Chap. 33

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Leur douce étreinte les sortant un instant de ce monde finit par être rattrapée inévitablement par la réalité. Colombe renifle, ses larmes ayant enfin cessé de couler, et vient poser sa main sur le torse d'Ambroise pour doucement le repousser.
Ils se sourient, soudain un peu gênés de ce contact soudain dans lequel ils se sont abandonnés.

-Il faut que tu manges. Et que tu te reposes.

Colombe secoue la tête.

-Non... j'ai encore tellement de travail. Il y a tellement de malades...
-Que tu meures d'épuisement ne les aidera pas. Nous n'avons plus que toi. Tu dois te ménager.
-D'accord... je... je vais manger quelque chose. Mais d'abord je veux retourner voir Juliette. Elle aussi est malade.
-Bien. Je t'attends ici, dit Ambroise en hochant la tête pour approuver.

Il veut bien lui accorder ça. Mais si elle refuse de reprendre des forces alors il n'hésitera pas à utiliser son statut de Seigneur pour le lui ordonner, quitte à provoquer sa colère.

Colombe tourne les talons et retourne à la porte de la chambre qu'elle a quitté quelques instants plus tôt pour l'ouvrir.

Alors, Ambroise entend un hurlement de la part de son amie, et il se précipite à son tour dans la chambre.
Il constate que le lit est vide, la couverture repoussée et sur le matelas de paille repose paisiblement le petit corps emmailloté du nourrisson mort. Juliette n'est nulle part dans la pièce.

Colombe est à la fenêtre, penchée dangereusement dans le vide. Le sang d'Ambroise ne fait qu'un tour. Il se précipite vers elle et pose ses mains sur sa taille pour l'empêcher de tomber... de sauter? Que fait-elle? Pourquoi a-t'elle hurlé?
La réponse arrive naturellement à lui lorsque ses yeux se posent quinze mètres plus bas, que le sol de la cour, où gît dans une marre de sang le corps disloqué de Juliette.





Les gens meurent trop vite et en trop grand nombre pour pourvoir creuser des tombes individuelles pour tous et faire une cérémonie à chacun. Alors les corps sont accumulés dans des fausses communes et ensevelies sous une montagne de terre tandis qu'un prêtre encore vivant dit quelques mots.
Ambroise et Colombe sont là, près du trou si profond, avec les quelques survivants de la peste capables de tenir debout pour assister au de rire adieu pour leurs proches.
Juliette est là-dedans, sous d'autres corps. Son bébé aussi.
Colombe a reconnu certains serviteurs du château, mais c'est Ambroise qui réalise à quel point tous ceux qu'il a connu sont en train de périr les uns après les autres. Accablé, tandis que le prêtre jette de l'eau bénite sur les corps et que des hommes commencent à rabattre la terre, il murmure à l'attention de Colombe:

-Certains d'entre eux m'avaient vu naître. Je les ai connus toute ma vie. D'autres ont grandi avec moi. Et c'est moi qui vu grandir d'autres encore... Tous ces enfants Colombe...

Sa voix se brise. Colombe sent qu'il est à deux doigts de s'effondrer, sans savoir à quoi se raccrocher, lui, le seigneur de tous ces gens qui meurent sans qu'il ne puisse rien y faire.
Alors, la jeune femme vient glisser sa main dans le sienne pour la serrer avec force.

-Nous devons garder espoir et courage, tu l'as dit toi-même. Ton peuple croit en toi. Tu dois leur montrer que nous allons surmonter tout ceci.
-Pourquoi Dieu nous fait-il une telle chose? Pourquoi assassine-t'il des enfants par milliers? Qu'avons-nous fait pour mériter un tel châtiment?

La guérisseuse retire alors sa main de celle du duc et détourne enfin ses yeux du charnier.

-Je sais que je ne devrais pas dire à haute voix une telle chose... Mais je ne pense pas qu'un dieu soit responsable de tout ceci. Je ne crois pas qu'il y ait de dieu. Nous sommes seuls. Je préfère imaginer les choses ainsi, car je ne pense pas pouvoir vivre dans un monde où un dieu serait si cruel...

Ambroise tourne son visage vers elle, les sourcils froncés, un léger éclair d'incompréhension dans le regard.

-Alors... tu ne crois pas en Dieu? Je crois n'avoir jamais entendu une personne dire une telle chose. Et certainement pas une femme...
-S'il te plaît Ambroise, ne me déteste pas pour ça: je te répète simplement ce que mon coeur me dit.

Alors, Ambroise sourit, les yeux toujours humides, et il vient reprendre la main de sa compagne, et répond simplement avec une malice complice:

-Je ressens beaucoup de choses à ton égard Colombe, mais la haine n'en fais pas partie. En revanche, c'est peut-être vrai: tu es peut-être bien une sorcière.

ColombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant