18 : Vers le temple

151 30 9
                                    

La petite troupe, composée de Paulin et d'Aliénor ainsi que de Sélénie et de Meturis, partit aux premières lueurs, dès le coucher de la lune d'Opale. Une quinzaine de lieues séparaient La Bourgade et le temple, selon la carte si généreusement offerte par les rats : il fut donc décidé de s'y rendre à cheval, ainsi purent-ils espérer y être avant le soir.

Le Messire lui-même avait assisté à leur départ, proposant toutes les victuailles, armes et vêtements dont il disposait. L'empire d'Ysgrith était, selon ses dires, d'une chaleur implacable le jour et d'une froideur polaire la nuit. Cela était dû à la nature de son illustre impératrice, la Troisième des Cinq passant pour être faite de trois choses : de sable, de glace, et de vermine.
Tous acceptèrent donc d'emporter au moins des couvertures, en plus des rations et des épées imposées par le bourgmestre. Des bandits de grand chemin étaient si vite arrivés.

Le Messire agita même un mouchoir brodé quand les trois cavaliers partirent vers le grand nord, à travers les vastes champs de La Bourgade.

Méturis, en tête, avait gardé son long manteau fermé jusqu'aux pieds, et chevauchait donc en amazone malgré les moqueries de Sélénie juchée sur son chapeau. La robe du prestre pendait donc sur le flanc de son destrier, claquant comme une manche vide dans le vent.
Aliénor, en seconde position, tentait autant que faire se peut d'ignorer le mal de crâne causé par l'alcool de la veille. Un trajet à cheval, étrangement, ne sembla pas être la meilleure des options pour soigner ses douleurs.
Paulin, enfin, fermait la marche, songeur. Le prix imposé par les rats, ainsi que l'affirmation selon laquelle ceux-ci n'imposaient jamais de dette impossible, laissaient à croire que ce qu'ils avaient découvert au temple pouvait effectivement vaincre Varlok.
Et cela le remplissait de détermination.

Le trajet fut long, mais sans grande peine. Après environ six lieues parcourues en trois heures de chevauchée, l'influence que portait la « bénédiction » de Messire Misères fut très clairement visible.
La frontière de sa magie se montrait sous la forme d'une brusque différence de taille et d'aspect des épis de blés. D'un côté, les plantes atteignaient les épaules des chevaux et arboraient une saine couleur dorée. De l'autre côté, elles peinaient à dépasser le genou des destriers, et semblaient en bien mauvaise santé, sèches et cassantes.

Quelques heures plus loin, le blé était dévoré par des plantes bien plus sauvages, et cela n'alla pas en s'arrangeant. Bientôt le voyage se poursuivit dans des friches de plus en plus arides, où des ronces sèches et des buissons flétris étaient seules traces de vie sur une terre accidentée et craquelée.
Aucun doute possible, ils et elles s'approchaient du désert d'Ysgrith.

Et, alors qu'aucun d'entre eux n'avait pipé mot depuis le début du voyage, Meturis lança une question à travers le groupe.

« Que pensez-vous qu'il y ait, de l'autre côté de l'Ysgrith ?

Paulin et Aliénor placèrent leurs montures de part et d'autre du prestre, afin de faciliter le dialogue.

— Pourquoi devrait-il y avoir quelque chose ? demanda Aliénor, avec un mélange de plaisanterie et de désabus.
Nous sommes bloqués entre deux chaînes de montagne insurmontables à l'est et à l'ouest, et entre deux tempêtes infranchissables au nord et au sud. Pourquoi vouloir savoir ce qui se trouve de l'autre côté ?

— Valin le sait, fit savoir Sélénie, allongée sur le ventre sur le couvre-chef de Meturis, les joues retenues par ses poignets et les pieds vers le ciel.
Il voit ce qu'il y a par delà les murs la journée. On raconte qu'il raconte ce qu'il y voit à Opale. Mais elle ne veut rien dire là dessus...

— Personnellement, argumenta Paulin, je pense que l'on ne devrait pas chercher à le savoir. Au risque d'être déçu s'il n'y a rien d'incroyable, ou tout à fait perdu, si l'univers se révèle infini de l'autre côté...

— Boh ! Il peut pas être infini, puisque le soleil et Valin en font le tour tous les jours !

— Tu marques un point, admit Paulin.

— S'il y a des terres, commença Meturis, il pourrait y avoir des peuples. Des peuples qui ne sont pas sous le joug des Cinq.

— Pour peu qu'Ysgrith ne les aie pas réduit en poussière, rétorqua Aliénor avec le même pessimisme. On ne sait toujours pas pour quelle raison elle fut bannie des Cinq, ni ce qu'il y avait là où elle se trouve aujourd'hui avant le Jour de la Brèche. Peut-être fut-elle forcée à poursuivre ses ravages plus loin vers le nord par ses frères et sœur, qui voulaient garder leur terrain de jeu. Qu'en savons-nous ?

Paulin se retint de faire savoir qu'il ignorait que la Troisième était bannie, et fit comme s'il l'avait toujours su. Il nota tout de même qu'il risquait d'avoir encore beaucoup à apprendre.

— Mais si, proposa Méturis, au lieu de cela, Ysgrith voulut protéger les peuples au nord ? Et qu'elle fut bannie pour cette raison ?

— Vous spéculez beaucoup, vous deux, railla Sélénie. On en est où pour le temple ?

Le prestre sortit la carte et la déroula. La fée passa sa tête par delà la bordure du chapeau, afin de la lire en même temps. Les rats avaient apparemment un talent caché pour la cartographie, ainsi que pour le dessin de paysage, puisque des croquis d'éléments reconnaissables accompagnaient le plan.
— Nous sommes ici, pointa Meturis. Et nous allons là. Autant dire que nous y sommes presque.

— Juste comme ça, voulut savoir Aliénor, est-ce une règle tacite chez les rats qu'une information donnée à une personne n'est pas donnée à d'autres ?

Le prestre replia la carte avec soin.
— Bien sûr que non, ils nous auraient fait payer l'exclusivité. Pourquoi cette question ?

— Parce que j'ai bien l'impression que l'information a fuité, répondit la druidesse en scrutant l'horizon.

En effet, loin devant et à l'emplacement présumé du temple, des silhouettes semblaient se mouvoir.

— Les rats pourraient avoir vendu la mèche, commenta Méturis, suspicieux. Mais ce pourrait tout aussi bien être le mystérieux informateur qui vous indiqua l'existence du temple en premier lieu, pour le peu que l'on en sait.

— J'en doute, répondit Paulin sans développer davantage. Il n'y a qu'à espérer que ces autres explorateurs ne soient pas là pour de mauvaises raisons...

Sélénie se tourna vers l'ex berger, ex soldat, aventurier de son état.
— D'ailleurs c'est pas bien clair, vos histoires. Vous allez dans un temple mais vous êtes pas pèlerins, pour trouver une épée perdue par les âges et tuer les Cinq - mais pas tous. Vous êtes archéologues, pèlerins, ou héros ?

— Comment ça, tuer les Cinq ? tiqua Méturis en relevant sa tête. La fée fut déstabilisée par le mouvement si brusque de son support.

— Boh ! Vous lui avez rien dit ? demanda Sélénie aux deux pèlerins-archéologues.

— Il est censé se trouver dans ce temple une épée à même de vaincre les dragons, répéta Paulin pour la énième fois depuis le début de son aventure.

— Voilà qui justifie bien la dette imposée par les rats, comprit aussitôt le prestre, hébété. Et vous n'avez pas jugé nécessaire de m'en prévenir ? L'avez-vous seulement dit au Messire ?

— Nous avions peur que son possible attachement à la Troisième ne joue en notre défaveur, avoua Aliénor. Dites, ce n'est pas un cheval, qu'a notre mystérieux invité...

— Attendez, vous ne pouvez pas simplement me lancer qu'il existe une solution contre le joug draconique sans m'en expliquer davantage !

— Nous n'en savons pas bien plus, s'excusa Paulin en scrutant la massive silhouette qui semblait s'approcher d'eux à grande vitesse.

— Nan, c'est pas un cheval, commenta Sélénie, debout sur le chapeau du médecin comme perchée sur un nid-de-pie. Je crois bien que c'est un squelette de wyverne. Ou de vouivre. »

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now