31 : Intérêt et principal

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Méturis et Aliénor s'en revenaient, les sacoches emplies d'herbes et de plantes, et les esprits libérés de quelques poids.
Songeant à s'acquitter de la dette envers le peuple rat, il et elle guidèrent leurs pas jusqu'à l'étroite ruelle et à la stèle de l'usurier.

Le prestre fit jouer de sa crécelle devant l'ouverture béante. Il ne fallut pas bien longtemps avant qu'un rongeur gris ne pointe le bout de son museau au dehors.
Il huma à gauche, à droite, puis leva son regard vers les deux lumières du médecin.

« Méturis ! s'exclama le rat surjouant l'enthousiasme.
Ainsi que dame Aliénor ! Nous nous sommes rendu compte que nous ne vous avons pas communiqué l'échéance imposée pour accomplir votre dette, sans doute revenez-vous afin de connaître celle-ci ?

Aliénor s'apprêta à répondre, mais Méturis la devança.
— Tout à fait, très cher. J'imagine qu'une dette d'une pareille difficulté d'accomplissement dispose bien d'un délai de... disons, deux mois ?

Le rat renifla, ses petits yeux noirs brillant de malice.
— Disons... deux semaines ? Nous vous laissons jusqu'à la Lune de Sang pour nous attribuer notre dû. Cela vous va-t-il ?

— Deux semaines seulement pour obtenir l'or de Varlok... Qu'en dites-vous, Aliénor ? Cela vous parait-il réalisable ?

L'intéressée ne comprit pas à quoi rimait cette mascarade, mais joua tout de même le jeu.
— Oui, cela me paraît assez raisonnable, acquiesça-t-elle.

Egregiam ! Et pour ce qui est du paiement, cette jeune dame aimerait savoir une chose : lui serait-il possible, dans l'éventualité où elle et son ami récupéreraient l'or du Second, de conserver une partie de celui-ci ?

Le rat s'offusqua.
— Quoi ? Non, vous n'y pensez pas ! C'est hors de question ! Vous nous donnerez tout l'or que vous prendrez au Dragon, sans exception !

— D'accord. Entendez-vous, Aliénor ? Les termes de la dette sont les suivants : vous et Paulin devrez vaincre Varlok, prendre l'or qu'il aura perdu lors du combat, et rendre l'intégralité de l'or ainsi récupéré au peuple rat.
Confirmez-vous, très cher ?

Le rongeur hocha la tête d'un coup sec.
— Tout à fait. Donnez-nous cet or avant que Valin ne regagne la Lune d'Opale lors de la prochaine Lune de Sang, et vous verrez votre dette acquittée et votre liberté recouvrée.

Contractum habemus ?

Nous avons un contrat, confirma le rat, souriant en découvrant ses dents tranchantes.

Méturis hocha à son tour la tête, secouant son chapeau ridiculement large et les chaînettes qui y pendaient.
— Aliénor, je vous laisse poursuivre ce que vous vous apprêtiez à faire, lâcha-t-il finalement.

La druidesse laissa glisser les bretelles qui portaient le trophée par dessus son épaule, présentant la lame d'or au rongeur.
Le regard incrédule de ce dernier jongla entre le visage de la jeune femme et l'éclat du trophée.
— Qu'est-ce à dire ? demanda-t-il finalement, ayant soudain perdu tout son surjeu.

— Voilà l'intégralité de l'or récupéré après avoir vaincu Varlok, commenta Aliénor, qui avait compris le manège du prestre.

En effet, présenter la seule corne d'emblée aurait sans doute mené le rat à réfuter le paiement, ou bien à avancer la date de l'échéance. Comme pour donner raison au stratagème manigancé par le prestre, le rat s'emporta, découvrant ses crocs.
— Mais... mais... vous vous fichez de nous ? Varlok possède cinq splendides cornes en or ! Vous n'avez qu'une partie d'une seule d'entre elles !

— C'est là l'intégralité de l'or récupéré, répéta Méturis. Elle vous le donne, ainsi que le stipulaient les termes de l'accord que vous avez accepté.

L'usurier hérissa ses poils.
— Mais... vous essayez de nous arnaquer, ma parole !

Aliénor se plut au jeu, et poursuivit sur sa lancée :
— La dette demandait l'or de Varlok ? Le voici. Je n'ai pas pu en prendre plus, mais la dette est complétée.
Peut-être aurait-il fallu stipuler que vous vouliez l'intégralité de l'or de Varlok, et non l'intégralité de ce que nous avons pu lui prendre.

Sur ces mots, la druidesse déposa la lame au pied de la stèle, sous le regard ébahi du rat.

— Vous êtes très forts, admit-il en calmant sa colère.
Celle-ci paraissait, après coup, tout aussi feinte que ses extases.
— Bon sang... cracha-t-il. Vous feriez d'excellents rats, vous l'ai-je déjà dit ?
Cette fois-ci, le compliment paraissait être une insulte entre les dents du surmulot.

— Il me semble bien, répondit le prestre, amusé. À une prochaine affaire, alors ?

— Comptez là-dessus, Méturis ! Nous saurons nous montrer vigilants... »
Le rongeur s'en retourna dans sa stèle, ordonnant sans doute à quelques subalternes d'aller chercher la corne d'or du Dragon.

Méturis et Aliénor reprirent leur route, tirant grande satisfaction d'avoir non seulement évité le probable coup bas du peuple rat, mais de les avoir roulés dans la farine en prime.
La druidesse attendit d'être sortie du quartier étroit pour poser la question qui la taraudait :

« Comment pouviez-vous savoir que les rats ne savaient pas ?

— La réaction de l'émissaire. Il n'avait pas dans le regard l'étincelle du rat qui s'attend à voir de l'or.

— Vous aviez dit que les rats étaient partout et savaient tout... comment ont-ils pu rater un événement tel que le duel de Varlok, ou même son retour à Ovilath ?

— Eh bien, j'imagine qu'il n'y a pas de rat à Castel Rocacier. Les gobelins les dévoreraient.
Pour ce qui est d'Ovilath, vous pouvez être sûre qu'en ce moment même, des rats sillonnent le monde pour diffuser la nouvelle. Ils envoient des messagers en continu, de toutes façons.
Mais tout nombreux qu'ils sont, ils restent pourvus de jambes minuscules. L'information en est fatalement ralentie.

— Malin, complimenta Aliénor.

— Avec les rats, il faut toujours l'être. Ou bien l'on finit endetté. Vous l'avez échappé belle, croyez-moi.

— Je n'en doute pas... Merci encore, j'imagine.

Te gratissimum. Je vous enseignerais comment vous y prendre avec eux, à l'occasion. »

Le soigneur et la soigneuse arrivèrent finalement à la grande place principale de devant l'hôtel de ville.

Paulin en sortit à l'instant, accompagné de Sélénie. Tous se rejoignirent au centre de la place, et l'air alarmé du chevalier lui donna la parole.

« Témeriel est là, annonça-t-il sans détours.
Et nous tenons la chance d'abattre le Dernier. »

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now