9. La forêt d'Opale

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L'œil de Valin s'approchait paresseusement de l'horizon quand Paulin et Aliénor passèrent l'orée d'une vaste forêt. Les bois d'Opale, l'appelait la druidesse. Presque six lieues séparaient sa frontière sud de sa frontière nord, et près du double de l'ouest vers l'est.
Bien que l'automne ait déjà été entamé, les feuilles de cette forêt enchantée ne semblaient pas vouloir mourir, et assombrissaient davantage une voie déjà plongée dans les ténèbres nocturnes.

Ne voulant se risquer à traverser la forêt dans de telles conditions, ils décidèrent d'installer un campement précaire à la lisière de ces bois et de s'accorder du repos.
Une fois le feu allumé et quelques feuilles amassées en un matelas rudimentaire, ils s'assirent, l'estomac vide, contemplant simplement les flammèches et méditant la journée vécue.

« Merci, lâcha en premier Paulin. Pour tout, précisa-t-il.

— Je vous en prie, répondit l'autre en secouant les bûches du bout de son épée, éveillant des gerbes d'étincelles.

— Dites-moi, pourquoi est-ce que...

— Ne pouvons-nous vraiment pas nous tutoyer ? l'interrompit Aliénor avec un sourire. Nous serons ensemble pour encore un sacré temps, alors...

— Justement, renchérit Paulin. Pourquoi m'accompagnez-v... m'accompagnes-tu ? Tu avais tout, à Carmin. Une masure tranquille, de quoi vivre, la liberté...

— C'est vrai. Mais... j'ai toujours pensé que les Dragons étaient un fléau inexorable, et qu'il nous fallait vivre constamment sous la crainte de leur courroux, sous le joug de leurs caprices...
Si n'importe lequel des Cinq voulait réellement détruire le monde, rien ne pourrait l'en empêcher. Les Hautes-Terres et leur armée ont et donnent l'impression qu'il existe un espoir contre l'expansion draconique, mais la vérité est que si Varlok le voulait, il aurait déjà tout conquis à lui seul jusqu'aux Hautes-Terres. Cela lui prendrait au plus une journée...
J'ai toujours cru cela. Jusqu'à ce qu'on trouve le temple. Je ne retire rien de ce que j'ai dit précédemment : cela me parait toujours aussi ridicule, et l'épée ne suffira pas seule.
Cependant, cette... déité, si nous ne l'avons rêvée, a germé en moi un espoir que je souhaite voir grandir.
Alors de deux choses l'une : si tout ceci est vrai, alors je veux t'aider à nous débarrasser pour de bon du joug des Dragons. Et si tout ceci est faux, et que nous sommes deux fous ayant halluciné une prophétie absurde... alors assurons-nous bien d'être deux fous. »

Paulin hocha la tête, ému. Puis un bâillement traître lui rappela que le lendemain serait une longue journée, et ils se couchèrent pour de bon.

Paulin se réveilla d'un cauchemar empli de flammes et de morts ; ce rêve récurrent le hantait souvent, exhumant des souvenirs qu'il aurait préféré garder enfouis.
Le soleil s'était déjà levé, Aliénor également. Celle-ci piochait avec gourmandise dans une grappe de baies qu'elle avait dû cueillir non loin. Étant druidesse, Paulin lui fit confiance sur la comestibilité des fruits, et rejoignit le frugal repas.

Puis ils se mirent en route. De jour, la forêt méritait pleinement son qualificatif d'enchantée : chaque arbre, chaque roche, chaque ruisseau semblait avoir été peint avec une précision millimétrée dans un décor d'une grandiose harmonie.
De chatoyantes couleurs relevaient cette aquarelle de maître, de nombreux lits de fleurs couvrant un sol meuble et doux qui donnait l'illusion de marcher sur un nuage.
Des oiseaux chantaient, quelques écureuils furetaient de branches en branches, et Paulin s'extasia en repérant une loutre qui jouait avec son petit dans le lit d'une rivière.

Seulement, Aliénor demeurait tendue, à l'affût du moindre mouvement. Paulin comprit vite que sa compagne préférait se méfier des apparences, ce qui ne pouvait pas faire de mal.
Il suivit alors son exemple, et, sans pour autant fermer les yeux sur la beauté de l'environnement, resta vigilant et ne s'éloigna pas de la druidesse.

« De quoi faut-il se méfier ? demanda Paulin après un temps, incapable de discerner la moindre ombre de danger.

Aliénor quitta la scrutation des cimes des arbres pour fouiller dans sa sacoche, et en sortir une petite fiole, à peine plus grande que la moitié d'un doigt.
— Celui à qui je l'ai échangé me l'a présenté comme du venin de recluse d'Opale, expliqua-t-elle finalement.

— Et ?

— Et pour l'avoir essayé, je préférerais ne pas avoir à rencontrer ce genre de bestioles. Huit minutes pour rédiger un testament, je trouve ça plutôt court.

Une voix enfantine s'éleva dans leur dos pour répondre.
— 'Faut pas avoir peur de ça. Les recluses boulottent que les oiseaux.

Aliénor et Paulin se tournèrent d'un même geste vers la source de la voix.
Personne.

— De l'autre côté ! indiqua la voix, moqueuse.

Ils se tournèrent de nouveau, pour tomber sur ce qu'Aliénor reconnut et ce que Paulin devina comme étant une fée. Littéralement grande comme trois pommes, ses différences avec les humains ne se limitaient pas qu'à sa taille.
Entre autres, ils notèrent des oreilles en pointes, une peau pailletée tirant entre le vert et le bleu, deux paires d'ailes vibrantes dans son dos, des jambes en trois segments achevées par des crochets, et une étrange tresse de ses fins cheveux noirs formant un cercle sur son front.
En dehors de tout cela, son sourire mutin et espiègle la rapprochait grandement d'une gamine humaine, ce que son comportement semblait souligner.

« Qu'est-ce que vous faites par ici, les humains ? demanda-t-elle aux deux médusés en voletant autour d'eux.

— Eh bien... nous nous rendons en Ysgrith, répondit Paulin qui se voulait concis.

— Vous êtes des pèlerins de la Troisième ? Je savais même pas que ça existait !
La fée cessa ses virevoltes pour s'allonger sur le ventre sur l'épaule de Paulin.

— Nous ne sommes pas pèlerins, nous cherchons un temple pour accomplir une quête, la contredit Paulin.

— C'est les pèlerins qui vont dans les temples, ajouta la fée, à présent tout à fait convaincue. Dites ! Ça porte des prénoms, les humains ?

— Bien sûr ! Je m'appelle Paulin.

— Et moi Aliénor. Pourquoi pensez-vous que nous n'en n'avons pas ? Les fées n'en portent pas ?

— Si, si. C'était juste pour être sûre. Même que le mien c'est Sélénie. Soyez les bienvenus en la forêt de la Reine Opale ! »

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now