la poudre de charbon, et certes, la tenue sur les plumes est médiocre, mais j'ai reçu aussi mon lot de regards noirs. Tu n'es pas le seul, et tu dois apprendre à vivre avec.

Ce n'était pas la première fois qu'ils avaient cette conversation ; Axel se retint de lui faire remarquer que le noir restait bien plus discret que son violet. Certes, à côté des ailes orangées de sa sœur... il n'avait rien de flamboyant.

Rien que ses yeux violets le trahissaient comme un utilisateur du Feu. Les cheveux pouvaient être camouflés plus ou moins facilement ; il aurait pu les teindre, comme sa mère à une époque, ou se raser le crâne. Pour les ailes, par contre... impossible de les teindre. Sa seule solution serait de les camoufler sous une cape, ce qui restait inconfortable et empêchait tout décollage d'urgence.

Axel suivait son Messager en trainant des pieds. Il avait cru être en congé mais n'avait rien vu encore qui ressembla à des vacances. Surtout avec le sujet du Compagnon qui revenait sans cesse sur le tapis. Itzal rêvait-il d'être débarrassé de lui ?

De toute manière, ce n'était pas en ville qu'il allait trouver un Compagnon. À part les rats et quelques charognards, la plupart des animaux évitaient les lieux trop denses en humains. Il ne comprenait pas pourquoi Itzal l'avait conduit ici, sur une planète où l'art et l'esthétique étaient la norme. Quel rapport avec lui, avec le choix d'un Compagnon, ou avec ses Dons ?

Il s'aperçut qu'ils avaient gagné le quartier des fleuristes. Les effluves odorantes étaient partout ; des bouquets colorés côtoyaient des fleurs en brassées : tulipes aux corolles vives, hosta aux longs pédoncules, roses aux pétales corallins.

Des gypsophiles aériens s'associaient à des branchages pour donner corps à des assemblages à la taille démesurée. Devant la plupart des boutiques, une arche fleurie ornait l'entrée. Tout cet étalage de fleurs... c'était trop. Démesuré.

Qui donc pouvait avoir besoin d'autant de fleurs ?

— N'as-tu pas remarqué les fleurs dans notre chambre, à l'auberge ?

Axel réalisa qu'il avait formulé sa question à voix haute.

— Il y en a dans chaque pièce de la maison, reprit Itzal.

— Quel intérêt ? Je veux dire, c'est beau, ça sent bon... mais y'a-t-il vraiment besoin de... tout ça ?

Axel ponctua sa phrase d'un large geste du bras. Le Messager se contenta d'un sourire en secouant doucement la tête.

— Cela te parait peut-être futile, mais prendre soin de son intérieur, n'est-ce pas important en soit ?

Le jeune ailé croisa les bras.

— Ne faut-il pas se concentrer sur l'essentiel ? Les fleurs, c'est bien beau, ce n'est pas ça qui va nourrir les gens, ni les protéger contres des brigands.

—Les fleurs se mangent, mon jeune apprenti, lui rétorqua Itzal. Enfin, la plupart. D'autres soignent, et d'autres encore empoisonnent. Leur parfum éloigne aussi les indésirables, rats ou insectes. Contre une épée, je te l'accorde, elles sont peu efficaces. Ne les sous-estime pas pour autant, tu serais surpris.

Ils marchèrent en silence un instant, le plus jeune ruminant les paroles de son ainé. Rien n'était simple, et il devait arrêter de se fier aux apparences. Était-ce une leçon ? Il était encore Envoyé, après tout. Et un Mecer ne cessait jamais d'apprendre s'il souhaitait progresser.

C'est dans le quartier suivant, celui des peintres, qu'ils s'arrêtèrent.

Les Vents du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant