35 : Sciences occultes

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Aliénor et Méturis arpentaient l'étrange salle circulaire, torche à la main.
Il et elle purent donc pleinement contempler l'œuvre du Dernier : sur chacune des dix tables de torture était attaché un corps frais. Six d'entre eux étaient des gobelins, les quatre autres humains.
La spécification des cadavres n'était réalisable que grâce à la taille et à la morphologie très générale de ceux-ci. Écorchés et méticuleusement mutilés, nul n'aurait été capable de reconnaître les personnes qu'avaient autrefois été ces sujets de test.
Au niveau du crâne, du buste et des membres, des sortes de fils gainés s'enfonçaient dans les chairs, les reliant à une barre métallique au centre de la salle.

Aliénor, plus par gêne que par dégoût, se posta devant l'une des meurtrières pour voir le grand dehors. La tempête faisait encore rage.
La druidesse ne savait pas dans quelle aile du Fort Solitude elle se trouvait. Elle ignorait donc si c'était là son premier regard sur les territoires élémentaux ou bien simplement la plus violente tempête qu'elle n'aie jamais observé.

Méturis, quant à lui, sautait de table en table, notant avec une morbide passion chacune des mutilations infligée aux corps. Les chairs à l'aspect fondu des muscles de certains retenaient tout particulièrement son attention. Peut-être était-il le premier à pouvoir observer la genèse d'un phobogène ?
Le prestre ne put résister à la tentation de prélever des échantillons, en dépit de toute répugnance, et commença à sortir ses outils de chirurgie de sa sacoche.

« Ayez un minimum de respect pour ces malheureux, demanda Aliénor. Et restez vigilant. Qui sait ce que le Dernier a pu leur infliger...

— Je pense savoir, répondit Méturis en extirpant délicatement un lambeau de chair.
On dirait bien que la démence d'Ixikriss est bien plus raisonnée qu'il n'y paraît. Je ne sais quels produits ni quelle magie il utilise, mais les corps sont parfaitement conservés. Quant aux fils, j'ignore ce qu'ils peuvent bien faire, mais cela à l'air extrêmement important dans le cadre de ces expériences. »

Aliénor hocha la tête, et regarda à nouveau par la fente. Un éclair éclata dans le ciel.
Meturis laissa s'échapper un cri aigüe de surprise et d'horreur.

« Peur de l'orage ? railla la druidesse en se retournant.

— Les... les corps, balbutia le médecin, éloigné de la table où il auscultait.

Un second coup de tonnerre résonna, et Aliénor put être témoin, à son tour, du résultat de l'expérience du Dernier. Simultanément, comme répondant à l'appel des cieux, les dix morts se crispèrent.
L'instant d'après, les corps raidis étaient revenus à l'immobilité propre à leur état.

— Par quel cauchemar ? s'écria Aliénor en brandissant sa hache.

— C'est... c'est impossible... Ixikriss pourrait...
Méturis courut, sans finir, au chevet du cadavre qu'il disséquait, récupéra en vitesse ses instruments ensanglantés et les fourra dans sa poche sans plus de soins.

— Pourrait ? demanda la druidesse, avide de comprendre à quoi rimait cette scène d'horreur.

— Il pourrait... permuter, ou au moins détourner la magie qui donne la vie aux élémentaux, ici, de foudre, pour l'insuffler dans des corps de chair...

— Mille guivres... en théorie, il peut...

— Réveiller les morts ? Je le crains. Nous devons absolument l'arrêter.

— Je pense que l'occire grâce à l'épée de Paulin devrait amplement suffire pour mettre un terme à ses agissements, nota Aliénor. Mais dans le doute, saccageons l'endroit, ajouta-t-elle en empoignant sa hache à deux mains.

— Non ! s'interposa le prestre. Vous n'imaginez pas à quel point cette magie pourrait révolutionner la face du monde !

Aliénor jaugea le médecin d'un regard suspicieux. Que le dragon ait accès à un tel pouvoir était hors de question, mais le prestre ne semblait pas révolté contre l'idée en elle-même.
— Je n'imagine que trop bien, dit-elle. L'on pourrait lever une armée de morts, par exemple. Ovilath en a déjà une, et c'est bien suffisant.

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now