CHAPITRE 2 - douces échappatoires

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Je soupire. Les pieds posés sur mon fauteuil de bureau, le reste du corps reposant dos au parquet. Le bois froid rafraîchit ma nuque. Je suis en retard. Cela ne m'était jamais arrivé, mais il y a deux semaines que j'aurais dû avoir terminé le chapitre vingt-cinq de mon roman : Lueurs dans la Pénombre. Mes lecteurs, sur le site d'écriture où je me suis inscrite, attendent. Ils sont patients, attentifs, adorables. Ils ne sont pas des milliers, ni même une centaine, une soixante ou une cinquantaine. Ils sont vingt-cinq, parfois plus, parfois moins. Vingt-cinq à lire chacun de mes mots, à les décortiquer, les apprécier, les commenter.

Je ne les ai jamais vus. C'est une sensation étrange, de savoir que ces phrases que j'ai écrites tendent à travers un écran pour toucher des inconnus. Certains sont même devenus des amis.

Mon téléphone portable vibre à côté de ma tête. Je l'allume.

Un message de Raphaëlle.

Courage Nuage !

Tu vas finir par arriver à l'écrire... Et puis, tuer un personnage, ce n'est pas la mort !

Je souris. J'aime quand elle m'appelle ainsi, par le pseudonyme que je me suis choisi. Rien de plus fascinant que de regarder ces formes voluptueuses ont quelque chose d'hypnotisant. Je me prends souvent à rêver de les toucher. Les caresser, les modeler. Je me construirais une maison de nuages. Une villa, ou un château !

Lorsque je me suis inscrite sur le site « Mots à l'envers », je ne me doutais pas que je rencontrerais Raphaëlle. Nos discussions sont passées d'écriture à musique, de musique à conseils, puis on en est venues à parler de nous. On ne se connaît pas tellement. Qui est-elle ? À quoi ressemble-t-elle ? Ce sont des questions qui restent sans réponses. Je ne connais que son âge et sa voix, grâce aux nombreux appels où nous avons discuté pendant des heures. Parfois, j'ai l'impression qu'elle me connaît autant que mes amis plus tangibles. Mais de manière différente.

Elle fait partie de mes premiers lecteurs, qui commentaient dès que je postais. Mais depuis quelques temps, elle a moins l'occasion de le faire puisque je n'arrive plus à écrire. Les mots me filent entre les doigts. Je me demande : à quoi bon continuer ?

Mes personnages, qui me suivaient partout, que j'enrichissais au fil de mes expériences, de mes apprentissages, ils se sont éloignés. Ils ont pris de la distance, je ne les vois plus que dans le lointain.

Je soupire et secoue la tête.

Il faut que je pense à autre chose. Ce que je ferai demain ? Je verrai mes amis. Je me ferai reprendre par Bartholomé à propos de son prénom, je discuterai des innombrables cuisines de tonnes de pays que je voudrais goûter avec Celia, et je me ferai encore taquiner par Maël. J'écouterai de la musique, j'en parlerai avec Raphaëlle. Je classerai mes cours, en réfléchissant avec mes parents à mes études.

Une suite d'action qui se déroule et se répète à l'infini, toujours accompagnée de mes proches.

Ecrire, la seule occupation que je n'effectue qu'avec moi-même. C'est une terrible sensation de liberté qui me prend, dès que je saisis le crayon, musique enfoncée dans les oreilles. Je ne sais pas ce qui me manque le plus. Ce moment de repos et d'unité ou le frisson de la création. Je pense que c'est un ensemble.

Je me redresse et m'adosse à la fenêtre. Je contemple ma petite chambre, mon refuge. Blanche depuis les murs jusqu'à la couette cotonneuse qui recouvre mon lit. Simple, sans artifice. Immaculée. Tout le désordre a été remisé dans les placards ou au fond de mon esprit. Dans cet endroit rien qu'à moi, je peux ornementer selon mon humeur, trop changeante pour être fixée dans une seule décoration immuable. Cette chambre se pare des couleurs de mes joies ou de mes inquiétudes, des rayons du soleil qui filtrent au travers de la minuscule fenêtre.

Mais aujourd'hui, il pleut. Le temps est gris poussière. Le ciel pleure pour nettoyer les rues souillées de détritus. Les mégots s'entassent sur les trottoirs. Un sac plastique se trémousse sur le goudron trempé, balloté au gré des bourrasques qui font claquer les volets. Le vent se faufile entre les immeubles, se fraie un chemin sous les panneaux métalliques et les réverbères.

Je laisse mes pensées vagabonder, je me perds dans des mondes imaginaires. Une silhouette se dessine peu à peu, en contrebas. Ses cheveux blonds cendrés, ses yeux violets fluorescents, son corps svelte, ses longs doigts fins... Tous ces détails que j'ai sculptés de mes mots, je les reconnaitrais entre tous.

J'imagine Olympe, adossé contre ce mur aux tags à moitié effacés, tout droit sorti de Lueurs dans la Pénombre. C'est mon personnage. Celui qui sauvera son monde, tandis qu'à ma façon, je lui insufflerai magie et courage par mes points et mes virgules. Y penser invoque une motivation dont je me croyais dépourvue depuis quelques temps. Je me sens capable de finir ce livre. Olympe s'évapore, peu à peu, me laissant la tête emplie d'idées farfelues et de nouvelles perspectives.

Un éclair transperce le ciel.

Je saisis le carnet posé sur ma table de chevet avec précaution. Je prends garde de ne pas le froisser en tournant les pages. Je m'arrête lorsque les feuilles griffonnées laissent la place aux aventures qu'il me reste à vivre.

Je débouche mon stylo. Je m'assieds sur mon lit.

Et je commence à écrire.

Et je commence à écrire

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Je caresse le tronc. L'écorce griffe mes doigts. Si l'orage d'hier soir a laissé l'herbe humide et les feuilles imbibées d'eau, l'été a rapidement effacé toute trace d'intempéries. Je me laisse glisser contre l'arbre et me mets dans ma position préférée : la tête en bas, le dos collé contre la pelouse et les jambes accrochées au bois. Les pieds dans les airs. J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles.

Quelques accords de guitare sonnent dans le jour déjà décroissant. Je me laisse envahir par cette paisible musique. Je la laisse s'infiltrer dans mon esprit, couler dans mon corps, glisser dans ma tête. Je ferme les yeux. Je me laisse flotter dans ce cocon de bien-être.

Une voix me parvient à travers le chant. J'entrouvre les paupières en fronçant les sourcils, prête à jeter un regard noir à celui ou celle qui a interrompu mon moment de sérénité. Cet instant si parfait qui a soudain volé en éclats.

La jeune fille aux yeux d'étincelles me regarde, penchée au-dessus de moi. Ses cheveux ambrés volettent autour de son visage fin, comme les rayons de son visage solaire. Sa peau est constellée de la lumière ocre du crépuscule.

Nos regards se croisent. Et elle sourit.

— Tu as les yeux couleur nuage d'orage, dit-elle.

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant