CHAPITRE 1 - vive lumière

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J'écoute le sol, les morceaux de vie qui se mêlent

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J'écoute le sol, les morceaux de vie qui se mêlent. Je lève la tête, j'observe.

Qui est cette fille, qui vient de passer près de moi ? Son pantalon blanc déchiqueté par la mode, sa chemise vert kaki qui laisse voir son soutien-gorge noir. Son sourire parfaitement maquillé, ses yeux méticuleusement foncés, les rouge criard sur ses joues. Elle rit, avec ses amis. Ils bousculent les enfants et les réverbères, crient après les voitures qui vrombissent. Hurlent de rire.

Qui est-elle ? Cette question me fascine. Qui sont tous ces gens ? Comment ont-ils grandi ? Comment vont-ils vieillir ? J'aime l'idée de cette diversité, de ces expériences qui restent muettes sous le brouhaha des paroles abstraites.

Je songe à tout cela, et je souris.

Enfin, le parc apparaît au bout de la rue. Les arbres projettent leur ombre bienfaisante sur l'herbe coupée à ras. Des silhouettes courent et virevoltent au milieu des pâquerettes écrasées sous les pas des passants.

C'est l'été.

Le soleil a tardivement cessé son hibernation. Il tente une entrée timide dans cette partie du monde, amenant avec lui les adolescents avides de cette lumière dont les salles de classe les ont privés. Les moustiques et les passants parcourent les rues. Les chiens et leurs désagréables aboiements galopent pour sentir le vent. Ils courent. Halètent. Les chats jouent à cache-cache avec les ombres mouvantes, se coulant dans les endroits abrités. Ils évitent les routes au goudron aussi collant qu'un chewing-gum mâché et re-mâché.

Piétiné et re-piétiné.

L'asphalte adhère à mes semelles. Je chasse d'un geste de la main une mouche trop aventureuse. Je sens le soleil caresser ma peau, la parer, peu à peu, de reflets qui viennent assombrir ma peau brune. Enfin, mes pas me mènent jusqu'à l'endroit où mes amis m'attendent.

Maël me fait un signe de la main, un grand sourire étalé sur son visage fin. Il passe une main dans ses cheveux blonds en peignant sur son visage ce sourire sûr de lui qui lui va si bien.

Celia me regarde avec bienveillance de ses iris bruns et verts. Bartholomé ignore mon arrivée, occupé à essayer d'approcher un pigeon qui l'observe avec méfiance.

Je les rejoins.

— Cyrielle ! On t'attend depuis des heures, grogne Maël.

— Des heures, carrément ? gloussé-je.

Celia acquiesce avec force.

—Peut-être même plus, ajoute-t-elle.

Je l'ignore, levant les yeux au ciel.

— Bartholomé, dis-je, je veux bien que tu essaies de fraterniser avec cet oiseau, mais dis bonjour, au moins...

Il lève la tête vers moi.

— Ah oui, excuse-moi, bonjour Cielle ! me sourit-il. Et arrête de m'appeler comme ça !

— Désolée Barmé, j'oublie à chaque fois.

Depuis peu, mon ami a décidé que son prénom était ridicule et vieillot. On a eu beau lui expliquer qu'il avait le charme des anciens mots, il réfute cet argument. Il refuse qu'on l'appelle autrement que par ce diminutif : Barmé. Alors, je me plie à ses demandes.

Je m'assieds à leurs côtés, et la conversation reprend. On parle un moment. De tonnes de projets irréalisables qu'on se promet de faire ensemble et on adore ça. Barmé nous fait part de ses observations sur les volatiles, Celia de ses craintes pour le stage de troisième, qui nous attend à la rentrée, et Maël de ses doutes à propos de la nouvelle coupe de cheveux de sa mère.

Peu à peu, je me détache de leurs paroles.

Les feuilles bruissent. Une agréable senteur me chatouille les narines. Je sens de doux souvenirs traverser mon esprit en coup de vent. Une impression fugace, un soupire de sérénité.

Quelques réfugiés de cette canicule sont éparpillés sous les arbres.

Un couple qui se tient la main, sur ce banc. Une femme est allongée, sa tête reposant sur les genoux de son compagnon qui lui caresse la joue. Leurs yeux se perdent dans ceux de l'autre. Je ne peux m'empêcher de les envier. Un peu. Leurs gestes synchronisés, leur respiration que j'imagine en harmonie... Tout cela sonne comme une évidence.

Une jeune fille adossée à un tronc d'arbre, à peine plus vieille que moi. Ses yeux sont perdus dans le lointain. Sa nuque est dégagée. De petites mèches dépassent sur sa peau claire. Ses cheveux bruns cuivrés forment un dégradé, s'allongeant depuis le haut de sa nuque jusqu'à sa poitrine. Son visage est fin, assorti de traits harmonieux. Elle dégage une aura d'assurance naturelle.

Je la vois tourner sa tête vers nous. Ses yeux volettent entre chaque personne, s'arrêtent sur chaque détail pour le sonder. S'attardent, comme ils le feraient pour explorer une nouvelle terre. Comme si chaque personne qu'elle regardait était un monde à elle seule.

Je croise son regard. Ses iris flamboient, crépitent. Leur couleur noisette en est teintée d'ambre. Elle m'offre un sourire franc que je lui rends.

— Cyrielle ? m'appelle la voix chaleureuse de Maël. Tu es sur quelle planète aujourd'hui ?

— Jupiter. C'est magnifique !

— Hum... Reste parmi nous, Cielle ! m'ordonne Celia.

Elle me jette un regard faussement méfiant, puis sur le ton de la confidence :

— Son imagination la perdra... Je me demande parfois si elle est humaine...

Je rigole.

— Un peu plus d'imagination ne te ferait pas de mal, à toi !

Je lui tire la langue puis m'allonge dans l'herbe. Je scrute le ciel où flottent de paisibles volutes cotonneuses, simplement désireuses de voyager jusqu'à se dissoudre, pour renaître sous une autre forme. D'ici, je ne vois pas le sol, seulement les branches qui morcellent l'étendue bleutée.

Je souris.

Je suis nuage parmi les nuages.

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant