CHAPITRE 6 - sombres sentiments

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J'étouffe. Pelotonnée dans mon lit trop étroit, j'attends que cette nuit sans lune cède sa place à un nouveau jour. Cette habituelle mélancolie est plus forte, plus envahissante que d'habitude. Elle s'infiltre dans la moindre faille que je laisse et envahit ma tête. La chaleur est assourdissante, et ce silence suffocant.

Je ne comprends pas, moi-même, cette sensation. Celle de n'être rien au milieu de ce tout, et de se noyer dans ce bouillonnement indistinct.

Cette transe qui me plonge dans un tourbillon de perdition.

J'ai envie de crier. De hurler pour me convaincre que j'existe. Je voudrais trop de choses. Hurler à faire saigner mes cordes vocales, sortir, courir dans d'immenses forêts jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à ce que mes poumons implosent, je veux que ma gorge s'enflamme et que mon souffle se saccade, me perdre dans des folles espérances, mourir mille fois pour vivre une vie.

J'ai besoin d'une étincelle, d'une lueur pour embraser ma vie, pour me guider. Je ne sais pas, je ne sais plus, peut-être que je n'ai jamais su. Soudain, je ne sais plus si j'ai un jour déjà vécu.

Oui, je suis comme chaque nuages, j'ai besoin d'une étincelle.

J'ouvre en grand ma fenêtre. La bouffée d'air frai pénètre dans ma cage thoracique comme si c'était là ma première inspiration. J'écoute les chouettes hululer comme si c'était mon dernier son. Ma respiration se calme.

Je savoure un instant cette sensation, puis enjambe doucement la fenêtre pour m'asseoir sur le rebord. Je soupire de satisfaction. Je tente de saisir la moindre fragrance, le moindre bruissement de feuille, le moindre cri qui briserait les ténèbres.

Cette rue est si déserte.

Je laisse mes doigts pianoter sur l'ocre délavé. C'est étrange, je me serais presque attendue à voir Céleste, là, sur le toit. Je ne l'ai vue que trois petites fois, mais elle a dans son sourire une sincérité inégalable. J'ai ce besoin de vérité, d'absolu inatteignable, que j'ai l'impression d'effleurer du doigt lorsque je discute avec elle. J'ai trop d'envies, trop d'espoirs qui ne font que s'entasser dans ma tête pour attendre une réalisation qui ne viendra sans doute jamais.

Je me laisse emporter dans mes pensées douces-amères.

Je vais du tout au rien.

Je pense. À l'écriture, à Raphaëlle, à Celia, à Barmé, à Maël, à Céleste, à mon père, à ma mère, aux musiques que j'écoute, à tout ce qu'il me reste à imaginer et rêver. Je me sens étrangement en paix, les pieds suspendus dans le vide. La lumière des étoiles est absorbée par les réverbères de la ville qui éclairent les petites ruelles et les grands boulevards. Mon figuier se balance, tend ses longs bras vers moi.

C'est si tranquille, ici.

Je me sens en sécurité. Je suis hors de portée des idées maussades qui me terrassaient il y quelques minutes et qui me laissent maintenant un peu de répit. Mais je ne doute pas qu'elles reviendront, demain, après-demain, et tous les jours qui suivront.

Je saisis mon carnet et commence à griffonner dans la nuit. L'inspiration me vient par bribes qui entrecoupent mes moments d'extrapolation, où je ne fais que penser à toutes les possibilités pour les années à venir. Que vais-je faire de ma vie ? Un métier du monde littéraire ? Mais peut-être que je ne le voudrai plus, à ce moment-là ?

Est-ce que je verrai, un jour, mon nom trôner au milieu des autres dans une librairie, ou va-t-il trainer au fond d'un tiroir au milieu d'une pile de manuscrits ? J'envisage toutes les possibilités, les relations qui se nouent et se dénouent. Je me plais à songer à tout ça, voguant au gré de mes futures décisions et obligations.

Je pense aussi aux contraintes qui sont à venir. J'appréhende le lycée et la suite. Vais-je réussir à travailler comme il faut ? Vais-je trouver une voie qui me correspond ?

Et la boucle infinie de mes pensées reprend, depuis le début.

Je pense à mes proches. Aux moments où je les ai déçus et ceux où je leur ai plu, à ce papillonnement de mon cœur quand je suis heureuse. Aux tremblements de mon âme quand je suis triste.

Je me remémore le passé, ces mots que j'aurais dû prononcer, et ceux que je n'aurais même pas dû penser, ceux que j'aurai aimé avoir oublié et ceux que je voudrais faire oublier. Je songe à toutes mes maladresses et mes bafouillements, et je me dis que tout ça ira mieux demain.

Pour l'instant, ce petit espace au creux de ces volets ouverts semble être l'endroit parfait pour échapper aux lois qui régissent en bas.

Mais malgré tout ça, je le sais, je n'arriverai pas toujours à échapper à la gravité.

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant