10. Sélénie

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— La Reine Opale ?

— Suivez-moi, guida Sélénie. Je connais tous les raccourcis des bois !

— La Reine Opale ? répéta Aliénor en suivant la fée.

— Oui, Opale. Vous pensez que la forêt s'appelle comme ça pour quoi ? Vous pensez que la lune s'appelle comme ça pour quoi ?

— Attendez, vous voulez dire qu'il y a des fées sur la lune d'Opale aussi ? demanda Paulin, tout à fait incrédule.

Sélénie se tourna, et vola en marche arrière pour fixer Paulin comme si ce dernier venait de confondre une botte et un gant.
Puis elle éclata de rire, ce qui fit scintiller les paillettes de sa peau ainsi que les filins de sa simple robe blanche.
— Bien sûr que non ! finit-elle par répondre après avoir calmé son fou rire. C'est simplement que c'est notre lune, parmi les trois.

— Ce n'est pas celle de Valin ? demanda Paulin sans tenir compte des moqueries. Parce que le Premier est sur "votre" lune, quand même.

— Boh ! Vous ne savez donc rien, les Humains ? Genre, vraiment, rien de rien ?

— Que ne savons-nous pas ? demanda Aliénor, qui en avait assez de jouer aux devinettes.

— Valin et Opale sont fiancés ! Comment avez-vous pu rater un truc pareil ?

— Quand ça ? creusa la druidesse.

— Boh ! Ça fait... euh... plus de dix ans, maintenant ! 'Fin je crois. M'enfin si vous le savez pas vous risquiez pas de connaître la date. C'est à mon tour de poser les questions maintenant ! Pourquoi vous allez dans votre temple en Ysgrith ?

Aliénor songeant encore aux conséquences des fiançailles inconnues d'un Dragon avec une reine des fées, ce fut Paulin qui répondit.
— Sauver le monde, globalement.

— Il est en danger, le monde ?

— Tant que les Cinq le gouvernent, oui.

— Je les trouve pas si méchants, les Cinq. Valin est plutôt sympa, même.

— Pour Valin, je n'en sais pas grand-chose, à vrai dire. Mais j'ai vu ce que Varlok pouvait faire... et j'aimerais empêcher que cela ne recommence.

— En priant dans un temple ?

— Pas exactement. Comment savez-vous si Valin est "sympa" ? Il reste sur sa Lune, et ne descend que lors des Lunes de S...
— NON ! cria Sélénie, juste à temps pour le couper.
Un silence morbide était tombé sur la forêt, comme si celle-ci redoutait un sacrilège.
— Il est des mots qu'on ne prononce pas, ici, justifia froidement Sélénie, à mi-mots.

Puis elle reprit son air espiègle et ses pirouettes aériennes.

— Ah ? D'a-d'accord, bredouilla Paulin, penaud. Enfin, quoi qu'il arrive, quand il descend, il va à Ovilath. Donc vous ne pouvez pas le voir, si ?

— Pas le voir, c'est le mot, oui ! Mais Opale peut voir ce qu'il voit, et inversement.

— Est-ce que votre... tresse, sur votre front, est en référence à Valin ? demanda Aliénor, soucieuse. Elle lui ressemble beaucoup.

— Exactement ! s'exclama Sélénie en sautillant dans les airs. C'est ma tresse divinatoire. Toutes les fées d'Opale en ont une.

Le visage enjoué de la fée conserva un fier sourire, tandis qu'un mouvement accrocha son regard derrière les deux humains. Son air enjoué fana presque instantanément, et son teint se fit livide.
Paulin se retourna pour voir ce qui mettait son guide dans cet état, mais il ne put rien voir dans la forêt, toujours silencieuse. Celle-ci semblait s'être densifiée, et avoir gagné en menace ce qu'elle avait perdu en merveille.

« Un... un démon d'Ixikriss ! hurla finalement Sélénie, dont le visage était à présent décomposé par l'horreur. Courez ! Courez sans vous retourner ! » ordonna-t-elle en se lançant dans la forêt.

Paulin et Aliénor obéirent, et coururent à la poursuite de la fée pour échapper au démon des bois. Paulin songea au venin de recluse qu'avait montré sa compagne, et se dit qu'une créature portant le doux nom de Démon d'Ixikriss n'aurait sans doute pas la gentillesse de lui laisser huit minutes d'agonie.
Alors que les branches de plus en plus nombreuses lui fouettaient le visage, il crut presque sentir le souffle rauque de la bête inconnue sur sa nuque.

Le trio parcourut facilement une centaine de toises, jusqu'à ce que Sélénie ne ralentisse, essoufflée. Ses ailes baissèrent leur cadence infernale, et elle se posa sur une branche à hauteur d'yeux.
« Je... je crois qu'on l'a semé...

— À... à quoi ça ressemble... un démon du Dernier ? demanda Aliénor, tout en reprenant son souffle.

— Nul ne le sait... On ne voit d'eux que leurs yeux de cauchemars ; ceux qui en voient plus... ne sont plus là pour en parler.

Paulin et Aliénor se laissèrent tomber, assis. La druidesse se félicita intérieurement de sa méfiance première face à la beauté de la forêt.

— Sinon, débuta Sélénie, encore épuisée. Vous avez un plan, pour aller en Ysgrith ? Une route vers votre temple ?

— À vrai dire... pas vraiment, avoua Paulin. On sait qu'il se situe aux limites de l'Empire du Troisième, mais pas bien plus.

— De la Troisième, reprit la fée. Mais vous ne savez pas où il est exactement ?

— Pas vraiment, répondit Aliénor. Pour ce qu'on sait, il se peut même qu'il soit enfoui, ou dans les profondeurs d'une grotte...

— Boh ! C'est pas très sérieux de partir à l'aventure sans savoir où on va ! On pourrait demander au Messire, je suis sûr que lui saura !

— Le Messire ?

— Ne me dites pas que vous ne savez pas non plus qui est le Messire ? s'offusqua Sélénie. Il n'est même pas de la forêt d'Opale ! Sa ville, La Bourgade, c'est chez les humains ! C'est pas... »
De nouveau, le visage de la fée perdit toutes ses couleurs, et son regard se planta sur un élément du décor.

Les deux aventuriers virent ce dont il s'agissait.
C'était un papillon.

Un papillon qui venait de se poser sur une fleur, et dont les ailes écartées arboraient des motifs circulaires qui ressemblait à deux grands yeux de hibou.

« Le démon ! C'en est fini de nous ! hurla-t-elle sans la moindre once de comédie.

— Attendez, Sélénie. C'est ça, votre démon ?

— L'on ne voit que leurs yeux, puis ils jaillissent des ténèbres pour arracher vos entrailles ! » cria-t-elle en se cachant derrière les épaules d'Aliénor.

Pour une fois, se dit la druidesse, c'était à elle d'apprendre quelque chose à la fée.

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now