Chapitre 50

8 4 22
                                    

Nicoleï se réveilla avec un frisson. Le feu était mourant et il s'empressa de le nourrir de branchages avant qu'il ne s'éteigne. Il frictionna ses bras, leva les yeux vers les étoiles qui brillaient haut dans le ciel. Ils ne les reconnaissaient pas toutes, mais avait toujours trouvé le spectacle apaisant.

Il faisait si froid. Il avait pourtant mis deux vêtements de dessous sous sa chemise, et boutonné sa veste. Qu'importait, le vent trouvait toujours un interstice vers sa peau nue. S'il avait su qu'ils arriveraient sur Niléa en plein hiver...

Nicoleï savait qu'il payait ses erreurs de débutant. C'était sa faute, s'il se retrouvait dans cette situation. Il avait poussé Axel à suivre la piste de Solarys, sans jamais s'inquiéter des bases, comme le temps qu'ils affronteraient.

Il n'y avait pas encore de nuages, heureusement. Ils avaient suffisamment à faire sans y ajouter la neige. Encore un rappel de ses ailes inutiles avec leurs rémiges sectionnées...

Pour se réchauffer, Nicoleï fit les cent pas, tapant des pieds, levant les genoux. Il espérait ne pas réveiller Tabatha, mais il avait vraiment trop froid. Impossible de songer à se rendormir.

Bientôt, l'aurore pointa à travers le feuillage, une pâle lueur dorée qui montait de la vallée. Nicoleï observa le lever du soleil, oubliant quelques minutes le froid qui engourdissait ses membres.

Tabatha s'éveilla à son tour, cligna des yeux puis grommela en s'apercevant qu'il était déjà debout.

—Tu devrais dormir davantage, dit-elle en s'extirpant de ses couvertures.

Nicoleï haussa les épaules.

—J'avais froid. J'ai pensé qu'un peu d'exercice me réchaufferait. Puis, sur Massilia, on dit que seuls les morts se reposent.

Elle sourit, puis fronça les sourcils.

—Tu as les lèvres bleues. C'est normal chez les Niléens, mais chez vous autres, c'est un signe de grand froid. Prends la couverture.

Nicoleï protesta pour la forme avant de reconnaitre qu'il se sentait mieux ainsi, presqu'au chaud.

—Je ne suis pas équipé pour l'hiver, avoua-t-il.

—L'hiver se montre plus doux dans les plaines, là d'où je viens, dit Tabatha. Mais là, en montagne...

Elle ne dit pas ce qu'ils pensaient tous les deux : pour quelle raison Solarys s'obstinait-il à rester en altitude ?

—Je prépare l'infusion, dit-elle, en fouillant son sac à la recherche d'un récipient.

Le liquide chaud revigora Nicoleï, qui soupira tandis que l'agréable chaleur se diffusait dans son corps. Il avait répété la séquence d'exercices des Envoyés en attendant que l'eau bouille, satisfait de n'avoir oublié aucun mouvement. Il s'était appliqué, restait persuadé qu'Ishim aurait trouvé quelque chose à redire.

Le Messager lui manquait presque autant que ses parents. Son père était rarement à la maison, toujours occupé à voyager sous des prétextes quelconques. Des absences qui peinaient sa mère. Enfant, il avait détesté son père, qui ne s'occupait jamais de lui. Aujourd'hui, il ne se berçait plus d'illusions : il était enfant unique, chose rare chez les Massiliens, généralement adeptes des familles nombreuses. Et il s'était souvent demandé pourquoi ses parents restaient ensemble, s'ils ne s'aimaient pas. À moins qu'il ne s'agisse d'une demande de leurs Clans respectifs ? C'était aussi pour ça qu'il avait quitté la maison. Il ne supportait plus les jérémiades de sa mère sur les absences de son père. Sa mère s'accrochait à un rêve qu'elle était bien la seule à partager.

Au sein des Mecers, il avait trouvé nombre de camarades. Certains qu'il appréciait, d'autres qu'il détestait, comme Axel, avant qu'il n'apprenne à le connaitre. Ils étaient comme des frères et sœurs, dans la grande famille des Mecers.

Le Messager Ishim l'avait ensuite pris sous son aile, lui enseignant petit à petit les techniques des Mecers. Un adulte qui s'intéressait à lui, qui se préoccupait de son ressenti, qui cherchait à le rendre meilleur : des nouveautés auxquelles il n'était pas habitué. Et il y avait pris goût, préférant passer la plupart de ses congés à l'École des Mecers plutôt qu'au sein de sa famille divisée.

Observant Tabatha ranger le camp, il se demanda si elle avait une famille qui s'inquiétait pour elle. Elle était plus âgée que lui, ça c'était certain, peut-être même plus âgée qu'Axel. Avait-elle un mari, des enfants ?

Il ne savait rien d'elle.

Tabatha se tourna vers lui.

—Quelle direction ?

Mortifié, Nicoleï réalisa que, perdu dans ses pensées, il n'avait pas songé à retrouver la piste.

—Il faut que je me concentre, dit-il, en espérant qu'elle ne remarque pas ses joues rougies.

Il s'obligea à se reconcentrer quand ses pensées dérivèrent sur la teinte que prenaient les Niléens lorsqu'ils se sentaient embarrassés. Un bleu plus foncé, peut-être ?

Nicoleï ferma les yeux, expira doucement, puis se connecta aux Vents qui sommeillaient en lui. Il devait reconnaitre qu'il trouvait la procédure de plus en plus facile, et crut apercevoir le sourire d'Ishim, en train de lui expliquer la valeur de l'entrainement.

Il rouvrit les yeux, lança ses Vents dans l'immensité des cieux, comme un large filet, à la recherche d'un détail, d'un souffle de Vent, d'un déplacement... il plissa les paupières comme une légère vibration remontait jusqu'à lui, chercha davantage dans cette direction... l'intention, fugitive, lui échappa et il eut l'impression d'avoir refermé sa main sur du vent. Nicoleï jura. Presque !

Il repoussa le découragement, essaya une nouvelle fois. Axel maitrisait surtout le Feu, alors c'était des traces de chaleur qu'il devait rechercher.

Comme les Vents, le Feu se montrait volatile, joueur. Et cette odeur... Nicoleï renifla. Ses Vents lui avaient rapporté l'odeur de la cendre. Le Feu d'Axel. Le souffle court, il rappela ses Vents, tituba un instant.

—Nicoleï ? s'inquiéta aussitôt Tabatha.

Il accepta son bras, prit quelques instants pour se stabiliser.

—Ça va, maintenant, dit-il enfin. Merci.

Il braqua son regard vers la vallée, loin en dessous d'eux. La forêt des Cargues s'y étalait, immense.

—Ils sont descendus, annonça-t-il. Axel a brûlé... quelque chose.

—Il n'y a pas de village par ici, marmonna Tabatha en fronçant les sourcils. Pas de panache de fumée, pas de trouée dans la forêt... je te crois, hein, ajouta-t-elle précipitamment. N'empêche que c'est étrange.

Nicoleï acquiesça.

—Je suis d'accord. Après, c'était vraiment lointain. Mais je reconnaitrais l'odeur du bois brûlé n'importe où. Si seulement je pouvais...

Ses poings se serrèrent dans sa frustration, ses ailes s'ouvrirent, prêtes à le propulser vers les cieux. C'était difficile de se dire que s'il cédait à la tentation, il s'écraserait bêtement au sol, trois cents mètres plus bas.

La main de Tabatha se posa sur son bras.

—Nicoleï ?

Avec un soupir, il recula de plusieurs pas, s'éloigna du vide tentateur.

—Combien de temps pour que ça repousse ?

—Environ un mois, soupira-t-il. Il faudrait que je suive un régime alimentaire spécifique pour espérer gagner quelques jours.

Il testa les airs de quelques battements d'ailes.

—Peut-être que je ne m'écraserai pas. Mais ma portance est réduite, donc... voleter, oui. Sur de longues distances, impossible, je fatiguerai trop vite.

—À tester donc dans un cadre moins dangereux, observa Tabatha.

Nicoleï ne put s'empêcher d'éclater de rire.


Les Vents du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant