Colombe

Chap. 3

Colombe est penchée au dessus du trou qui a déjà dévoré sa tante. Elle n'écoute pas les prières du prêtre qui fait des signes de croix dans l'air, et n'entend pas les sanglots de sa sœur tout près d'elle. Elle ne voit pas le monde autour qui assiste à l'enterrement. Elle n'entend que son sang battre dans ses tympans, et sa respiration longue et profonde. Ses joues sont sèches, comme si le malheur était trop grand et le choc trop immense pour que les larmes réussissent à sortir.
En face d'elle, de l'autre côté de la tombe, derrière quelques villageois, Anastase la regarde. Il cherche son regard, aimerait tant la prendre dans ses bras, la consoler. Mais ils ne sont pas mariés, c'est impossible.

Finalement, la courte cérémonie prend fin, et Colombe vient entourer les épaules de sa sœur de son bras.

-Rentrons...

La petite foule se disperse, et les deux sœurs se mettent en route. Alors, Anastase s'approche d'elles, et aussitôt Colombe l'évite. Le jeune homme de vingt ans n'insiste pas et ne vient pas à sa rencontre.
Quelques mètres plus loin, un cheval vient de planter sur leur chemin. Un homme descend. Colombe le reconnaît immédiatement.

-Rentre à la maison Agnès, je te rejoins.

Sanglotante, Agnès s'éloigne. L'homme la regarde partir. Il porte une cape rouge, étoffe très coûteuse, et des bottes de cuir noble. Âgé d'une petite quarantaine d'années, il en fait quelques années de moins grâce à la bonne santé dont il a toujours été béni. Ses cheveux sont blonds et il a le corps robuste des guerriers.

-Je suis désolée pour ta tante.
-Merci.
-Qu'allez-vous faire maintenant, toi et ta sœur?
-Je vais m'occuper d'elle, de notre maison et de nos champs.
-Vous êtes deux femmes. Lorsqu'il y avait ta tante déjà, vous avez eu de la chance que rien ne vous arrive. Vous ne pouvez pas rester ainsi seules.

Colombe le fusille à de ses yeux bleus.

-Si nous pouvons, et c'est ce que nous allons faire, dit-elle en le contournant pour s'éloigner.

Il remonte à cheval et se met à trotter tranquillement à côté d'elle.

-En tant que Comte, ses terres m'appartiennent.

Cette fois, Colombe s'arrête et lui fait face, relevant la tête pour le voir.

-Ses terres sont à ma famille!
-Non elles sont au Comté, comme toutes les autres. Elles ne vous sont que prêtées à vous les paysans pour que vous puissiez les labourer.
-Oui, mais c'est justement à moi qu'elles doivent revenir.
-Pas nécessairement non.

La jeune femme essaye de rester calmer malgré la colère et la peur de voir tout ce qu'elle possède lui être arraché.

-Pourquoi me les retirer? Je serai une bonne paysanne, vous le savez, j'y donnerai ma vie.

L'homme redescend de plus belle de cheval.

-Justement. Je ne veux pas que tu y donnes ta vie. Tu es trop belle et intelligente pour te tuer dans les champs. Lorsqu'il y avait ta tante je comprends que tu souhaitais rester au près d'elle et ne pas l'abandonner, voilà pourquoi je ne t'en ai pas voulu de m'avoir rejeté comme tu as osé le faire, mais aujourd'hui rien ne t'oblige à continuer de mener cette vie si pauvre.
-Il y a ma soeur!
-Elle a quinze ans. Elle a l'âge de se marier, et elle est jolie, elle trouvera un mari parfait. Tu n'es pas sa mère, tu n'as pas à t'occuper d'elle.
-Nous sommes tout l'une pour l'autre.
-Tu n'as pas à l'abandonner.
-Ça serait tout comme, dit-elle en le dépassant encore, pour continuer sa route.

Dans son dos, il lance alors:

-Si tu étais Comtesse, ta noblesse te permettrait de te consacrer à toutes les études que tu pourrais souhaiter. Tu ne perdrais plus de temps à t'occuper des champs et pourrait te consacrer à ce pour quoi tu es faites. Et grâce à ta richesse, tu pourrais vraiment aider ceux qui en ont besoin.

Colombe s'arrête. Elle n'avait jamais vu les choses sous cet angle.
Mais elle ne veut pas se marier. Jamais. Avec personne. Encore moins avec cet homme qui ne cherche qu'à la posséder et l'enfermer malgré toutes ses belles promesses.
Elle se tourne une dernière fois vers lui et dit doucement:

-Je suis désolée, mais je veux rester libre. Je ne peux pas vous épouser.

Et sans lui laisser le temps d'ajouter quoi que ce soit, elle se met à courir en direction de chez elle.