Colombe

Chap. 20

Encore plus faiblement que la veille, Colombe ouvre les paupières et découvre encore un autre plafond qu'elle ne reconnaît pas.
Que s'est-il passé? Où est-elle?

Elle veut se redresser, y arrive, non sans serrer les dents de douleur. Elle a l'impression que tout son corps est endolori. Assise, elle découvre ses jambes recouvertes de linges. Elle fronce les sourcils, attrape un bord du tissu pour regarder en-dessous.

-Je ne ferais pas ça à ta place.

Colombe sursaute, découvre une femme qui vient d'entrer, un bol dans la main. La jeune femme ne dit pas un mot, et l'inconnue vient s'assoir tranquillement sur un tabouret à côté du lit.

-Reste allongé, tu as encore besoin de te reposer.
-Qu'est-ce que...

La voix de Colombe est cassée, si faible qu'elle arrive à peine à sortir des mots de sa gorge.

-Ne parle pas, économise tes forces. Tiens, je t'ai ramené du ragoût. Tu dois reprendre des forces et tu ne risques pas d'y arriver sans nourriture dans le ventre.

Sidérée, Colombe obéit et ouvre la bouche lorsque la femme lui tend une cuillère du breuvage. Méfiante, elle y goûte du bord des lèvres et ses yeux s'illuminent lorsque les saveurs délicieuses viennent chatouiller ses papilles.
Tout en mangeant, elle observe cette femme qui est en train de lui donner à manger. Elle a sans doute dans les alentours de trente-cinq ans. Ses cheveux sont d'un noir profond et ses yeux d'un bleu océan. Elle est vêtue d'une longue robe noire qui ne peut signifier qu'une seule chose: elle porte le deuil. Qui est-elle? Qui a t'elle perdu?

Lorsque le bol est fini, elle le dépose sur la table de chevet et Colombe a enfin la force de demander:

-Pardonnez-moi mais... qui êtes-vous? Où est-ce que je suis? Qu'est ce qui s'est pa...

La femme la coupe avec un sourire:

-Tu poses beaucoup de question dis donc. Une a la fois. Je m'appelle Théodora.

La dernière chose dont Colombe se rappelle, est lorsqu'elle a annoncé à Anastase qu'elle allait elle-même s'avorter.
Par réflexe, elle pose une main sur son ventre. La vie y est-t'elle encore?
Théodora semble comprendre son geste.

-Ne t'inquiète pas, j'ai regardé, tout est parti, tu ne risques pas d'infection.

Colombe est de plus en plus perplexe. Comment cette inconnue sait-elle ce qu'elle a fait?

-Dis-moi... c'est toi qui a su quoi prendre pour faire ça?

La jeune femme reste silencieuse. Est-ce une question piège? Y a t'il plus grand péché que faire ce qu'elle a fait? Va t'on la pendre?

-...Je te demande ça parce que... si c'est toi alors ça signifie que tu es instruite sur des sujets qui comptent. Tu me serais peut-être utile.

Agnès!
Elle repense soudain à sa soeur. Et cette conversation lui fait peur. Elle ne comprend rien, perdue, déboussolée.

-Je... je suis désolée mais je dois partir, je dois voir ma sœur et...
-Non ne te lève pas!

Mais trop tard, Colombe est déjà debout, et aussitôt ses jambes sans force se dérobent sous son poids et elle s'effondre au sol de tout son long.
Theodora fait le tour du lit jusqu'à elle et l'aide à se remettre au lit.

-Ça va? ... Tu es une têtue toi dis donc. Je te dis de rester allongée, pourquoi ne veux-tu pas m'écouter?

Colombe, assise dans le lit, découvre alors ses jambes nues. Une expression d'horreur déforme son visage. Sa peau ... sa peau est comme fondue. Sa chair est à vif, rose, difforme par endroits. Du bout de ses orteils au milieu de ses cuisses, les blessures sont si effroyables que Colombe en a un haut le coeur.
Et alors elle se souvient. Elle se souvient du sang, de son réveil attachée, de son procès, d'Anastase. Elle se souvient des flammes qui viennent la dévorer. Et puis plus rien. Le noir total.

-C'est impressionnant oui... Mais tu pourras vite remarcher. Tu auras toujours tes cicatrices, mais le problème ne sera qu'esthétique. En attendant tu dois vraiment te reposer.

Elle repose les linges recouvert d'une pâte étrange sur les jambes de Colombe, puis reprend le bol vide et s'apprête à sortir de la chambre.

-Il m'a dit de le prévenir quand tu te réveillerais. Ne bouge pas je vais le chercher.
-Qui ça?
-Mon frère. Heureusement qu'il était là... Tu serais morte dans d'atroces souffrances sinon.