Chap. 9

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Colombe ne ferme pas l'œil de la nuit, incapable de trouver le sommeil entre l'angoisse d'imaginer Agnès et Anastase enfermés, et l'effroi a l'idée de ce mariage forcé.
Pourtant elle essaye de se rassurer, se disant que le comte n'était pas assez stupide pour tuer ses proches s'il espérait s'attirer sa sympathie, et qu'après tout ce mariage ne serait peut être pas si néfaste pour elle. Elle se souvient des paroles de Walderic après l'enterrement de sa tant. Il est vrai que le statue de comtesse ne pourra que l'aider à apprendre d'avantage, à venir en aide à tout le village et à se procurer savoirs et ouvrages, peut-être même un professeur... Mais elle ne rêve pas trop non plus. Elle imagine déjà les obligations liées à ce titre et surtout, surtout elle sait que Walderic ne lui épargnera en aucun cas ses premiers devoirs d'épouses, à savoir copuler et enfanter.
La simple idée d'imaginer son sexe en elle, sa semence dans son ventre, et son enfant qui en sorte, elle en a la nausée. Elle ne veut pas être mère, elle ne veut pas être épouse, elle ne veut rien de tout ça, et encore moins avec cet homme là. Certes riche, puisant, et d'un beauté charismatique et virile que certaines peuvent adorer, mais Colombe sait cet homme cruel, pervers et idiot. S'il avait été intelligent il se serait contenter de la violer, pas de l'épouser. Il se condamne lui-même à un mariage malheureux pour le reste de ses jours. Et Colombe aurait largement préféré subir un assaut bref et bestial, plutôt que devoir les subir peut-être chaque jours de sa vie future.

Le soleil est à peine levé à l'horizon lorsque la porte de la chambre est brutalement ouverte et que quatre servantes s'introduisent à l'intérieur.
En l'espace de deux heures, Colombe est lavée, séchée, massée, huilée, démêlée, coiffée, habillée et chaussée. On applique sur sa bouche des pétales de roses coupées pour rendre ses lèvres plus colorées, et un voile beige est posé sur sa coiffe pour recouvrir son visage. Sa robe longue est beige et mauve, et il y a des fleurs dans ses cheveux recouverts partiellement d'un second voile. Colombe ne s'était jamais sentie ni vue ainsi, et elle se trouve à la fois magnifique et sale. Elle aimerait arracher tout ces préparatifs et sauter par la fenêtre. Mais elle n'en fait rien: il y a Agnès. Il y a Anastase.
Elle sort de la chambre et les deux gardes qui, elle le devine, ont passé la nuit devant sa porte, l'escortent jusqu'à l'extérieur.
Dans la cour, des paysans et serviteurs rassemblés qui clament leur joie en la voyant arriver.
Le mariage d'un noble est toujours une festivité pour le peuple, mais que ce mariage se fasse avec une femme de ce même peuple... leurs exclamations sont si assourdissantes que Colombe doit se faire violence pour ne pas plaquer ses mains à ses oreilles.
On jette des fleurs à ses pieds tout au long de son chemin jusqu'à l'Église.
En l'espace de vingt-quatre heures, la petite guérisseuse du village était devenue la presque comtesse.
En voyant la joie sur les visages, la jeune femme se force à sourire du mieux qu'elle peut, trop heureuse que son visage soit un peu dissimulé par son voile, afin que personne ne puisse voir des yeux brillants de désespoir.

Malgré tout, elle pense à eux, tous ces gens, dont elle connaît la plupart. Elle se fait la promesse de les aider plus que jamais des que ce mariage sera célébré.

Ils arrivent à l'Église où la foule n'est pas autorisée à pénétrer en ce jour de fête, et une fois entrée on referme les portes derrière elle.
Près de l'autel, un cardinal, sans doute venu dans le comté spécialement pour l'occasion car il n'y a que de simples prêtres ici. Mais le voyage est long, et Colombe comprend que tout ceci est orchestré depuis bien longtemps, ce qui ne fait qu'amplifier sa rage.
A côté de l'homme de Dieu, Walderic, vêtu d'un splendide habit rouge et or. Il est plus élégant que jamais, semblant un peu moins près à trucider le premier homme ennemi venu sur sa route. Mais un guerrier est un guerrier, et même en ce jour, même dans une église, Colombe devine le poignard dissimulé sous sa cape.

Enfin, et à sa plus grande surprise, elle voit Agnès et Anastase. La première est gentiment assise sur un banc, joliment coiffée et vêtue, et le second est debout, dans l'allée qui mène jusqu'à l'autel.
Colombe ne comprend pas. Elle se fige. Est-ce un piège? L'un des gardes l'invite doucement à avancer jusqu'à Anastase par une main de le dos, en lui chuchotant:

-Puisqu'il est comme votre frère, Monsieur Le Comte a pensé qu'il était logique qu'il vous conduise à l'autel en tant que plus proche parent masculin.

La jeune femme se redit de plus belle, mais elle obéit, vient glisser son bras sous celui de son amant, et ensemble ils avancent lentement jusqu'à la potence de la vie désirée de Colombe.
Elle comprend que Walderic ne s'est pas laissé berné par cette histoire d'amour fraternel, bien qu'il est en revanche gobé sa soi disant virginité inviolée. Il veut leur faut comprendre à l'un comme l'autre qu'il est plus fort qu'eux, et qu'il les a à l'œil. « Garde tes ennemis près de toi ». Pourrait-on faire plus près qu'Anastase en cet instant?
Cette fois encore pourtant, Colombe ne pleure pas, malgré sa tristesse, sa rage, son désarroi.

Finalement, juste avant que son amant ne donne le relaie de sa main à son futur époux, Colombe murmure, la bouche cachée par son voile:

-J'aurais dû t'épouser, quand je le pouvais encore... Je me croyais intelligente, mais je suis une imbécile. J'ai cru à ma possible liberté. Je n'avais pas saisi à quel point les femmes ne peuvent pas être libres.

ColombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant