27 : Après-coup

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Le débat s'était mué en insultes houleuses, et il ne manquait que peu de temps avant que chacun des généraux ayant assisté au duel ne poursuive son argumentaire aux poings.
Les uns scandaient que Paulin, ayant vaincu le Dragon en personne, devait être traité avec les meilleurs égards, tandis que les autres rétorquaient que le héros avait déclaré la guerre aux Cinq et devait donc être éliminé sur le champ.

« Fermez-la ! ordonna Témeriel d'une voix assez forte pour que tous, à défaut de trouver un terrain d'entente, ne se taisent et attendent les ordres.
Après tout, il restait Reliquaire, et donc second du Second des Cinq.

— Ce jeune homme a respecté les règles du Duel d'Honneur : il a vaincu un Reliquaire, en ma personne, et a donc mérité son Duel avec Varlok, qu'il a également vaincu.
Quiconque prétendrait le contraire manquerait de respect au Conquérant et au concept même d'Honneur. Est-ce bien clair ?

L'une des généraux, du côté de ceux qui demandaient la destruction du chevalier Destoisons, sortit de la masse des six spectateurs et pointa un doigt accusateur sur le Reliquaire.

— Varlok a abandonné, durant le duel, avança-t-elle en scrutant Témeriel du regard.
Et pourtant, ce prétendu chevalier a poursuivi le combat. Est-il autorisé de s'attaquer à un adversaire qui a abandonné ?

Témeriel ne répondit pas, restant stoïque face à cette générale. Une clameur houleuse s'éleva de nouveau parmi les cinq autres gradés.

— Était-ce autorisé ? répéta la générale, furibonde.
Et n'est-ce pas étrange qu'un chevalier vienne défier le tout nouveau nommé Reliquaire moins d'une semaine après son adoubement, et que celui-ci abandonne son premier Duel ? ajouta-t-elle en allant jusqu'à poser son doigt accusateur sur le plastron du Commandeur.

D'une voix froide et tranchante comme l'acier, Témeriel répondit sans se mouvoir d'un pouce.
— Si vous avez des réclamations ou des accusations, proférez-les de vive voix maintenant ou maintenez votre clapet clos. J'ai en horreur les paroles dans le vent.

— C'est simplement que certains pourraient penser à un complot, insinua l'opposante. Mais vous savez, je dis cela, je ne dis rien... »

Témeriel empoigna lentement la main qui la pointait, sans animosité.
Après deux mouvements rapides, la générale récalcitrante se retrouva amputée de son insolent air de défiance ainsi que de sa langue.

« Je préfère que vous ne disiez rien, alors, lâcha Témeriel alors que l'autre collait ses mains contre sa gorge fendue.
Le Commandeur avait fait cela assez de fois pour être capable de trancher la langue sans que l'amputé ne se noie dans son sang. Elle vivrait.

— Est-ce que quelqu'un d'autre à quoi que ce soit à ajouter ? demanda-t-il en se retournant vers les autres, une fois sa victime au sol, crachant sa langue tranchée.
Étrangement, personne ne trouva ses mots, et tous restèrent muets. Leurs regards étaient trop apeurés pour que leur haine ne paraisse.

Le Reliquaire apprécia.
— Retournez à Rocacier, ordonna-t-il. Et emmenez celle-ci avec vous. »
Ils obéirent.

Témeriel se tourna vers les ruines de la place, encore calcinées et marquées par le combat. Le chevalier ainsi que sa compagne avaient disparu. C'était sans doute pour le mieux, pensa-t-il en se mettant en marche pour le Castel.

Aliénor avait rejoint Paulin dès le départ du Second, vidant ce qu'il lui restait d'herbes médicinales sur les blessures du chevalier. Ce dernier se sentit bien mieux une fois son épée, qui avait perdu son éclat brillant de pureté, retournée dans son fourreau.
La druidesse ramassa également le fragment de couronne de Varlok ; long comme un brand et plaqué en or, le trophée fut assez lourd pour qu'elle eut besoin de se confectionner des bretelles de cordes afin de le porter.

Fort heureusement, il et elle avaient pensé à un plan de sauvetage dans le cas où les troupes du Second souhaiteraient leur mort - ce qui était, après avoir attenté à la vie du Dragon, plus que très probable - et où elle et il devaient s'enfuir pour retourner à la Bourgade : leurs chevaux étaient cachés, en amont du Castel Rocacier, dans un bois où ils avaient été attachés.
Le duo les retrouva en arpentant discrètement ladite forêt, et repartit au galop vers La Bourgade.

« Et maintenant ? demanda Paulin, chevauchant aux côtés d'Aliénor.

Cette dernière, sa crinière rousse lâchée dans le vent, réfléchit un instant.
— Varlok s'est rendu compte que nous avions le pouvoir d'abattre les Cinq. Et il retourne à Ovilath, où il le fera savoir à ses frères et sœurs. Je crains que les Dragons ne cherchent à détruire l'épée, à présent. Peut-être est-ce le début d'une guerre comme jamais nous n'en avons connu...

— J'aurais dû l'achever, se maudit le chevalier. J'aurais dû en finir avec lui, et l'abattre quand je le pouvais encore...

— Tu as fait de ton mieux, avança Aliénor. Je ne sais si nous aurons de nouveau l'occasion d'affronter un Dragon, mais si le cas se représente à nouveau, nous saurons mieux faire.

— Ils n'enverront que leurs troupes, contre nous. Des hordes de gobelins, de morts-vivants, de wyvernes et de phobogènes... Mais les Cinq se garderont bien de s'approcher de nous.

— On peut voir le bon côté des choses : si nous rencontrons de nouveau Varlok, un seul coup suffira. C'est déjà une petite victoire que celle de ce jour !

— Il n'y a qu'à espérer qu'elle ne soit pas la dernière que nous forgerons... » conclut Paulin en se redressant sur son destrier.
Les décisions des prochains jours risquaient de bouleverser l'Histoire et la façade du monde, et son rôle était bien trop grand dans tout ceci.

Alors, pour le moment, il se contenta du vent caressant les vastes plaines sous un ciel couvert de nuages blancs. Et se demanda si le reste était réellement important.

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now