Chap. 37

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Septembre 1348 •

Ses chaussures en peau sont trouées, et ses vêtements sont usés. Heureusement, l'été est encore chaud et ses tissus légers et troués ne sont pas un handicap.
Colombe marche de villages en villages depuis trois mois, sans réel but, simplement guidée par le vent et ses pieds fatigués. Elle se nourrie grâce à ses savoirs des plantes dans la forêt, et parfois en réussissait à chasser un écureuil ou un oiseau. Elle pourrait essayer de voler, mais si elle se faisait prendre on lui couperait au mieux une main, au pire la gorge, et elle ne veut pas prendre ce risque. Elle dort dans la nature, ne s'attarde jamais dans les villages ou les étrangers sont rarement les biens venus. Lorsque l'hiver approchera, tout sera plus compliqué, mais la jeune femme préfère vivre au jour le jour et profiter du vent chaud de septembre après les orages d'août.
Marcher lui fait du bien. Elle chante, pense, observe.
Elle ne parle presque à personne, et cela l'apaise. Après tous ces mois au près des mourants, s'éloigner de la race humaine la soulage. Être dans la forêt est ce qu'elle préfère. Elle s'y sent en réalité plus en sécurité que dans les villages où les gens la regardent toujours d'un air soupçonneux. Mais elle se doit d'y passer, pour demander où elle se trouve, parfois puiser de l'eau si elle n'a pas trouvé de ruisseau.

Souvent, son esprit s'obscurcit en allant vers Agnès. Elle l'imagine, marcher à côté d'elle, gambader dans les fougères avec son sourire de jeunesse, et manger à pleine poignées des fruits des bois. Parfois elle lui parle. Lui dit à quel point elle lui manque, qu'elle espère que là où elle est maintenant elle est apaisée. Bien que Colombe ne croit pas en Dieu, elle espère de toutes ses forces se tromper, car si son âme à elle ne pourra sans doute pas être sauvée des flammes, celle d'Agnès en revanche mérite plus que celle de n'importe qui de vivre en paix.


Cela fait quelques jours que la jeune femme est installée dans une petite clairière loin de l'humanité, en plein milieu d'une forêt épaisse. Des heures durant, elle reste allongée dans l'herbe haute qui lui chatouille les joues et les chevilles, elle observe le ciel bleu, le soleil sur sa peau, les bruits de la nature autour d'elle.

Un matin pourtant, alors qu'elle a repris sa position de morte méditative après avoir mangé quelques plantes, un bruit de pas a quelques mètres d'elle la fait sursauter. Elle roule sur le ventre et se redresse juste ce qu'il faut pour observer tout en restant cachée dans les herbes.
A sa plus grande surprise, elle découvre alors une biche. Majestueuse, magnifique, au pelage d'or brillant par le feu du soleil. Le souffle de Colombe se coupe devant ce spectacle si céleste, irréel. La biche ne l'a pas encore vue, elle ne veut pas l'effrayer. Immobile, l'animal est juste là, calme.
Lentement, très lentement, Colombe se redresse. Sans un bruit. La biche tourne sa tête vers elle, et la jeune femme se fige, espérant ne pas l'avoir fait fuir. Mais non. La biche est toujours là, face à elle, et elles s'observent maintenant mutuellement.
Colombe fait un pas, minuscule, puis deux. Trois. Doucement, elle s'approche, arrive à sa hauteur. L'animal ne semble pas effrayé, peut être encore plus sure d'elle que ne l'est l'humaine.
Elle tend le bras, ouvre la main, l'immobilise à quelques centimètres du museau de la biche qui se met à sentir la peau humaine avant de se redresser toute majestueuse. Est-ce un signe d'accord?
Une seule façon de le savoir. Colombe vient déposer ses doigts fins et salis de terre que le pelage. La biche ne fuit pas, ne fait pas un bruit, ne se cabre pas. Elle se contente de fixer la jeune femme au plus profond de ses yeux.

Colombe la caresse quelques minutes, émue, et finit par murmurer:

-Agnès aurait adoré te rencontrer.

Alors, pour la première fois, la biche fait un signe de tête. Quelque chose d'infime, léger. Comme si elle n'était pas d'accord, que Colombe n'avait rien compris.

-A...Agnès?

Plus aucun signe. Juste ce regard. Encore.
Cette fois, les larmes se mettent à couler sur les joues de Colombe.

-Non... bien-sûr tu n'es pas elle. Agnès est morte. Je le sais.

Elle marque une pause, essuie ses larmes d'un geste de la main, puis vient quelques instants se coller à l'animal. Corps contre corps. Femme contre femme. Coeur contre coeur.
Elle sent contre sa poitrine les battements chauds et lourds de l'animal, et c'est la chose la plus réconfortante qu'elle n'ait pas vécu depuis des mois.

Soudain, une douleur vive et intense se plante dans le sein droit de la jeune femme au même instant que la biche pour la première fois pousse un cri plaintif insupportable.
Colombe s'écarte d'un pas, choquée, sa main sur son sein, et découvre une tache rouge recouvrir ses doigts. Elle regarde la biche qui s'effondre au sol, une flèche plantée dans son corps de part en part, la pointe en métal ressortant là où était Colombe.

ColombeWhere stories live. Discover now