CHAPITRE 29 - plus jamais

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Je caresse la vitre de mes doigts pâles

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Je caresse la vitre de mes doigts pâles. Mes ongles font crisser le carreau. Je détaille les mouvements dans la rue, comme chaque jour.

Et comme chaque jour, le chat du voisin escalade la barrière pour explorer le vaste monde. Il écorche ses coussinets sur la palissade jusqu'à réussir à partir. Son maître le regarde avec tendresse, un mince sourire au coin de ses lèvres ridées.

Un couple passe, main dans la main. Ils ont les yeux perdus dans des projets d'avenir et les âmes entremêlées entre leurs doigts joints.

La vie suit son cours.

C'est étrange. Je me souviens si bien des yeux de Céleste, de la douceur de ses cheveux. Ses petites mèches qui se balançaient sur sa nuque. Ses longs cils qui battaient quand elle riait. Son expression concentrée quand elle jouait du violoncelle.

Elle semblait si parfaite que je me demande si je ne l'ai pas rêvée.

J'empoigne mon téléphone et tape mon code. Je relis les derniers messages de Céleste, en boucle. Elle doit venir dans quelques minutes. Je le lui ai demandé. Je me penche à la fenêtre, appréhendant le moment où elle arrivera. Que pourrais-je lui dire ? Je rêverais de lui crier dessus, de la traiter de tous les noms. Mais je sais bien que j'en suis incapable. Quand je verrai son visage, je flancherai. Les mots acerbes que j'avais préparés se poliront. Ils s'adouciront jusqu'à devenir aimants.

Je ne peux pas laisser ça arriver.

Je ne peux pas lui pardonner. Non pas que je ne m'en croie pas capable. Je sais qu'il suffirait de sortir ses fossettes pour que je me ravise. Mais je ne le veux pas. Je lui ai offert une deuxième chance, je ne me sens pas capable de douter à nouveau. Egoïste ? Raisonnable ? je ne saurais dire.

Trois petits coups retentissent. Mon cœur manque de perforer ma cage thoracique. Il frappe contre mes os qui manquent de se briser, fait vibrer mes côtes.

J'ouvre la porte.

Céleste est là. Son sourire fait vaciller ma détermination.

— Salut !

— Salut, répliqué-je. Entre, je voulais te parler.

Toute gaieté semble s'évaporer de son visage. Elle s'adosse au canapé.

— Pourquoi es-tu revenue ? demandé-je.

— Parce que je t'aime.

J'hésite.

— Et réellement ?

Elle hésite.

— Tu hésites, fais-je remarquer.

— Oui.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas.

Je la dévisage. Elle se redresse et marche d'un bout à l'autre de la pièce.

— Moi, je sais.

Elle me dévisage. Je m'assieds sur le dossier du canapé. Je crois sentir des larmes perler au coin de mes yeux.

— Je suis désolée, Nuage.

Elle n'a pas l'air désolé.

— Peut-être.

Je ne le suis pas non plus.

— Vraiment, excuse-moi.

— Non.

Je me détourne.

— Va-t'en.

Je fixe le chat du voisin à travers la fenêtre. Il est rentré de son escapade, la fourrure humide et maculée de boue. La porte claque derrière moi. Je m'effondre.

Le monde se brouille derrière le voile de mes larmes. J'enfonce mes ongles dans ma peau. J'essaie de respirer, mais il me semble que l'air ne peut soulager le poids qui m'étouffe. Pourquoi ai-je fait ça ? Peut-être avait-elle une explication. Je ne l'ai pas écoutée.

Je ne l'ai même pas écoutée, alors que c'était sans doute la dernière fois que j'entendais le son de sa voix. La dernière fois que j'entendais ses mots, que j'entendais mon surnom de sa bouche. Plus jamais je ne verrai s'étirer ses lèvres en un sourire qui m'est destiné, et je ne sentirai plus son cœur battre à l'unisson du mien. Plus jamais elle ne m'enlacera.

J'inspire, essayant de capter la fragrance de son parfum, mais elle s'est déjà évanouie.

Peut-être qu'elle ne s'en soucie pas, et que je suis la seule à souffrir des paroles que je viens de proférer. Peut-être qu'elle est déjà partie rejoindre son Papillon, ou son Hirondelle avec un sourire satisfait, en se disant qu'elle n'aurait plus la gamine dans les jambes. Peut-être que ce n'était qu'un jeu.

Et après tout, qui disait le contraire ? Elle n'était pas revenue vers moi d'elle-même, elle ne m'avait pas cherchée. Je l'avais retrouvée par hasard, au détour d'un concert, et elle était restée. Peut-être que je n'ai jamais compté. Cette possibilité m'effraie.

Ma mère, si elle avait un peu de temps à me consacrer, me dirait sûrement que ce n'est qu'un petit amour d'adolescente sans importance. Alors pourquoi est-ce que ça fait mal ? Une seule chose est sûre : je ne veux pas revoir Céleste. Je me suis assez débattue dans ses filets.

Mes doutes s'apaiseront.

Je vais graver ce moment au stylo dans mon esprit, et plutôt que d'essayer vainement de le gommer, je vais attendre que le papier boive l'encre.

Je vais attendre que ses mots trop aiguisés se dissolvent, jusqu'à n'être plus qu'une ombre bleutée. Jusqu'à ce que ma prétendue Étincelle passe de protagoniste à figurant dans le roman de mon existence. Puis de figurant à paysage.

Une minuscule étoile dans un ciel nocturne.

Je crois qu'il est temps de

tourner la page.

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant