CHAPITRE 26 - trois mots

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Je sautille, joyeuse

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Je sautille, joyeuse. Les arbres qui bordent les rues bourgeonnent. Leurs carapaces d'écorces enfin brisées par des rameaux heureux, ils abandonnent leur sombre manteau d'hiver pour illuminer la rue de leur lueur émeraude. Les petites feuilles sortent se dorer au soleil, accompagnées par la foule.

Dès que le premier rayon de ce printemps bien en avance a effleuré la première fenêtre, les rues se sont emplies de passants oisifs. Il est temps pour moi de sortir de mon hibernation et de recommencer à multiplier les projets.

Demain, je me remettrai à mon roman. Mes doigts me démangent, mais surtout, Olympe me manque. Ce jeune homme a depuis trop longtemps abandonné sa quête, trop longtemps arpenté mon tiroir. Il faut qu'il reparte à l'assaut des dragons.

J'ai hâte.

Mais est-ce que demain n'est pas déjà un peu trop tard pour faire ce qui est important ? Cette belle journée au soleil me rappelle ce qui l'a toujours été pour moi : raconter des histoires.

Je songe avec un soupçon de culpabilité à mes lecteurs que j'ai fait attendre tout ce temps. Mais il n'a pas été perdu. Ce n'étaient que des expériences qui enrichiront ma plume, du moins je le pense.

Puis, je change ma route, je m'en vais à la poursuite d'un vent de liberté qui ébouriffe mes cheveux. Je m'enfonce dans de petites ruelles sans nom, je bifurque dès que je sens le parfum de l'inconnu. La venelle est déserte mais chaleureuse, ce moment est magique. Personne pour me voir savourer cet instant, c'est un tête-à-tête avec mon bonheur.

Juste avant que mon monde se fissure, une fois de plus.

Ce couple que j'ai vu passer sans y faire attention, ces visages amoureux, ils me torturent. Je reste figée. Cette jolie Céleste, chuchotant des mots doux au creux d'une oreille qui n'est pas la mienne.

— Allez mon hirondelle, on y va ? dit-elle.

L'autre sourit, et elles partent. Sans même me voir. Et ce surnom mielleux qui coule sur sa langue comme une évidence. Ces regards pétillants, que je pensais être la seule à contempler. Je croyais être spéciale.

Unique, comme elle l'a si bien dit.

Mes yeux me brûlent.

Et le soleil qui hurle sa joie insupportable au-dessus de moi.

Et le soleil qui hurle sa joie insupportable au-dessus de moi

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Je claque la porte de ma chambre. Cette personne, ce papillon, pourrait être n'importe qui : une cousine, une amie... Mais je sais qu'elle est plus, tellement plus. Je l'ai lu dans ses yeux, dans ses mots.

Je me penche à la fenêtre.

Une vieille dame passe dans la rue. Je ne peux m'empêcher d'imaginer qu'elle va se retourner, me jeter un regard méprisant. Mais je sais qu'elle ne va rien en faire, parce que je ne suis rien dans sa vie. Pour elle, je ne suis qu'une silhouette.

Suis-je plus qu'une figurante dans ma propre vie ?

Je me blottis sur ma couette, m'ensevelis sous les coussins. Je me tourne, me retourne, à la recherche de l'obscurité pour m'y perdre. Toujours, un peu de cet insolent soleil perce entre les tissus, comme pour me rappeler à la réalité. Comme pour m'empêcher de m'évader dans mes rêveries.

Je me tourne, me retourne, à la recherche d'une idée, d'une pensée. Rien ne vient. Je suis un peu trop vide à mon goût. Peut-être un peu trop stupide et naïve, aussi. Je prends mon téléphone et parcours les conversations. Mes doigts s'arrêtent sur la dernière phrase de Céleste.

Je suis désolée, tu sais bien que j'aimerais beaucoup te voir demain, mais je dois travailler mon violoncelle.

Travailler, évidemment. Je soupire, un rictus amer étire mes lèvres. Je regarde les autres noms de mon répertoire. Raphaëlle, qui ne m'a plus donné signe de vie depuis des mois. Maël, qui ne m'adresse plus un regard. Barmé, qui ne m'offre plus que quelques sourires contrits. Celia.

Ils me manquent. Je regrette tous ces petits moments que j'ai vécus avec eux. C'est un sentiment léger, un peu de mélancolie qui profite d'un moment de doute pour s'infiltrer en moi.

Sans réfléchir, je tape sur le nom de Celia et rédige un message. Il semble si lointain, le temps où on était en permanence ensemble. Je me souviens de tout, de ses mimiques inimitables, de son rire. Est-ce que je mérite seulement son pardon ? J'ai été trop lâche pour m'excuser. Lui adresser simplement la parole aurait suffi.

« Je m'excuse »

« Tu me manques »

« Tu es précieuse »

« J'étais égoïste »

« J'ai changé »

Trois mots auraient suffi.

Trois mots qui signifient tout.

J'étais si attachée à Barmé et Maël, aussi. Barmé, peu assuré, mais si drôle et attachant. Un peu lunaire, rêveur. Il aimait tout, voulait tout. Il avait soif de vivre, soif de découvrir. Maël était son exact opposé. Solaire, toujours prêt à offrir un sourire ou une parole de réconfort.

Sont-ils restés les mêmes personnes, encore aujourd'hui ?

Il est étrange que je repense à eux en cet instant. Ma gorge se serre, sans que je puisse l'expliquer. Ces personnes que je connaissais si bien, et dont je parle maintenant à l'imparfait. Je glisse vers une autre application pour écouter ces musiques qu'on chantait cet été, tous ensemble, au parc.

Ces notes ont résonné à l'unisson d'un bonheur pur que je ne sais retrouver..

Il y a eu Céleste, je me suis éloignée d'eux.

Céleste, mon étincelle, ma petite étoile. Tout semble me ramener à elle. Je n'ai pas envie d'y penser. Je garde les yeux fixés sur l'écran de mon téléphone, à guetter le moindre signe de réponse de la part de Celia.

Soudain, les trois petits points signifiant qu'elle est en train d'écrire se mettent à danser.

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant