48 : Moment de vérité

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Accoudé au garde-fou du balcon, Témeriel observait les derniers rayons du soleil mourir. Le ciel, d'ordinaire rougeoyant comme un lit de braises, s'éclaircissait alors en un dernier retour de flammes, un dernier râle de bravoure avant de s'éteindre en beauté.

Le raclement de gorge discret de son laquais Ganûk sut l'extirper de sa contemplation. Le Reliquaire quitta le chevet des cieux, non sans y jeter un dernier regard, puis rejoignit le vieux gobelin devant sa porte. Eux deux se dirigèrent vers la grande cour, d'un pas lourd.

Le Second des Cinq avait demandé au Reliquaire de se rendre en Extrême-Occident avant la Lune de Sang, afin de procéder à un adoubement en bonne et due forme de son nouveau titre.
Témeriel, bien sûr, avait accepté, non sans certains doutes. Jamais une cérémonie officielle de ce genre ne s'était déroulée auparavant, pour aucun des Reliquaires avant lui. Cela aurait pu flatter son ego d'être sujet à tant d'attentions, si seulement la cérémonie en question devait avoir lieu à la Cité-Mort Ovilath.
À la place de la citadelle historique, siège de l'Empire Draconique, berceau de la Brèche, Témeriel avait été demandé dans la cité-fille d'Arsenal.

Était-ce là une manière de le punir de son comportement au Castel Rocacier ? La ville était connue comme la caserne des Paladins Noirs, peut-être s'agissait-il alors d'un geste diplomatique afin de réconcilier les forces du Second et de la Quatrième ? Le Commandeur des armées était troublé par un trop grand nombre de questions, et Varlok lui avait alors accordé cette audience exceptionnelle.

Le gobelin s'arrêta sous les arches du cloître, laissant Témeriel seul face au Dragon au cœur de la cour.
L'âme ardente du Second semblait encore méditer dans son poitrail de métal froid. Les crissements des bottes du Commandeur sur le sable grossier éveillèrent ses flammes. Celles-ci se déployèrent doucement dans chaque pièce d'acier, mais l'armure draconique ne se mut pas avant que Témeriel n'aie posé un genou au sol.

Ses mâchoires ne tremblèrent même pas pour prendre la parole.

« Reliquaire Témeriel, relevez-vous, je vous prie. Vous m'avez fait parvenir vos nombreuses inquiétudes quant à votre adoubement prochain, aussi serai-je ravi d'y répondre le plus honnêtement possible. Je suis toute ouïe.

Le Commandeur inspira profondément. Prêt bien que raidi, il posa sa première question.
— Votre Seigneurie. Cette cérémonie d'adoubement est sans pareille, dans l'histoire de votre règne. Pourquoi soudainement mettre en place ce genre de formalités procédurières qui ne vous ressemble pas ?

Son regard ardent dans le vide, Varlok sembla chercher soigneusement ses mots avant de répondre.
Par trois fois, il parut prêt à éclairer la situation, et par trois fois il se ravisa en détournant le regard. Il lui fallut beaucoup d'efforts pour finalement s'ouvrir à son conseiller.

— Vous étiez présent lors de mon affrontement contre le chevalier Paulin Destoisons, n'est-ce pas ?

Témeriel acquiesça, se demandant cependant en quoi cela concernait son adoubement.

— Avez-vous entendu ce qu'il me dît à l'issue de celui-ci ?

— Quelque chose à propos du mensonge, me semble-t-il. Cela fait plus d'une semaine, à présent, s'excusa-t-il.

Le Dragon ferma ses paupières de fer, et récita les paroles de Paulin comme s'il s'eut agi de prières.
— "Si vous mentez aux autres, et que ceux-ci ne peuvent voir en vous que le mensonge que vous leur laissez voir, alors vous êtes le seul à vous savoir tel que vous êtes réellement.
Et si, en plus de cela, vous vous mentez à vous-même, alors vous-même ne savez plus ce que vous êtes, alors vous n'êtes plus rien. Plus rien qu'un mensonge voué à disparaître quand la vérité s'élèvera."

Témeriel demeura muet, ne sachant toujours pas où le Conquérant voulait en venir.

— Lorsque je vous ai demandé si l'omission était un mensonge, vous m'avez répondu que cette question ne menait nulle part. Vous m'avez conseillé de réfléchir sur le bien fondé de l'action plutôt que sur sa nature. (Le Dragon baissa la tête, comme honteux.)
Aujourd'hui, je peux enfin répondre. Oui, j'ai menti. Et ma vision de ce qu'est le Bien, à travers mon propre Code d'Honneur, ne cautionne aucunement ce mensonge.
Alors, pourquoi avoir mis en place cette mascarade cérémonieuse d'adoubement, m'avez vous demandé ? Parce qu'il vous fallait à cet endroit, à ce moment.

Témeriel recula la tête, les yeux plissés d'incompréhension.
— Je ne saisis bien pas ce que vous voulez dire, s'excusa-t-il encore.

— Vous êtes un combattant, un stratège et un conseiller hors-pair. Cela, nul ne peut le nier. Mais cela ne vous donne aucunement l'étoffe que le titre de Reliquaire requiert.

Comme subissant un coup de poing dans le ventre, le Commandeur eut le souffle coupé. Il balbutia, noyé sous les troubles :
— Alors pourquoi ? Pourquoi m'avoir promu ? Je... je ne comprends pas, Seigneur...

Le Dragon se recroquevilla encore, et répondit d'une voix qui résonnait comme un appel à la rédemption.
— Il me fallait un Reliquaire. Vous étiez au bon endroit, et le meilleur choix que j'avais alors.

L'incompréhension se mut lentement en colère, faisant oublier à Témeriel qu'il s'adressait à un titan de métal de de flammes de trois toises de hauteur.
— Il vous fallait un Reliquaire ? Il fallait que je sois ici, maintenant ? De quoi parlez-vous, nom d'une guivre ?!

— Tout s'est déroulé comme il était écrit... murmura Varlok, peu convaincu lui-même.

— Mais vous êtes une fraude, ma parole ! explosa Témeriel. Vous voulez me dire que je n'ai pas le niveau d'un Reliquaire, mais que vous m'avez tout de même accordé ce titre parce que "c'était écrit" ?
Écrit où, quand, par qui ? Depuis quand êtes-vous devenu fataliste, par toutes les striges ?! Vos mensonges vous suffisent déjà si peu qu'il vous faille vous terrer derrière des pseudo-prophéties pour vous justifier ?
Vous êtes le deuxième être en qui j'ai accordé mon entière confiance, et vous êtes le second à vous être joué de moi et à m'avoir trahi !
Parlez-moi honnêtement, si cela vous est possible, ordonna-t-il, enragé, au Second des Cinq. Étais-je un jouet, à vos yeux ? Étais-je un pion disposable, que vous avez placé là où il le fallait, quand il le fallait, selon votre volonté ?

Le Dragon demeura muet, la nuque courbée.

— Était-il écrit que je quitterais vos rangs ? Répondez-moi ! vociféra-t-il, attirant le regard de flammes honteux de Varlok. Votre putain de prophétie prévoit-elle que je quitte votre armée ?

— Non, répondit simplement le Second.

— Soit. En ce cas, Votre Seigneurie Draconique Varlok, Second des Cinq et Conquérant à la Couronne d'Or et Auréolé de Gloire, je vous présente ma démission. »

Sur ces mots, Témeriel tourna les talons et rejoignit son laquais sous le cloître, avant de quitter le bâtiment d'un pas fumant de rage.

Varlok, laissé seul, médita longuement sous l'œil de son lointain aîné Valin.
Sa décision fut prise aux alentours de minuit. Déployant ses colossales ailes, il prit son envol vers la Cité-Mort.

Il lui fallait confronter le responsable de toute cette débâcle.

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now