CHAPITRE 7 - pigeons voyageurs

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Je m'approche de l'Arbre, le cœur battant

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Je m'approche de l'Arbre, le cœur battant. Est-ce qu'une lettre s'y cache, enfouie au plus profond de l'écorce ? Une lettre pour moi ? Est-ce que Céleste y a pensé ? Est-ce que Céleste a eu l'envie d'y penser ? Pour faire taire toutes ces questions, je passe mes mains sur la surface rugueuse. Mes doigts s'enfoncent dans une cavité. Je l'ai trouvée.

Je m'approche pour regarder.

Rien. Rien que des araignées. Je frémis de dégoût. Je retire les toiles empêtrées autours de ma paume avec une grimace.

Après tout, qu'est-ce que j'imaginais ? J'ai toujours eu tendance à accorder trop d'importance aux gens, même si je viens de les rencontrer. J'ai ce besoin d'être appréciée, validée, comme si ce que je suis dépendait de ce que les gens pensent que je suis. La moindre remarque peut m'inonder de bonheur ou me noyer dans une morosité soudaine. Demain, cela fera quatorze ans que je parcours cette terre, et pourtant, il me reste tant à apprendre. Je ne sais pas si j'aurai assez d'une seule vie pour accomplir tout ce dont j'ai envie.

Je fouille mes poches.

J'en ressors un petit bout de papier ainsi qu'un crayon, et commence à noter.

Bonjour, Étincelle.

Demain, j'aurai 14 ans, tu sais. Je ne sais même pas pourquoi je te le dis, ça doit te sembler étrange. C'était sympa hier, non ? Si tu veux, passe chez moi demain, je n'ai rien de prévu à ma connaissance.

Et je marque mon adresse au dos. Nous verrons demain. J'aurais aimé que Céleste soit là. On aurait écouté de la musique, ri, observé, découvert... Le champ des possibles est infini. J'aurais aimé que Celia soit là. On aurait discuté de nourriture et de gens, de pluie et de beau temps. J'aurais aimé que Barmé soit là. Lui et sa personnalité atypique, son regard perché sur le monde et ce qui l'entoure. J'aurais aimé que Maël soit là. Ses taquineries me manquent un peu, j'ai l'impression qu'il s'éloigne de plus en plus.

Je regarde mon téléphone, désœuvrée.

Rien. Pas même de nouvelles de Raphaëlle. J'aurais voulu discuter d'écriture, et de milliers d'autres choses avec elle. D'ailleurs, je me demande comment elle est. Peut-être de longs cheveux blonds qui tombent sur ses hanches comme un ruisseau d'or. Et des yeux bleus profonds, deux océans. Je me demande si son visage est fin, si elle est petite, grande, mince ou grosse. Elle porte des lunettes, c'est la seule chose que je sais à propos de son apparence. Je les imagine épaisses, lui mangeant le visage.

Tous ces « peut-être » et ces incertitudes me donnent mal à la tête. Et puis, je crois que je l'idéalise un peu. Elle ne peut pas être tout ça, elle ne peut pas être uniquement ce qu'elle me montre, c'est certain. Malgré ça, je ne peux la voir autrement que comme une personne formidable.

J'espère que je la verrai un jour. Parce que cette amitié que nous entretenons est bien réelle, mais pas tangible. Est-ce qu'elle est la même en dehors de l'écran ? Est-ce qu'on s'entendrait quand même, si nos paroles n'étaient pas filtrées par la distance ?

Je me laisse glisser le long de l'arbre. Ce paysage familier me parait bien fade, assombri par les nuages lourds qui grondent au-dessus de moi.

 Ce paysage familier me parait bien fade, assombri par les nuages lourds qui grondent au-dessus de moi

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Je donne la salière à ma mère.

— Vous travaillez tous les deux demain ?

Mon père grimace.

— Oui, on ne sera pas là. Je pars tôt demain matin, mais je serai rentré tôt pour dîner à la maison.

Je baisse les yeux, déçue. Cela fait quelques années que je n'ai pas passé ma journée d'anniversaire avec mes parents. Les gâteaux au chocolat à l'ombre de mon figuier, les cadeaux et les rires à la lumière de midi, tout ça semble bien loin. Cela paraît appartenir à une époque révolue. J'ai l'impression qu'une page est en train de se tourner.

Je me désespère. Du haut de mes quatorze ans moins un jour, je parle d'époque et de nostalgie. Qu'est-ce que je connais de la vie ?

Je soupire.

Mon père me caresse les cheveux avec affection.

— Eh, on mange quand même ensemble demain, tu sais ? Et puis, je suis sûr que tu vas passer une excellente journée ! Pourquoi ne pas voir tes amis ? C'est juste qu'on travaille beaucoup en ce moment, sourit mon père.

Je hausse les épaules, un peu rassérénée par cette idée.

— Au fait, dit ma mère, nous n'avons pas reparlé de ton escapade de l'autre fois. On en a discuté, et en soit, ça ne nous pose pas de problème si tu rentres tard, mais préviens. D'accord ?

J'acquiesce.

J'entreprends de finir mon assiette, un sourire aux lèvres.

Des fois, j'oublie la chance que j'ai de grandir dans une famille comme celle-là, dans une vie comme celle-là.

Nuages et étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant