CHAPITRE 31 - retrouvailles fortuites

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Je guette des traits familiers dans la foule

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Je guette des traits familiers dans la foule. Les souffles se mêlent sous la caresse d'une brise rafraîchissante. Les corps se serrent les uns contre les autres dans cette longue file d'humains de tous âges. Les rides côtoient les tresses dans l'attente de l'ouverture des portes pour s'y engouffrer.

Je sursaute. Une main s'est posée sur mon épaule.

Je me retourne et vois Anna et Celia, un sourire enjoué peint sur chacun de leurs visages. Des sourires d'enfants, façon marqueur noir sur mur de la cuisine ou bataille de farine debout sur la table.

— Coucou vous deux !

Elles ne se sont jamais rencontrées, mais j'avais tant parlé de l'une à l'autre et de l'autre à l'une qu'elles se connaissent déjà un peu. Elles n'ont en commun que leur joie de vivre perpétuelle et leur chevelure brune épaisse que les différentes saisons parent de vifs reflets.

— Bon, je suis bien venue parce qu'on m'a dit qu'il y aurait des crêpes, raille Celia.

— Arrête de râler deux minutes, me moqué-je.

— Regardez, intervient Anna, les portes s'ouvrent, on va enfin pouvoir entrer dans ce salon du livre !

Mes yeux pétillent, ravis.

— Vous êtes là depuis longtemps ?

J'écoute leurs réponses, mais mon esprit est déjà ailleurs, empreint d'une appréhension mêlée d'excitation à l'idée de me retrouver au milieu de cet endroit étranger. La queue commence à avancer, et je suis le mouvement, emportée avec mes amies dans cette vague de liesse.

Lorsque j'entre, je reste un moment bouche bée. Je papillonne, de stand en stand. Des groupes se constituent déjà pour rencontrer les auteurs débordés. Partout sont étalés des milliers de livres et de sourires.

Je saisis un ouvrage au hasard et le feuillette avec hâte. Anna m'interpelle.

— Regarde Cyrielle ! crie-t-elle pour se faire entendre. Là-bas, l'auteur qu'on lisait tout le temps quand on était petites.

— On est toujours petites, rigolé-je.

Je me retourne tout de même, le regard empreint de curiosité. En-dessous d'une énorme bannière aux couleurs chatoyantes, un vieil homme est assis, discutant avec un enfant, un petit garçon aux joues rebondies. Cet homme est un grand Auteur, un de ces écrivains qui méritent une majuscule. Le créateur d'adorables albums pour enfants. Des images et des textes qui apprennent à rêver, qui créent la passion des phrases et l'amour des jeux de mots sucrés.

Je me rappelle encore le temps où, en compagnie d'Anna, j'avais ouvert le premier de ses albums en ne sachant pas que ce magicien allait m'apprendre la poésie de l'absurde. Maintenant, il se tient devant moi.

J'hésite. Faudrait-il que je courre à sa rencontre ou que je m'arrête là, à le scruter de loin, en me souvenant simplement des couleurs pastels de ma petite enfance ? Mon cœur balance, mais la magie prend le dessus sur la réalité, et je renonce. Est-ce de la timidité, de l'appréhension ?

Non, simplement la nécessité de garder une once de mystère.

— Vas-y si tu veux, je vais me promener un peu, lancé-je à Anna.

Elle me lance un regard surpris.

— Bon, j'y vais. On se retrouve tout à l'heure ?

— Oui, bien sûr !

Et je m'élance le long des allées. Je croise Celia, concentrée sur un dessinateur en action, les yeux plissés, captivée par l'encre glissant sur le papier. Je poursuis ma route. Les écrivains sont accostés de toutes parts par des lecteurs admiratifs et de curieux auteurs en devenir. Je grimace lorsque des épaules frottent les miennes. Les tissus se froissent dans des sons envahissants, l'odeur de la sueur remonte jusqu'à mes narines, mais je n'y fais pas attention. Je savoure le moment.

Enfin, j'arrive devant un stand désert. Une jeune auteure est assise derrière sa table, une pile de ses ouvrages devant elle. Je n'ai vu qu'une fois ce visage, ces yeux et ces cheveux. Je ne les ai vus qu'une fois avant qu'ils ne décident de s'évaporer.

Celle que j'appelais mon soleil se tient devant moi. Raphaëlle pose ses yeux sur moi. Elle me dévisage pendant quelques minutes. Rien ne se passe. Puis elle me reconnaît.

— Cyrielle ?

J'ai un mouvement de recul.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je crois que tu vois...

Je suis heureuse que les bruits alentours couvrent le froid silence qui s'installe. Raphaëlle semble chercher quelque chose à dire.

— J'ai envoyé mon roman à une maison d'édition un peu avant l'été dernier. Je ne t'en avais pas parlé parce que j'avais peur qu'ils ne s'intéressent pas à mon manuscrit, mais ça a été le cas. Et puis tu sais, la seconde, je n'avais plus le temps.

J'acquiesce. Elle a soudain arrêté de me parler parce qu'elle n'en avait plus envie. Elle m'a enlevé de sa vie, parce qu'elle n'avait plus assez de temps. Je crois que je comprends mieux ce que voulait dire Maël.

Raphaëlle paraît ennuyée.

— Bon, tu veux une dédicace du coup ?

Je me détourne sans répondre.

J'espère que le reste de la journée me changera les idées.  

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant