Chap. 12

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• Décembre 1347

-Colombe!

Agnès se précipite dans les bras de sa sœur lorsqu'elle la voit arriver dans le chemin de la maison. Elles s'étreignent un long moment, ne s'étant pas vues depuis quatre semaines, lors du mariage.

Anastase, sa mère et et ses sœurs, arrivent au même moment. La mère, qui paraît plus âgée qu'elle ne l'est vraiment, fait une révérence maladroite, suivie aussitôt par ses filles.

-Madame La Comtesse...
-Oh non non non! Pas de ça je vous en prie, c'est toujours moi, vous n'avez pas besoin de faire ça, surtout quand nous ne sommes qu'entre nous. Je suis venue pour voir Agnès. J'ai appris que vous l'aviez recueillie. Je vous en serai éternellement reconnaissante. Tenez, pour vous remercier, même si ce n'est pas grand chose.

Colombe tend un panier que l'une des filles vient récupérer à deux mains. A l'intérieur, de la viande, du miel, des truffes. Tout un assortiment d'aliments trop cher pour qu'une famille telle que celle-ci puisse se le permettre, ainsi que du tissu neuf.

-Oh merci Madame La Comtesse! C'est trop!
-Non je vous assure, ce n'est rien. J'essayerais de vous en apporter régulièrement. Je n'ai pas d'argent à moi mais je peux me promener où bon me semble dans le château, cuisines comprises. Essayez de ne pas trop ébruiter ce que je fais ou je risque quelques ennuis.

Colombe pousse un petit rire qui suit cette dernière phrases, pour essayer de détendre l'atmosphère, mais personne ne semble trop dupe.
Anastase, lui, n'a toujours pas dit un mot, et fixe Colombe sans rien laisser paraître sur son visage, un pas derrière le reste de sa famille.

-Voulez-vous entrer? Vous assoir près du feu un instant? Geneviève fait une infusion de feuilles de vignes délicieuse!

Colombe sourit. Elle ne devrait pas. La place d'une comtesse n'est pas dans la maison de paysans, le comte ne serait pas ravi de l'apprendre. Mais elle donne moque. Elle est trop heureuse de pouvoir revenir à sa vie d'autre fois.

-Oui avec plaisir.

Tout le monde entre.
On la fait assoir sur une chaise près de la cheminée. L'automne est là, mais il ne fait pas encore froid. Seul le vent frais est désagréable lorsqu'il glisse dans le cou.
On lui serre une infusion, qu'elle boit doucement, tandis que sa sœur est collée à elle.
Finalement, Anastase parle pour la première fois:

-J'aimerais parler à La Comtesse maman. Seul.
-Oh... oui je vois, nous vous laissons.

Agnès n'est pas ravie, mais elle aussi quitte la pièce.
Anastase prend une chaise, et s'assoit aussi près de la cheminée, sans pour autant se rapprocher trop d'elle. Il observe les flammes.
C'est Colombe qui finit par briser le silence;

-Merci encore pour Agnès. Quand j'ai appris qu'il avait attribué notre maison à d'autres métayers j'ai eu peur que...

Il la coupe:

-C'est normal. Tu sais très bien que je n'aurais pas laissé Agnès à la rue. Et ma famille non plus.
-Il n'a pas voulu qu'elle vienne vivre au château. Mais j'ai fini par réussir à le convaincre de me laisser aller lui rendre visite.
-Je croyais qu'il t'avait dit qu'il te laisserait faire ce que tu souhaites.
-Ça c'était avant qu'on soit mariés... ironise-t-elle.

Silence.

-Tu es... heureuse?
-Je ne suis pas malheureuse. Je veux dire: je vis dans un château, je mange comme quatre, on m'habille, on me coiffe, on fait mon feu. Que demander de plus?
-Être libre?

Colombe sourit en regarder le contenu de sa tasse. Elle n'a pas à lui mentir en lui faisant croire que toute sa vie ne s'est pas effondrée: c'est une évidence.

-Il te laisse apprendre? Lire? Étudier?
-En fait, à part le soir, il ne s'intéresse pas trop à moi, alors ça va. Je lis oui, ça occupe la majorité de mes journées. Mais je suis toujours accompagnée, par une servante ou un garde, qui est censé me protéger. Mais je sais qu'ils sont surtout là pour m'espionner.
-Je n'ai vu personne avec toi là.

Colombe sourit de plus belle:

-Je vous l'ai dit: je vais avoir des ennuis en rentrant.

Anastase sourit aussi. Mais avec une tristesse infinie.

-Et... le soir?
-Ne m'oblige pas à le dire.
-Tu... penses être enceinte?
-Je fais tout pour que ça n'arrive pas. Je prends un mélange de certaines plantes en cachettes qui est censé rendre stérile une courte durée, qui s'étend si on en prend régulièrement, mais ce n'est pas entièrement fiable. Et sinon... j'essaye les méthodes mécaniques. Lorsque ce sont les jours où je suis le plus fertile, je fais en sorte qu'il... tu vois... n'importe où ailleurs que dans mon ventre.
-Tu crois que ça va durer longtemps avant qu'il ne s'en rende compte?
-Je ne sais pas, mais je me dis que si ça marche et que je ne lui donne pas d'enfants, il finira peut-être par vouloir annuler le mariage, pour stérilité de ma part. Et au moins, plus personne ne voudra jamais m'épouser.
-...Moi je le voudrai toujours...

Les deux jeunes gens se regardent un instant, puis Colombe se lève.

-Je suis désolée, je dois rentrer. Je reviendrai dès que je pourrai. Au revoir Anastase.
-Au revoir Colombe.

ColombeWhere stories live. Discover now