Chap. 45

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-Qu'est-il arrivé à tes jambes?

Colombe est accroupis sur le sol à cueillir des plantes, sa robe relevée sur ses cuisses pour éviter de la faire traîner dans la boue, libérant la vue sur ses jambes nues.
C'est Jean qui vient de poser la question. Mais Tristan le lui avait déjà demandé quand ils étaient seuls, sans qu'il n'obtienne de réponse. Alors en entendant cette question de la part de son petit frère, il tend l'oreille.
Mais Colombe se contente de se relever et de s'éloigner un peu plus pour cueillir des baies noires, sans un mot, comme si elle n'avait pas entendu.
Mais Jean insiste:

-Réponds-moi. Je veux savoir.
-Ça ne te regarde pas, répond-t'elle simplement sans même se tourner vers lui.

Soudain, la jeune femme est relevée de force lorsqu'une main saisit sa crinière. Elle se retrouve nez à nez avec Urbain, témoin jusqu'ici silencieux de la scène.

-Mon frère t'a posé une question, alors tu vas répondre.
-Tu peux te la mettre où je pense la question, et ma réponse avec.

Bien-sûr, elle sait ce qui l'attend en osant répondre de la sorte. Et cela ne manque pas. Il l'a frappe en plein visage du revers de la main, sans lâcher ses cheveux, et lorsqu'elle tourne de nouveau son visage vers lui déjà recouvert d'anciens ecchymoses qu'elle lui doit, sa lèvres est ouverte et saigne. Mais elle ne baisse pas les yeux. Elle n'a pas peur.

-Réponds si tu ne veux pas que je casse ta jolie gueule déjà bien amochée.

Elle sait qu'elle perdra à ce jeu. Qu'il est capable de la frapper jusqu'à lui faire perdre connaissance. Il l'a déjà fait.

Urbain fait planer encore quelques instants la tension puis il la jette au sol aux pieds de son petit frère. Ce dernier ne semble pas ravi qu'il l'ait frappée, mais très excité de savoir enfin la raison pour laquelle la peau de ses jambes est si étrange, rugueuse et formant comme des vagues dans sa chair.
Colombe, à genoux dans la terre, s'essuie la lèvre en faisant une grimace douloureuse, puis elle relève les yeux vers Jean et soupire:

-La maison de mes parents a pris feu. Ils sont morts tous les deux. J'ai réussi à sortir, mais pas sans trace... Voilà. Content?
-...Je suis désolé pour tes parents... et pour toi... répond Jean avec sincérité.
-Je m'en suis remise ne t'inquiète pas. Je peux continuer ce que je faisais ou l'interrogatoire n'est pas fini?
-Non non c'est bon vas-y.

Colombe se relève sans cacher son agacement et retourne à ses plantes.

Plus tard dans la journée, tandis qu'ils marchent dans la forêt pour trouver un endroit où passer la nuit, Tristan revient sur cette conversation.

-Quelle est la vraie raison de tes brûlures?

Jean et Urbain sont loins devant, en train de chasser et courir comme des gosses. Colombe et Tristan, eux, sont à l'arrière, en train de marcher et porter les sacs. Elle a les poignets attachés et reliés à une corde que Tristan tient, comme on tiendrait la laisse d'un chien.

-Ce que j'ai raconté est la vraie raison. Je ne vois pas pourquoi je mentirais.
-Parce que tu n'as aucune envie de nous raconter quoi que ce soit sur toi. Jamais. En un mois, je ne sais rien de toi à part ton prénom et ton âge, en admettant que tu nous aies dit la vérité.
-Et alors? Je fais tout ce que vous me demandez. Vous n'avez pas besoin de savoir quoi que ce soit sur moi.
-Mais j'en ai envie.

Elle hausse les épaules:

-Tant pis pour toi.

Un ange passe. La marche continue, et Tristan finit par briser le silence:

-Nous pourrions en apprendre un peu l'un sur l'autre. Tu me poserais une question puis l'inverse.
-Je n'ai rien envie de savoir sur toi.

D'habitude, Colombe n'est pas aussi franche et froide avec Tristan. Elle essaye plutôt de l'amadouer, d'être gentille. Mais là elle n'en a aucune envie. Cela fait un mois qu'elle est prisonnière, sans aucune amélioration de son sort ou de l'espoir de se voir un jour libre. Les efforts elle en a assez.
Tristan ne semble pourtant pas surpris, ni en colère.

-Tu nous détestes n'est-ce pas?

Cette fois elle ne répond rien, ne le regarde pas.

Il continue:

-Je comprends. C'est ton droit. Moi je t'aime bien. C'est aussi mon droit. Jean aussi je pense, il a l'air de s'attacher un peu à toi.
-Et bien qu'il se détache. Je dormirais mieux la nuit.
-Je suis désolé pour ce qu'ils te font. Mais ce sont des hommes. Et tu es... là.
-Toi tu es un homme et je suis là. Pourtant depuis la première fois, tu n'as pas recommencé.
-Dans la nuit, sans même que tu aies un prénom, c'est différent. Maintenant j'apprends à te connaître. Je n'ai pas envie de te faire du mal.

Cette fois, Colombe arrête de marcher et se tourne vers lui, le regard suppliant:

-Alors laisse-moi m'en aller. Redonne-moi ma liberté. Je vous ai aidé autant que j'ai pu, mais je veux être libre, j'en ai besoin. Si tu as peur que je vous dénonce alors réfléchis: je suis seule. Vous m'avez trouvée seule, je veux être seule. Je n'irai voir personne. Je ne veux pas me venger, je veux simplement m'appartenir de nouveau. Je t'en prie Tristan...

L'homme l'observe un instant en silence, puis il fronce les sourcils:

-Tu as raison, tu nous es utile, bien plus que je n'aurais cru. Tu restes avec nous. Et je ne veux plus t'entendre parler de liberté. Oublie-la.

ColombeWhere stories live. Discover now