Chap. 50

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Les trois corps sans vie gisent dans la boue et sont maltraités par les personnes les plus proches. On crache sur les cadavres, on urine, on se moque, on hurle.
Mais peu à peu, la foule finit par se calmer, et se disperser.
Colombe a cessé depuis longtemps d'observer les corps. Elle n'a pas besoin de voir ça, d'assister à ça.
Leur mort ne la rend pas malheureuse, mais elle ne s'en réjouit pas non plus. Elle-même a faillit mourir de la sorte, brûlée vive et huée par la foule. Et même si elle a vécu les sévices des trois frères plus longtemps que personne, elle n'estime pour autant pas que ceci est la justice. Elle aurait voulu pouvoir s'exprimer, raconter, et écouter les autres victimes. Elle aurait aimé une justice impartiale et calme. Mais ça, c'était juste de la vengeance, ça n'avait rien de juste.

-Qu'est-ce qu'on fait d'elle?

Soudain, Colombe revient à la réalité quand elle réalise qu'on parle d'elle.

-On doit l'interroger, savoir ce qu'elle faisait avec eux. Enfermez-la dans une cellule, et nous verrons, répond l'homme qui parlait à la foule quelques instants plus tôt.

Deux hommes se chargent alors de tirer la jeune femme hors de la place du village. Ils l'emmènent dans le sous-sol du bâtiment le plus grand du village à l'exception de l'église, et l'enferment dans une petite cellule froide et obscure après l'avoir détachée.

On l'abandonne là, et Colombe finit par simplement s'allonger sur le sol humide, recroquevillée sur elle-même, attendant fébrilement de découvrir le sort qu'on lui réserve.


Ce n'est que le lendemain matin qu'on vient la chercher. On la sort de sa cellule, on lui rattache les poignets, par devant, et on la fait monter dans ce bâtiment dont elle n'a vu que le sous-sol. Elle comprend qu'il s'agit sans doute de la maison du seigneur ou du moins du responsable qui vit ici, et qui permet d'écouter les demandes du peuple et rendre la justice.
L'homme qui hurlait à la foule sur l'estrade hier, qui semblait être le chef de tout le groupe d'hommes qui les ont capturés, est aujourd'hui assis sur le seul fauteuil de la grande pièce. Il doit avoir une trentaine d'années. Il lit des parchemins. A ses côtés, une femme, sans doute son épouse, et à leurs pieds deux jeunes enfants. Une autre femme est un peu plus à l'écart, et plusieurs hommes armés bougent dans la pièce.

-Mon Sieur Eudes, voici la femme.

L'homme relève les yeux vers elle, et toute la pièce devient silencieuse. Même les deux enfants qui ont à peine l'âge de marcher ne font plus un son.

-En effet, la voici... Comment t'appelles-tu?
-Colombe Mon Sieur. Mais je vous assure que...
-Silence femme! la coupe immédiatement un garde.

Eudes se lève et approche de quelques pas.

-Que faisais-tu avec ces criminels?
-J'étais leur prisonnière. Ils m'ont tenue captive pendant près d'un mois. Je n'étais pas avec eux par plaisir croyez-moi. Je suis tout autant une victime de ces hommes que l'ont été les braves gens de votre village...

Un silence de réflexion passe, durant lequel Eudes observe Colombe de haut en bas avec douceur. Soudain l'épouse s'affirme:

-Elle ment c'est évident!
-Et qu'est-ce qui vous fait affirmer une telle chose ma chère épouse?
-Cela se voit! Elle a des yeux perfides. Des yeux de sorcière!

Ce mot, encore et toujours. Colombe en a un frisson incontrôlable.

-Vous voyez! Elle faiblit à la simple prononciation de ce qu'elle est vraiment!
-Non! Non je ne suis pas une sorcière, je suis...
-Vas-tu donc te taire?! lui crie le même garde.

Eudes croise les bras, ne semblant pas la penser coupable, il dit simplement:

-As-tu une preuve de ce que tu affirmes? Quelque chose qui pourrait nous prouver ta bonne foi?
-Faites moi examiner. J'ai été violée et battue pendant toutes ces dernières semaines. Mon corps en porte les traces, et mon visage aussi, vous le voyez bien!
-Bien, c'est ce que nous allons faire. Mais pas ici, trop de yeux innocents. Emmenez-la dans mon bureau, et faites appeler une nonne.

Alors, Colombe est emmenée, et juste avant de quitter la pièce elle jette un regard furtif à l'épouse. Dans ses yeux, elle remarque alors une colère farouche et une tristesse infinie.

ColombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant