CHAPITRE 4 - lassitude astrale

329 70 25
                                    

La lune continue de grimper, toujours plus haut

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.

La lune continue de grimper, toujours plus haut. Depuis des heures, les mélodies changent dans ces écouteurs. Mélancolie, joie, tristesse, les notes ont montré toutes les émotions possibles dans nos oreilles ce soir. Nous n'avons échangé aucun mot, mais nous avons partagé. Une musique, un moment, un sentiment de quiétude.

Mon téléphone vibre dans ma poche. Une fois. Deux fois. Trois fois. S'éteint, déchargé. Je tourne la tête vers Céleste.

Nos regards se croisent. Doucement, je me relève. Mon dos craque, dur rappel à la réalité qui brise ce calme bienfaisant. Étincelle se met debout, un peu chancelante.

— J'espère qu'on se reverra, Nuage.

Elle sourit. Fossettes. Céleste se retourne, et s'en va.

Pendant quelques minutes, je reste figée. Hypnotisée par le balancement irrégulier de ses cheveux. Je ne bouge plus jusqu'à ce que son ombre ne se fonde dans celle des arbres et que son corps se mélange aux réverbères dans le lointain.

Je frictionne mes bras. Je ne m'étais pas aperçue qu'il faisait si froid. La chaleur de la journée n'est plus qu'un souvenir, à présent. Je ne sais pas quelle heure il est.

Tard. Beaucoup trop tard. Trop tard pour recevoir un bon accueil en rentrant. Mes parents doivent être morts d'inquiétude, et de colère aussi. Je suis si fatiguée, je pourrais m'endormir là, sous cet arbre. Je secoue la tête et me retourne.

Il est plus que temps de partir.

Je retrace de mon corps engourdi ce chemin que je fais si souvent. Je ne suis pas habituée à veiller si tard. Je déambule dans la ville endormie. Les fenêtres ouvertes laissent s'échapper des ronflements, des cris, des chuchotements et des gloussements. Des rideaux volent dans le vent, des souffles effleurent mes oreilles sans que je sois capable de les retenir. Des chiens aboient, des chats miaulent. Une ou deux silhouettes marchent, frôlent les murs. Les regards se fuient.

Je trébuche sur les pavés mal taillés, un peu intimidée.

Une habituelle mélancolie commence à étreindre mon cœur. Depuis tout ce temps où elle rôde dans mes nuits, elle est devenue une amie. Ou une vieille connaissance que tu attends avec appréhension en te demandant où elle va te mener.

Je ne sais pas d'où elle vient, pourquoi elle vient. Elle amène avec elles trop de doutes. Des incertitudes. On peut appeler ça une remise en question. C'est vrai, à ce qu'on dit, la nuit porte conseil. Mais si c'est ça, un conseil, je n'ai pas hâte de rencontrer un conseiller d'orientation.

J'arrive enfin devant une petite maison avec jardin. Ma maison. Le quartier de lune réussit à peine à éclairer les briques rouges rongées par la pluie et le vent. Un unique arbre grimpe le long de la palissade de notre petit pavillon de banlieue, un figuier planté pour ma naissance. Je déteste ces fruits, ce goût acide si désagréable, mais je ne me lasse pas de les regarder pousser, chaque jour en rentrant du collège. La demeure est entourée d'une petite bande de graviers dont l'allure régulière est brisée par la terrasse en bois donnant sur la porte d'entrée.

Les lumières sont allumées au rez-de-chaussée. Je vois, au travers des fenêtres, deux silhouettes se déplacer, tourner dans la pièce sans relâche. Mes parents. Je me demande s'ils finiront par creuser des trous dans le sol à force de passer et repasser au même endroit.

Je soupire.

Que faire ? Si je rentre par la porte, une avalanche de reproches en tous genres m'attend. J'imagine d'ici les remarques déçues. Sinon, je trouve un autre moyen pour entrer et je ferai face aux conséquences demain. Je crois que je suis trop fatiguée pour endurer ça.

Mon figuier est bien trop petit pour que je puisse l'escalader afin de sauter sur ma fenêtre. Je n'ai pas de corde. Heureusement, la fenêtre de ma chambre est ouverte.

Olympe, mon personnage, sauterait sans doute. Il soufflerait, prendrait son élan depuis le fond du jardin, et s'élancerait. Il atterrirait avec grâce sur le mur, avant de l'escalader comme une araignée. Dans son lit, avant de s'endormir une minute plus tard, il imaginerait un stratagème qui justifierait son retard et lui attirerait la sympathie de ses parents.

Mais voilà, je ne suis pas Olympe. Mes capacités physiques sont proches de celles d'un escargot asthmatique en fin de vie, et je n'ai pas assez de courage pour m'élancer sans assurance de finir vivante. Non, décidément, c'est bien trop dangereux, je ne peux vraiment pas faire ça.

Résignée, je m'approche de la porte.

Je tourne la poignée.

— Cyrielle ! crie mon père.

— Oui, osé-je.

— Où étais-tu ? gronde ma mère. J'exige des explications.

J'entre et referme le battant derrière moi. Le teint mat de ma mère se fond dans l'ombre de l'escalier tandis que celui, laiteux, de mon père contraste avec la nuit.

— Désolée, je n'ai pas vu le temps passer, j'écoutais de la musique et je me suis endormie au parc...

— On ne peut pas te faire confiance, Cyrielle.

Chacun de ses mots pique mon cœur d'autant de petites aiguilles. Je suis honteuse. Ils travaillent tôt demain matin, ils seront fatigués à cause de moi. Je m'en veux, j'aurais dû les prévenir, au moins envoyer un message.

Je baisse la tête.

— Elle doit être fatiguée, souffla mon père. Vas te coucher Cielle, on en reparlera demain.

— Ne t'attends pas à t'en sortir si facilement.

Je baille. Je traine des pieds jusqu'à l'escalier, sentant les regards brûlants de mes parents sur ma nuque.

La soirée avait si bien commencé, pourtant...

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant