Chapitre 25

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Le Feu brûlait dans ses veines ; un écho de la fournaise en contrebas. De son point de vue, en hauteur, perché sur l'épaisse branche d'un hêtre, Axel ressentait toute l'intense chaleur de l'incendie. Une chaleur agréable, qui réchauffait les blessures de son âme.

De temps en temps, le fracas des écroulements prenait le pas sur le crépitement des flammes. Plusieurs maisons étaient réduites à l'état de gravats ; les autres ne tarderaient pas, il s'en assurerait au besoin.

Il aurait cru que les flammes purgeraient la douleur qui vibrait dans son cœur ; il s'apercevait qu'il n'en tirait nulle joie.

Seule l'amère satisfaction de régler ses comptes trouvait sa place en lui.

Axel se redressa. Il était temps de confronter Solarys.

Il s'élança dans les airs, les flammes jouant près de lui sans jamais l'atteindre. Il les contrôlait, et il ne les craignait pas. Le feu purifierait ce lieu maudit. Jamais plus personne n'aurait ainsi à souffrir.

Axel se posa sur le chemin de terre battue qui perçait la forêt. Les habitants s'étaient regroupés là, comme il l'avait prévu. Après tout, seule la maison de Solarys s'était embrasée, au départ. Les autres avaient suivi sans qu'il ne le décide vraiment, agissant par instinct, par volonté d'effacer toute trace de son séjour ici, comme ils avaient cru pouvoir effacer toute trace de son passé. Une erreur qu'ils payaient au prix fort.

Ils étaient peu nombreux, les larmes aux yeux, à regarder leurs demeures partir en fumée. Une vingtaine, tout au plus. Un peu à l'écart, Solarys affichait un air sombre. Il aperçut Axel, s'avança vers lui.

— C'est comme ça que tu nous remercies ? En nous détruisant ? Soit heureux qu'il n'y ait pas de victimes. Ce crime ne sera pas impuni !

Axel éclata de rire, et les flammes les plus proches bondirent, faisant sursauter Solarys et reculer les villageois.

— Te remercier, Solarys ? Dois-je te remercier d'avoir effacé ma mémoire ? De m'avoir manipulé ? Est-ce que tu te rends compte de l'absurdité de tes paroles, Solarys ?

Devant la fureur glacée du jeune ailé, Solarys blêmit.

— Nous t'avons sauvé ! Nous t'avons offert une nouvelle vie !

— Sans jamais demander mon consentement. Je n'avais pas besoin d'être sauvé.

— Alors que tu te posais tant de questions ? rétorqua Solarys, refusant de se laisser démonter. Tu étais en souffrance, tu refusais juste de le voir !

— Mais c'est cette souffrance qui faisait ce que j'étais. Qui m'aidait à progresser, même si mes choix se révélaient difficiles. Tu as décidé de choisir pour moi, Solarys. Ou tu t'en es convaincu.

— Et que fais-tu de Lucille ? Ton départ lui a brisé le cœur !

Un instant déstabilisé, Axel se reprit.

— Lucille a choisi de participer à cette folle entreprise. L'amour ne se base pas sur une vaste supercherie.

À sa surprise, Solarys éclata de rire.

— Je m'incline, Axel. Savoure ta vengeance, parce que nous reconstruirons, et nous verrons bien si nous obtiendrons ce que nous désirions !

Mû par l'inquiétude, Axel s'avança d'un pas dans sa direction.

— De quoi parles-tu, Solarys ?

Un rictus moqueur sur les lèvres, le guérisseur ajusta la besace qui pendait à sa ceinture.

— N'as-tu jamais rien remarqué d'étrange, Axel, tandis que tu vivais parmi nous ?

Malgré lui, le jeune ailé pinça les lèvres. Il avait la désagréable impression d'être manipulé une nouvelle fois.

Solarys désigna les villageois massés derrière lui.

— Il n'y a que des femmes, dans ce village. Que des jeunes femmes. Tu croyais être marié à Lucille, n'est-ce pas ? Mais tu les as toutes fréquentées. Il y aura bien au moins un enfant qui résultera de tes œuvres, non ? Un enfant avec ton redoutable pouvoir, à mon service.

Si Axel avait été en possession d'une épée, il aurait tué Solarys sur le champ. Les flammes bondirent, redoublèrent d'intensité en même temps que sa fureur.

Je vais le tuer.

Je ne suis pas certain que ça soit la bonne solution, intervint Telclet, soucieux.

Mais je ne peux pas le laisser s'en tirer à si bon compte !

— Axel ?

La voix familière le sortit de ses réflexions. Interdit, Axel vit arriver Nicoleï, accompagné par le Messager Ishim, le Messager Itzal, et plus important, son père. Bras croisés, le regard bleu-acier était interrogateur.

— Nous expliqueras-tu la situation ?

La voix était douce ; une douceur qui masquait à peine l'acier de son intonation – et son soulagement de le retrouver en vie.

— Il m'a manipulé, il m'a...

— Cela justifie-t-il de détruire un village entier, Axel ? coupa Lucas.

Mâchoires serrées, Axel lutta pour ne pas répondre. C'était injuste !

— Rappelle tes flammes.

Indigné, Axel chercha à protester, croisa le regard glacé de son père. Sa mère comme leur oncle leur avaient narré les exploits passés de Lucas, en son temps d'Émissaire puis de Messager. Jusque-là, il n'avait jamais vraiment compris ce que sa mère entendait par la froideur de son regard.

Maintenant, il savait.

Et il n'était pas certain d'apprécier.

C'était la première fois que son père lui apparaissait comme une menace. Et il comprit qu'il n'avait pas son père devant lui, mais que Lucas officiait en tant que chef des Veilleurs. Il ne lui ferait aucun cadeau, n'accepterait pas que son fils ne se plie pas à ses obligations.

L'honneur avant tout.

— Tout de suite.

Ravalant ses questions et sa colère, Axel attira les flammes à lui. L'incendie cessa aussitôt ; seules quelques fumerolles ça et là témoignaient du carnage qui avait eu lieu. Sa respiration hachée était le seul signe de l'énergie que l'effort lui avait demandé.

Mais la satisfaction de Solarys était insoutenable.

— Merci, Massiliens, d'être intervenu en notre faveur, énonça Solarys d'un ton mielleux. Ce jeune homme nous a menacés des pires exactions, en plus d'avoir détruit nos demeures sans aucune raison. J'exige un juste châtiment !

Axel bondit d'indignation.

— Quoi ? Tu oses...

— Ça suffit, Axel. Laisse-nous régler ça.

— Je refuse !

— La victime n'a pas à intervenir directement, continua Lucas. Et tu es une victime dans cette histoire.

— Non ! Je ne le laisserai pas s'en sortir à s'y bon compte !

Les flammes surgirent dans ses mains, et dans le regard de Solarys, la satisfaction laissa place à l'effroi.

Hors de question qu'il laisse cette ordure s'en tirer si facilement. Personne ne pouvait lui enlever ça. Personne. Pas même son père.

Il aurait d'ailleurs cru que son père s'interposerait. Mais non. Étrangement, il ne bougea pas. Était-il si sûr de lui au point de croire qu'Axel renoncerait ?

Une piqure chatouilla son cou.

Il résista à la tentation de frotter la peau ; il devait rester concentré.

Chose qui devenait difficile. Solarys paraissait se dédoubler. Les arbres aussi, d'ailleurs.

Axel tituba, se laissa tomber à genoux. Ses flammes disparurent. Il lutta contre l'inconscience qu'il sentait arriver.

Par Eraïm, qu'est-ce qui lui était arrivé ?

Je suis désolé, Axel, transmit Telclet. Je ne pouvais pas te laisser faire.

Les Vents du DestinWhere stories live. Discover now