Chap. 36

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• Juin 1348 •

Colombe regarde une dernière fois le château où elle a vécu ces six derniers mois, puis reprend son baluchon sur son épaule et marche droit devant elle sur ce chemin qui la conduira là où ses pieds veulent bien la porter.
Elle marche sans plus se retourner, le dos droit, les poumons remplis d'air pour lui donner du courage.
Elle marche depuis environ une heure, a dépassé de loin les villages pour se retrouver dans les champs, lorsque le galop d'un cheval l'interpelle. Elle se retourne, et reconnaît la silhouette d'Ambroise. Elle soupire, continue de marcher, et en quelques instants le duc est à ses côtés.

-Colombe. Attends. Tu ne peux pas partir comme ça.

La jeune femme ne répond rien et continue alors Ambroise fait avancer son cheval devant elle pour lui couper la route. Colombe soupire tristement et contourne le cheval. Ambroise met pied à terre et la rattrape par le bras.

-S'il te plaît. Écoute moi au moins.
-Quoi? Qui y a t'il à dire? S'il te plaît Ambroise arrête, je veux juste m'en aller.
-Tu avais dit que tu réfléchirais...
-Non. Je n'ai jamais dit ça. J'ai dit que je resterai le temps que la peste se calme dans le duché, tant que vous aviez besoin de moi pour soigner les malades.
-Nous avons encore besoin de toi!
-Théodora est remise sur pieds, et ceux qui devaient mourir le sont déjà. Les gens survivront maintenant.
-Moi j'ai besoin de toi.

Colombe se radoucit et en silence elle vient poser sa main sur la joue de l'homme.

-J'ai besoin de partir. Et tu le sais.
-Parce que tu veux t'éloigner le plus possible des souvenirs qui te raccrochent à ta soeur, à ton ex-mari, à ton Anastase.

Ce dernier mot avait été prononcé sur un ton amer. Colombe retire sa main et son visage se durcit.

-Tu es jaloux d'un mort, a t'on déjà vu plus ridicule?

Elle veut le dépasser et continuer sa route mais il l'arrête encore.

-Au fond tu n'as jamais cessé de l'aimer n'est ce pas? C'est pour ça que tu ne veux pas m'aimer moi.

Cette fois la colère embrase le cœur de Colombe. Elle se retourne brusquement vers lui.

-Tu ne comprends rien! Personne ne comprend rien! Je n'ai jamais aimé Anastase comme lui m'aimais, je ne t'ai jamais aimé comme toi tu m'aimes. Et alors? Cela ne se commande pas! Pourquoi voulez vous tous enfermer les femmes dans des mariages qu'elles ne veulent pas! Je désirais Anastase, je l'aimais comme un ami. Rien de plus. Et toi tu penses que si je ne t'aime pas c'est à cause de lui?! Si je ne t'aime pas c'est parce que c'est comme ça, d'accord? Je ne suis pas faite pour aimer de cette manière. Je ne suis pas faite pour être l'épouse de qui que ce soit. L'amour le plus puisant sur cette terre était celui que j'éprouvais pour Agnès, et pourtant elle n'est plus là. J'ai sauvé ta sœur de la peste, mais pas la mienne. Et pourquoi? Parce que je l'avais abandonnée malgré mon amour pour elle. Par peur j'ai préféré rester terrer dans ton château plutôt qu'aller la retirer des griffes de ce monstre. Si j'avais été avec elle j'aurais peut être pu la soigner, la sauver. Et ça je ne pourrai jamais me le pardonner...

Les yeux de Colombe sont remplis de larmes, et ses poings sont si serrés que ses phalanges sont blanches. Ambroise l'observe, le cœur serré. Il poses ses mains sur ses bras, essaye encore de la convaincre de rester:

-Ce baiser n'a pas compté pour toi? Ce n'était rien?
-C'était il y a trois mois. Passe à autre chose!
-Je t'ai laissée en paix parce que je voulais que tu prennes le temps qu'il te fallait pour faire ton deuil. Mais je t'avais demandé de m'épouser, je sais que tu t'en souviens. Cette proposition tiens toujours. Tu serais puissante, libre, riche. Tu pourrais apprendre, lire, soigner.
-On m'a déjà faite cette promesse, et j'ai retenu la leçon. La vraie liberté c'est être seule, sans attache. Et maintenant que je n'ai plus ma sœur, plus rien ne me retient ici.
-Moi je tiendrai ma promesse. Je te le jure sur tout ce que j'ai.
-J'ai déjà été mariée, j'ai avorté, j'ai été condamnée pour sorcellerie, je ne suis plus vierge, et par dessus tout: je ne veux pas d'enfants. Un duc ne peut pas épouser une femme comme moi. Tu trouveras une personne bien mieux que moi pour ce rôle, je le sais.
-Mais c'est toi que je veux!
-Je suis désolée Ambroise, mais tu ne peux pas m'avoir. Adieu...

Et sur ces mots, elle reprend sa route, sous le regard au cœur brisé du duc...

ColombeWhere stories live. Discover now