CHAPITRE 32 - depuis le début

159 47 37
                                    

Je cherche mes amies au milieu de la foule

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.

Je cherche mes amies au milieu de la foule. Les couleurs se mélangent et je peine à apercevoir leurs visages familiers. Lorsque je les aperçois, je marque un temps d'arrêt. Maël et Barmé ont rejoint Celia. Anna se tient un peu en retrait, à l'ombre d'un arbre.

Un cycliste passe devant moi, cheveux au vent. J'attends que la couleur parme de son vélo soit partie avant de traverser. J'avance. Mes doigts s'agitent frénétiquement dans mon dos, je frotte mes mains l'une contre l'autre comme pour déloger l'appréhension qui s'accroche à ma peau. Pourquoi sont-ils là ? Comment vont-ils réagir ?

— Salut, osé-je.

Ils sourient. Tous. C'est étrange.

— Coucou Cielle, me salue Celia.

J'essaie de me calmer.

Je m'assieds dans l'herbe près d'eux. Mon regard croise celui de Bartholomé. Il semble calme. L'espace d'un moment, on se contente de ne rien faire, ne rien dire. Une délicieuse sensation d'engourdissement me prend. Une douce brise fait vaciller mes mèches. Une atmosphère paisible règne, entre les pépiements festifs des oiseaux et la rumeur des conversations. On les perçoit comme à travers un filtre, un voile de douceur agité par une harmonie soudaine, inattendue.

Je voudrais qu'aucun de nous ne brise ce silence.

J'ai l'impression de revenir quelques mois plus tôt, à fixer le ciel d'une nuit étoilée. Je sais que ce même sentiment nous unit à nouveau, je le sens dans les respirations sereines, les regards entendus. Je ferme les yeux.

Quelques minutes s'écoulent ainsi.

Je me contente de repenser à ma matinée. Je ne me suis pas arrêtée à ma rencontre avec Raphaëlle. J'ai erré un moment, mais me suis arrêtée pour discuter avec une auteure, dont la table était désertée de tout public.

Ses yeux étaient perdus dans le vague, mais un sourire s'est dessiné sur son visage lorsqu'elle m'a vu arriver. On a discuté pendant près d'une demi-heure. De son parcours, de son premier roman, édité à l'âge de vingt-cinq ans. Elle m'a raconté son émotion quand elle l'a tenu entre ses mains pour la première fois. Elle m'a dépeint son métier. La précarité, le travail qui éclipse la passion, des fois. Mais l'envie, toujours, de créer, de partager.

Je suis ressortie de cette conversation avec une bonne dose de détermination et son dernier roman.

Je me suis souvent sentie à part, différente. Pas à ma place, surtout. J'ai pris l'habitude de me confier plus aux nuages qu'aux humains. Lors de ces longues nuits sans sommeil, j'ai beaucoup ressassé et tourné en rond, immobile sous ma couverture.

Mais en cet instant, je suis certaine que ceci est précisément ma place. Parler entendre parler de tous les sujets possibles, pourvu que ce soit avec passion. C'est la plus belle chose qui soit.

— Cyrielle ?

J'ouvre les paupières. Notre petit groupe s'agite à l'unisson, comme réveillé en sursaut. La silhouette d'Agathe se découpe sur le ciel bleu. Sa robe fleurie virevolte autour de ses jambes nues, les violettes et les hibiscus dansent dans le vent. Elle nous regarde tour. Elle semble intimidée, ses mains serrées autour d'un livre dont je ne parviens pas à lire le titre.

— Je ne voulais pas déranger, souffle-t-elle.

Je hausse les épaules.

— Tu peux rester, hein, offre Anna.

Elle hésite.

— Non, merci, je vais rentrer de toute façon.

Je jauge du regard chacun de mes amis alors qu'elle part à nouveau. Est-ce que je devrais la rattraper ? Je finis par me décider. Je rassemble mes affaires et les fourre dans mon sac.

— Je vais y aller... On se voit demain ?

Ils acquiescent. Etrange après-midi que celle-là. J'ai l'impression qu'aujourd'hui est un de ces jours ou parler est inutile. Une compréhension unanime qui flotte dans l'air autour de moi, je présume. Ainsi, sans un mot, je quitte l'endroit.

Je parcours le parc vers la direction où elle semblait aller. Enfin, je l'aperçois, assise dans l'herbe, occupée dans des tâches qui me sont inconnues au fin fond de son esprit. Je me laisse tomber à côté d'elle. Elle regarde une petite coccinelle marcher sur sa main. Sa petite coque rouge scintille au soleil.

— Tu savais qu'on connaissait entre huit cent quatre-vingt mille et un million d'espèces d'insectes ?

Je fronce les sourcils.

— Hum... Non. Je ne savais pas.

— Je trouve ça impressionnant. Il y a tellement de choses qu'on ne connaît pas et qu'on ne connaîtra jamais sur cette terre. C'est merveilleux de se dire qu'il restera toujours quelque chose à découvrir. On vit dans un monde génial !

Je lui lance un regard amusé.

—Tu trouves ?

— Ah oui... C'est vrai que tu préfères rester dans tes rêves plutôt que de t'intéresser aux choses fabuleuses qui t'entourent.

— C'est vrai... Mais je ne suis pas réellement d'accord. Il y a tellement de choses horribles qui se passent, partout, tout le temps.

— Ce n'est pas en rêvant de voler que tu pourras te construire des ailes. Il faudrait plutôt commencer à rassembler des plumes.

Je lève les yeux au ciel.

— J'hésite. Est-ce que ce que tu viens de dire est terriblement niais, ou très joli ?

Elle sourit.

— Bon, qu'est-ce que c'est, ces plumes qu'il faudrait rassembler ?

— Des connaissances.

Je ne comprends pas comment on peut penser ça. L'imaginaire est si puissant, il peut emmener absolument n'importe où...

— Je ne te dis pas qu'il faudrait arrêter de rêver, tu sais, ajoute Agathe, soucieuse. C'est juste que si tu ne fais que ça, tu n'auras rien de tangible sur quoi t'appuyer. Tu ne peux pas être en permanence dans un autre monde, tu n'es pas d'accord ?

— Il n'a jamais été question de ça... Tu caricatures ! Ta vision est bien trop carrée, Agathe. Chacun suit la route qu'il veut.

— Non, chacun suit la route qu'il peut.

Je ferme les yeux quelques secondes. Je réfléchis à cette conversation et à sa signification. Je profite de cette après-midi. Après, tout va s'enchaîner jusqu'à la fin de l'année. Le petit stage, le brevet blanc, puis le véritable. L'été.

— Au fait, c'est qui Céleste ?

Je me fige. Je passais une très bonne journée sans elle. Je n'ai pas besoin d'elle pour être heureuse. Je me tourne vers Agathe. Comment connaît-elle ce prénom ?

— Au début de l'année tu n'arrêtais pas d'écrire ce nom dans les marges de tes feuilles, mais je n'ai pas osé te demander qui c'était, ajoute-t-elle.

Je marque une pause, déstabilisée.

— Juste une fille.

— Ah, je vois.

Son visage se ferme un peu. Elle reprend sa contemplation du sol. Les brins d'herbe effectuent une chorégraphie monotone sur cette terre humide. Ses doigts caressent les pétales d'une pâquerette. La fleur frémit.

J'hésite. Puis je décide de tout raconter. Depuis le début.

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant