Chapitre 20

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Ils étaient arrivés à Orein un peu avant midi, et Nicoleï avait conscience que leur groupe attirait tous les regards. Comment passer inaperçus, entre cinq félins aux côtés de quatre Massiliens ? Et l'uniforme blanc des Messagers était connu de tous, sur le sol de la Fédération.

Nicoleï était certain que tous se questionnaient sur la raison de leur présence ici. Les Mecers ne se déplaçaient jamais sans une raison précise. Et puis, si les ailes blanches n'avaient pas suffi, le phénix qui voletait au-dessus d'eux permettait d'identifier Lucas sey Garden, dont la réputation avait fait le tour des Douze Royaumes.

Le carillon tinta lorsqu'Itzal poussa la porte de l'atelier de Maitre Kenog. Nicoleï fut surpris qu'elle s'ouvre ; elle était fermée à clé lors de son dernier passage. Les lieux bruissaient d'activités : partout des peintres s'activaient, des pinceaux volaient, des toiles se coloraient.

L'un des étudiants s'essuya les mains sur son tablier, puis vint les saluer, légèrement anxieux.

— Bonjour, Massiliens. Que puis-je pour votre service ?

— Maitre Kenog est-il là ?

L'apprenti pâlit.

— Il... Il s'est absenté quelques jours, Messager.

— Où ?

— Nous ne savons pas, Messager.

Itzal s'était assombri.

— Vous ne savez pas ? Nous sommes venus il y a cinq jours. Nous lui avions confiés deux de nos élèves.

Visiblement mal à l'aise, l'apprenti déglutit.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, Messager.

Ishim et Itzal s'entreregardèrent, puis posèrent la main sur la poignée de leur épée.

— Tu en es certain ?

Nicoleï eut cru cela impossible, mais l'apprenti pâlit davantage.

— Je vous jure que c'est vrai ! Pitié, ne me tuez pas !

À leurs côtés, Lucas soupira.

— Inutile de le menacer, il n'en sait pas davantage. Fouillez les lieux. Nicoleï, vois si tu trouves un indice.

Il s'inclina.

— À vos ordres, Veilleur.

Nicoleï fonça aussitôt vers la porte du fond. Le jardin était toujours là, jonché de feuilles mortes, comme si leur travail n'avait servi à rien.

Pas de Maitre Kenog, pas d'Axel. L'impuissance lui fit serrer les poings. Il détestait se sentir inutile à ce point ! Il y avait forcément un indice, quelque part. Quelque chose. On ne disparaissait pas comme ça.

Méthodique, Nicoleï arpenta le jardin, le quadrillant pour ne rien laisser passer. Ce n'était qu'un rectangle d'herbe rase, avec un grand arbre, et un tas de compost au fond. Il se concentra pour accéder au pouvoir niché dans ses entrailles. Axel avait eu raison, c'était par l'instinct qu'il se débrouillait le mieux, il avait eu l'occasion de l'expérimenter. L'instinct et le contrôle, deux notions qu'il devait mêler. Avec des gestes lents, il décrivit un large cercle. Les feuilles bruissèrent lorsqu'elles se rassemblèrent, puis s'élevèrent. Avec délicatesse, il les guida jusqu'au compost, ouvrit le conteneur d'une légère brise puis canalisa les feuilles à l'intérieur. Le couvercle se referma avec un « clac » sonore, et Nicoleï réalisa qu'il avait retenu son souffle. Le cœur battant, il s'obligea à respirer calmement. Plus une feuille n'était visible. Il avait réussi l'exercice demandé par Maitre Kenog.

Il aurait dû en être fier, mais il n'avait personne avec qui partager sa joie. Réussir n'avait pas fait revenir Maitre Kenog. Et sans Axel, rien n'était pareil.

Nicoleï s'assit, entoura ses genoux de son bras, titilla les brins d'herbes de son autre main. Qu'est-ce qui n'allait pas ? Il se sentait désemparé. Inutile. S'il n'était pas capable de retrouver son camarade, à quoi servait-il ?

— Tu as fait des progrès.

Surpris, Nicoleï faillit bondir sur ses pieds. Sa main était venue se glisser sous sa veste pour s'emparer de la dague qu'il cachait là. Les joues brûlantes de gêne, il la lâcha aussitôt.

— Et tu as de bons réflexes, ajouta Lucas.

Il était accroupi à ses côtés ; Nicoleï ne l'avait pas entendu s'approcher, et s'il s'en voulait en partie, il ressentait aussi une grande admiration pour le Veilleur.

— Satia dit qu'elle est capable de ressentir le Don chez ceux qui l'utilisent. Percevoir comme un écho de leur utilisation. Crois-tu que tu serais capable de savoir si quelqu'un a utilisé les Vents récemment ? S'il y a comme une piste qui remonterait jusqu'à Axel ?

Pensif, Nicoleï réfléchit. Ce qui marchait avec un élément ne marchait pas forcément avec un autre, c'était une certitude. D'un autre côté, qu'avait-il à perdre à essayer ?

— Je ne suis qu'un débutant, dit-il enfin. C'est l'une des premières fois où les Vents m'ont obéi. La moitié du temps, je sais à peine ce que je fais. Je ne comprends pas encore comment tout cela fonctionne. Mais je tiens vraiment à retrouver Axel. Je peux essayer.

— Prends le temps qu'il te faut. Et ne te mets pas une pression inutile, d'accord ?

La bienveillance du Veilleur était certes réconfortante, mais Nicoleï avait les entrailles nouées. Et en même temps, la perspective d'essayer autre chose, d'aborder un autre côté de son pouvoir... il en ressentait une sorte d'excitation mêlée d'appréhension.

Nicoleï se leva, s'avança au milieu du jardin. Il inspira profondément, sentit l'air frais qui pénétrait au plus profond de ses poumons.

Allait-il y arriver ?

Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir.

Quelque chose remua au cœur de son être ; il ne savait toujours pas comment l'appeler exactement, mais il savait que c'était là que se nichait l'essence de son pouvoir.

Restait à savoir quoi en faire.

Les Vents s'enroulèrent autour de lui, gagnèrent les cieux.

Pouvait-il capter quelque chose à travers eux ?

Nicoleï ferma les yeux.

Que ressentait-il ?

Le froid de l'altitude, les mouvements des nuages, leur humidité ; et plus loin, là-bas, le vol d'un groupe d'oies sauvages ; plus loin encore, les contours d'un massif montagneux ; et là... là, la trace fugitive d'un déplacement.

Nicoleï rouvrit les yeux, stupéfait.

— J'ai réussi ! Enfin... j'ai senti quelque chose. Très faible. Un écho lointain.

— Qui partait de la rivière ?

— Je pense. Ça allait... par là, dit-il en pointant le doigt au-delà du jardin.

Le jeune Envoyé ne fut pas surpris de voir les deux Messagers les rejoindre ; ils étaient tous les trois liés par le Wild, et pouvaient communiquer via leurs Compagnons.

Ishim s'approcha de lui.

— Ça ira, tu n'es pas trop fatigué, Nicoleï ?

Il secoua la tête.

— Je n'ai pas forcé, Messager.

— Alors en route, décida Itzal.

— Où allons-nous ? questionna Nicoleï.

— La forêt des Cargues, à l'est d'Orein, répondit Lucas. Nous allons la survoler. Si tu perçois autre chose, surtout, préviens-nous.

Les Vents du DestinWhere stories live. Discover now