Chapitre 6

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Quand la porte se referma sur son Messager, Nicoleï ne put empêcher un frisson de glisser le long de son échine. Il s'était longuement interrogé sur le but de ce long voyage qu'Ishim l'avait obligé à entreprendre, et maintenant qu'il y était confronté, il aurait préféré mille fois continuer ses leçons d'escrime et de combat. Le Don du Vent ? Ce n'était pas un Don, c'était une malédiction. Et s'il avait assuré à son Messager que si si, il le maitrisait, il fallait se rendre à l'évidence : Ishim n'était pas tombé dans le piège. Il s'en souviendrait. Après tout, on ne manipulait pas si aisément un Messager.

Nicoleï coula un regard en coin à l'autre Envoyé. Axel. Avec son plumage violet, il ne passait pas inaperçu. Tout le monde savait qui il était, d'ailleurs. Le fils de la Souveraine Satia Travira, et de l'ancien Messager Lucas sey Garden, qui avait hérité de sa mère le redoutable Don du Feu. Était-il réellement doté de celui du Vent ? Nicoleï n'avait jamais entendu parler qu'on puisse maitriser deux éléments. C'était totalement illogique. N'avait-il pas assez de raisons d'être connu ?

Enfin. Il possédait peut-être les trois Barrettes des Envoyés, mais, il n'avait apparemment toujours pas eu l'autorisation d'aller en quête d'un Compagnon. Ou alors, il l'avait eue mais se montrait difficile. Certes, la légende voulait que le choix revienne au Compagnon, non au Mecer, mais quand on savait que ses parents étaient liés à des phénix ! Tous les Mecers s'attendaient à ce qu'Axel se lie avec une créature au minimum aussi extraordinaire.

En tout cas, Nicoleï était prêt à le regarder de haut, quand il s'avèrerait qu'Axel ne récupèrerait qu'une petite bestiole insignifiante. Lui, il hésitait encore entre un félin ou un rapace. Les félins étaient plus impressionnants, mais à part mettre la main sur l'une des rares panthères ailées, il leur était difficile de suivre leur Lié dans les airs. Les rapaces avaient forcément un gabarit plus petit, mais ils étaient capables de virevolter dans les airs. Et puis ça avait du panache, un rapace. Évidemment, un aigle serait bien plus imposant qu'un petit faucon. Après tout, les Émissaires sur lesquels on s'extasiait le plus avaient les Compagnons les plus exceptionnels possibles.

— Allez, venez par ici.

Nicoleï quitta ses pensées joyeuses et s'empressa d'emboiter le pas à Axel. Ils traversèrent l'atelier, prenant garde à ne pas toucher aux peintures exposées en train de sécher, les ailes resserrées sur leur dos. Une erreur serait si vite arrivée... autant faire bonne impression, surtout qu'ils ne savaient rien de ce maitre Kenog. Et lui obéir comme s'il était un Messager ? Ce n'était qu'un Niléen. Nicoleï ne comprenait toujours pas pourquoi ils avaient dû venir ici. Il y avait des Maitres du Vent sur Massilia, après tout. Un Niléen ne pouvait pas être meilleur qu'un Massilien. Impossible. Les Massiliens étaient les meilleurs, c'était un fait incontestable. Les autres peuples les trouvaient peut-être arrogants, mais ils étaient juste jaloux de ne pas pouvoir voler.

Le jardin, comparé à l'atelier, était étonnamment propre. Des murs faisaient office de clôture entre les maisons voisines. L'herbe était rase, encore verte pour ce début d'automne, couverte de feuilles. Le seul arbre du jardin avait viré à l'orange, et la saison l'avait déjà dépouillé de la moitié de ses feuilles.

— Asseyez-vous.

Le ton n'était pas particulièrement engageant, mais Axel et Nicoleï obtempérèrent. Immédiatement, Nicoleï perçut l'humidité au travers de son pantalon. Comme s'il avait besoin de ça.

— Dites-moi comment vous avez perçu votre élément la première fois. Toi, tu commences.

Soulagé, Nicoleï se sentit curieux de voir comment Axel allait s'en sortir. Il n'avait jamais effectué de mission avec lui, mais d'après les rumeurs glanées auprès de ses camarades, Axel s'en tirait toujours avec brio. Nul doute qu'ils allaient être régalés d'une anecdote croustillante.

Pourtant, Axel semblait loin d'être heureux d'être au centre de l'attention. Nerveux, il tira inconsciemment sur sa veste, alors qu'elle n'avait nul besoin d'être rajustée.

— C'était un accident, bredouilla Axel. J'ai... j'ai juste voulu aider à éteindre un incendie, comme j'en avais l'habitude, et...

Il frissonna.

— J'ai fait un petit geste de la main – comme ça – et les flammes presqu'éteintes ont bondi. Comme si on leur avait soufflé dessus violemment.

Axel déglutit, arracha distraitement quelques brins d'herbe.

— Ce n'était jamais arrivé auparavant. Jamais.

Kenog Neir n'avait pas bougé durant le récit du jeune homme, mais son regard s'était assombri.

— Je vois. Merci, Axel. Et toi, Nicoleï ?

Il se renfrogna. Évidemment, comparé à celui d'Axel, son récit serait bien moins... dramatique. Nicoleï s'éclaircit la gorge.

— Eh bien, j'étais à l'entrainement, avec d'autres Envoyés, et j'ai perdu mon duel, pour la troisième fois d'affilé. Ça m'avait trop énervé ! Surtout que d'habitude je gagne. Enfin. Du coup, j'ai eu un geste rageur avec mon bras, et une rafale de vent a plaqué tous les étudiants au sol.

Il n'ajouta pas s'être fait copieusement enguirlandé à la suite de cet incident ; cela ne les regardait pas, et n'avait techniquement pas de lien avec la découverte de son pouvoir.

Kanog hocha la tête.

— Plus classique. Comme vous l'avez donc remarqué, le Don est lié de façon plus ou moins consciente à vos émotions. Je ne suis pas quelqu'un de très théorique, alors... vous allez commencer par rester assis ici. En silence. Fermez les yeux, concentrez-vous sur votre centre intérieur.

La main du peintre vint se poser autour de son nombril, sur son ventre.

— Vous devez visualiser et isoler la source de votre pouvoir.

— Et ensuite ? s'enquit Axel.

— Ensuite ? Ensuite nous verrons. Il ne sert à rien de se précipiter.

Kenog se releva, épousseta son pantalon.

— J'ai du travail à avancer en attendant, donc je vous laisse à vos exercices. Je ne veux pas entendre un bruit, et croyez-moi... le Vent me le dira. Si vous prenez cet exercice à la légère, je le saurais, car vous serez incapable de réaliser le suivant. Ne me décevez pas.

Les Vents du DestinWhere stories live. Discover now