36 : Au fin fond de la Solitude

133 31 4
                                    

Animée par sa funèbre mission, Sélénie guidait d'un vol peiné ses trois compagnons. Ceux-ci pratiquaient leur triste procession, la tête baissée, en suivant la lueur de deuil semblable à celle d'un funéraire feu follet de la fée. Aliénor et Méturis contèrent, durant ces sombres moments, leurs découvertes dans la salle de torture.

Le couloir, interminable, nourrissait ce silence en étouffant les pas des intrus.

Le second hybride fæbogène fut trouvé, à l'instar du premier, face à une bifurcation du tunnel vers une autre salle.
Sélénie prit son temps pour accorder à cette fée dénaturée la libération de la mort, suivant le même rituel à la lettre. Elle ne consentit qu'ensuite à explorer la seconde salle avec les autres, muette et renfermée.

Cette pièce-ci était grande ouverte sur l'extérieur, un mur effondré laissant le froid de la tempête pénétrer dans la forteresse. Le large chemin de pierre sur lequel donnait le couloir, élevé d'une toise comme un ponton de port, dominait un sol jonché d'ossements en contrebas.

Dans la zone inférieure, deux grosses masses sombres gonflaient lentement, puis se résorbaient avec la même cadence. En s'approchant avec prudence, les intrépides explorateurs y reconnurent les silhouettes de deux vouivres assoupies, sur les écailles desquelles les flammes se reflétaient comme sur de l'or.

Le groupe retourna prudemment sur ses pas, faisant bien attention à ne pas réveiller les reptiles. Une wyverne adulte pouvant soulever un cheval dans son vol et réduire une maison en cendres par son souffle, nul ne savait ce dont auraient été capables de telles créatures mutées par la folie du Dernier. Nul, d'ailleurs, n'avait réellement envie de le savoir.

Les ténèbres, à nouveau, les accompagnèrent dans leur marche. Sélénie bravait encore l'obscurité, en tête, telle la lanterne d'un passeur d'âme. Méturis, qui fermait la marche, fit part de ses pronostics concernant les sombres desseins du Dernier à mesure de leur avancée.
« Il détourne les corps, posa-t-il. Il exploite les mécanismes secrets de l'anatomie et de la biologie pour façonner ses... horreurs.
D'un œil et d'une fée, il fait un espion immobile. D'une foudre et de muscles morts, il copie le vivant. Le tout en utilisant la pire des magies qui puisse être : la science...

— Nous n'avons toujours pas découvert d'où viennent les phobogènes, rappela Paulin.

— Le bastion est grand, avança Aliénor. Nous n'avons vu que quelques salles sur les centaines qu'il doit contenir. D'ailleurs, n'en serait-ce pas une autre, là-bas ? »

En effet, le couloir se scindait à nouveau en deux. Sélénie appliqua d'une colère froide son rituel macabre, puis le groupe s'enfonça dans ce deuxième tunnel. Le conduit bleu, d'ailleurs, se poursuivait également dans les deux directions : le câble se scindait pour se prolonger dans le couloir général ainsi qu'au plafond du corridor qui menait à cette nouvelle salle.
Des torches éteintes ornaient les murs, que les aventuriers allumèrent petit à petit, amenant enfin un peu de lumière entre ces murs. L'heure n'était plus à la discrétion, et ne l'avait d'ailleurs jamais vraiment été. Après tout, les fæs mutées devaient avoir détecté leur intrusion depuis un long temps déjà : si le Dernier n'avait pas agi depuis lors, il n'y avait aucune raison qu'il se décide à ce moment.

Une dizaine de toise furent ainsi éclairées, jusqu'à la grande salle. À nouveau circulaire, d'une dizaine de toises de diamètre, cette pièce passait pour être le cœur du bastion. De nombreux couloirs identiques à celui par lequel les intrus venaient d'arriver partaient dans toutes les directions. Depuis là, une arborescence de destinations s'offraient.

Et, pour chacune d'entre elle, un conduit bleuâtre était incrusté dans le plafond, tous se rejoignant en un même point. Reproduisant à la perfection l'aspect d'un cerveau palpitant, le cœur névralgique des yeux fæbogènes pendait tel un lustre au centre de la salle. Juste au dessus d'un autel parfaitement identique à ceux qu'Aliénor et Paulin avaient rencontré d'abord aux abords du village de Carmin, puis aux frontières de l'Ysgrith.

Aucun doute n'était possible : le bastion était à l'origine l'un des temples dédiés aux Dragons Anciens, désacralisé par la démence du Dernier.

À peine les quatre héros eurent-ils compris la véritable nature du fort que l'autel s'alluma de faibles volutes de Purbrasier. Méturis et Sélénie subirent un recul instinctif, de dégoût autant que de crainte, mais ne perdirent pas connaissance. Les flammes blanches étaient bien plus faibles qu'au temple d'Ysgrith.

« Nobles héros, enfin vous voici... prononça la voix presque éteinte de l'Ancien Dragon. J'ai masqué au Dernier votre présence, jusqu'ici... Mais je n'ai plus de forces... Il est sur le toit du Fort... Je vous en prie, arrêtez-le... »

Les flammes s'éteignirent aussi vite qu'elles n'avaient paru. Dans un dernier effort, le spectre du Dragon lança une gerbe de flammèches blanches vers l'un des couloirs, indiquant la direction à prendre.
D'un seul échange de regard, le groupe se concerta. Le prestre et la fée étaient encore abasourdis de cette rencontre avec l'une des anciennes divinités, la première ayant conduit à leur inconscience, mais tous s'élancèrent cependant d'un commun accord vers le tunnel indiqué.

Le passage donnait sur un escalier, dont l'issue se voyait d'ores et déjà : un ciel de tempête se déchaînait du haut de celui-ci.

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now