Chap. 24

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-Attention, doucement.
-Je vais bien. Je peux le faire seule, s'agace Colombe face à tout ce petit monde qui tient tant à l'aider pour marcher.

Voilà deux semaines qu'elle est alitée depuis son réveil. Ses blessures sont toujours vives, mais Théodora a considéré qu'elle pouvait recommencer à marcher petit à petit pour empêcher sa chair de cicatriser dans une seule position, ce qui l'handicaperait par la suite.
Théodora regarde Colombe entre deux servantes avancer ses pieds fébriles sur le sol de pierre de la chambre.

-Ça me semble bien. Bientôt ça ne sera plus que de méchantes cicatrices, mais tu pourras remarcher comme avant et tu n'auras plus aucune douleur.
-Cela m'étonnerait beaucoup... marmonne la jeune femme pour elle-même, faisant référence à la douleur dans son âme.

Depuis qu'elle a appris le mariage de sa petite sœur avec le comte Walderic, elle a le sentiment que sa vie s'est arrêtée. Elle pensait qu'elle l'était lorsqu'elle brûlait sur ce bûcher, puis également lorsqu'elle s'est réveillée dans ce lit, ses jambes si blessées. Mais en réalité elle le comprend maintenant: sa pire souffrance a été cette nouvelle. Imaginer Agnès dans les bras et le lit de ce monstre, son cœur en a été si éprouvé qu'elle en a vomi de la bile amère pendant de longues minutes.
Bien-sûr, elle a tenté de se lever, de s'échapper pour retourner la voir, mais on l'en a fermement empêché. Elle a aussi voulu convaincre celui qui avait déjà tant faire pour elle d'aller sauver sa sœur, mais duc ou pas le fait est le même: un mariage est plus fort que tout. Elle est à lui. Personne n'y peut rien.
Colombe a pleuré, supplié, hurlé. Ambroise semblait réellement peiné de la voir dans un tel état mais sa décision était prise: il ne ferait rien de plus. Il s'était déjà mis particulièrement à dos ce comté. Politiquement, ses conseillers lui ont bien précisés de ne pas envenimer encore davantage la situation, encore moins pour une femme. Les conflits et guerres internes que cela pourrait engendrer seraient dramatiques, et trop d'innocents mourraient.

En plein crise, Théodora a même dû faire attacher Colombe pour la forcer à se calmer, et à lui faire boire des infusions de plantes pour l'endormir. Ses gestes violents pouvaient blesser n'importe qui mais surtout, aggraver ses propres blessures.

Colombe est désormais plus calme que jamais. Mais elle ne sourit plus, ne prend goût à rien, ni lecture ni couture, de contentant de respirer, dormir et boire. Son estomac serré refuse d'avaler la nourriture et elle ne mange que le minimum qu'on l'oblige.
Elle passe ses journées allongée à regarder le ciel par la fenêtre de la chambre, ne souhaitant qu'une seule chose: sauter, et mourir. Ce qu'elle aurait fait depuis longtemps si elle n'était pas surveillée en permanence. Mais plus les jours passent, plus sa colère et son désespoir se transforment en détachement. Elle ressemble de plus en plus davantage à un fantôme qu'à une humaine.

Maintenant, elle a un objectif: remarcher. Et pouvoir partir.
Si elle sait que le duc a voulu l'aider, et qu'elle aimerait ne pas lui en vouloir, elle ne peut s'empêcher de croire que si elle était morte que ce bûcher, Walderic aurait été satisfait et aurait laissé Agnès tranquille. La culpabilité d'avoir voulu choisir sa vie la dévore. Si elle était restée soumise et muette, sa sœur n'aurait jamais été mêlé à tout ça.
Elle n'a que quinze ans...

-Ne te fatigue pas, rassieds-toi. Je vais faire appeler Ambroise.
-Pourquoi faire?
-Il tient à te parler. Il m'a dit de le prévenir lorsque tu irais mieux.

Colombe ne dit rien pour l'en empêcher, même si elle préférait ne pas voir cet homme. Ces deux dernières semaines, elle ne l'a pas vu. Des servantes lui ont dit qu'il était passé plusieurs fois pour voir comment elle allait mais que toujours elle dormait et qu'il ne voulait pas la déranger. Maintenant, elle craint de le revoir. Elle lui en veut de l'avoir aidé, et pourtant elle devrait lui être reconnaissante. Il ne pourrait pas comprendre, et elle ne veut pas le blesser.

Quelques instants plus tard, il apparaît.

-Bonjour.
-Monsieur Le Duc.

Colombe fait une semi-révérence, ne pouvant se baisser, et Ambroise l'arrête aussitôt:

-Pas la peine.

Il se tourne vers les servantes et les invite à les laisser seuls, puis revient à Colombe qui est assise sur le rebord du lit.

-Comment vont tes jambes?
-Bien.
-Bien...

Un ange passe.
Puis Le Duc reprend:

-Que comptes-tu faire, lorsque tu iras tout à fait mieux?
-Partir.
-Où?
-Je ne sais pas.
-Tu as l'intention de retourner dans ton village n'est ce pas? Que veux tu faire? Faire échapper ta soeur? Tuer son mari? Quel que soit ton plan, sache qu'il est mauvais.

Colombe est en colère d'être si transparente.
Oui, elle veut sauver sa sœur, et oui elle veut tuer ce porc. Mais lui ne pourra rien dire pour l'en empêcher.

-Assassiner un noble lorsqu'on est de ta condition c'est pire qu'un suicide. Le bûcher semblera bien doux en comparaison du sort que l'on va te réserver. Et ça c'est en admettant que tu réussisses à aller jusqu'au bout.
-Je m'en moque.
-Et bien pas moi. Je ne t'ai pas sauvée de ce bûcher pour rien. Théodora ne t'a pas soigner pour rien.
-Vous n'auriez pas dû me sauver.
-Peut-être bien en effet, mais c'est trop tard maintenant. A la seconde où tu mettras un pied dans ce village tu seras arrêtée et brûlée ou pendue. Ça n'aidera en rien ta sœur, à part la faire souffrir. Tu devrais lui écrire une lettre. L'informer de ton état, lui dire que tu vas bien, que tu t'inquiètes pour elle. Je chercherai un de mes gardes personnels de le lui livrer en main propre, et même d'attendre sur place qu'il lui transmette sa réponse. Qu'en penses-tu?

Colombe réfléchit. En effet l'idée ne semblait pas idiote. Elle n'avait pas pensé qu'à l'inverse, Agnès aussi pouvait être morte d'inquiétude à l'égard de sa sœur. Une lettre c'est bien. Mais elle n'hésitera pas une seconde à agir si sa cadette la supplie de l'aider.

-D'accord. Je vais écrire une lettre. Et... j'ai une autre faveur à vous demander.

ColombeUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum