Le Monde des Rêves (Terminé)(V1)

#34 ~ Jouer avec le feu

Presque tout le Morpheyes anglais était regroupé autour de la table de la salle de réunion. Topaze, Gold, Jade et Diamond développaient leur stratégie pour reprendre Raspail aux autres membres ; les quelques super-lucides restants, leurs médecins et 2 chercheurs, leurs agents.

« Par la reprise de Raspail, expliqua Jade, la lutte ne sera pas terminée. Mais nous aurons à nouveau un pied à terre en France, et en plus de capturer certains membres d'Andromède, nous pourrons libérer le gouvernement de leur emprise et exposer la vérité à tous. Par la suite, ce sera plus aisé de prendre d'assaut leur base dans les Alpes et de pourchasser ceux qui en réchapperaient. Mais nous aviserons cela bien plus tard. »

L'essentiel du groupe acquiesça. Le plan d'attaque présenté dans le bureau de Diamond ne fut pas modifié : retour en France d'une équipe avec l'aide du président, attaque de Raspail par le GIGN, aidés des super-lucides qui accéderaient à l'intérieur du bâtiment grâce à Saphir. On le baptisa « plan FVR », avec les initiales de François-Vincent Raspail qui donna son nom au boulevard.

Lorsqu'ils furent appelés à se mettre sous les ordres de Topaze pour l'opération, les 5 super-lucides anglais eurent des réactions différentes.

Leat et Bronze étaient déjà acquises à la cause. Platinum ( = platine ) , le professeur de Silver, et Clay ( = argile), un super-lucide de la première génération, obéirent aux ordres ; seul Wood ( = bois), le professeur de Leat, s'y opposa.

« Votre plan ne tient pas la route » répliqua-t-il. « Trop de sang a déjà coulé. Je ne cautionnerai pas cette attaque qui en fera couler davantage, et peut-être le mien.

- Serais-tu un lâche ? » Répliqua, acide, Clay. « Ils ont besoin de nous pour planifier l'opération, pas pour l'attaque en elle-même. Serais-tu tellement pleutre que tu crains pour ta vie même quand elle n'est pas en danger ? »

Vexé au plus haut point, Wood ne trouva malgré tout rien à redire. Il sortit, trop fier pour admettre qu'il eut tort.

« Il est extrêmement talentueux dans les rêves mais as très mauvais caractère, commenta Leat pour Grenat et Saphir. Je pense que je tiens de lui.

- Pour le mauvais caractère ? Demanda Kristen en souriant.

- Non, pour le talent. » rétorqua Leat, avec un air tellement neutre que personne ne sut jamais si c'était vraiment une blague.

La journée s'écoula tranquillement pour les deux adolescents alsaciens, qui n'avait rien d'autre à faire qu'attendre l'action. Grenat contribua à la surveillance du président, en effectuant la garde entre 13h et 16h, mais ce fut repos absolu pour Saphir, qui n'y vit aucun inconvénient après une semaine tellement rythmée. Elle avait l'impression que des mois entiers s'étaient passés depuis qu'elle était parti de chez elle pour rejoindre Thomas qui venait d'arriver gare de Strasbourg. Il aurait même dû passer le week-end chez elle. L'appel de Morpheyes avait tout changé.

Elle n'osait pas penser à sa famille ; ses parents et sa petite sœur. Morpheyes leur avait assuré une protection, mais maintenant que l'organisation était vaincue, qu'en était-il ?

Ils n'avaient toujours pas répondu à son SMS envoyé le jour de son départ, où elle racontait tout. Pourtant, ils l'avaient bien reçus, l'application le confirmait. Peut-être n'osaient-ils pas répondre. Peut-être qu'ils ne savaient pas quoi dire. Peut-être qu'on leur avait interdit de répondre... peut-être qu'ils étaient...

Elle s'interdit d'y penser à nouveau. Elle ne pouvait rien faire, alors pourquoi y réfléchir ? S'ils étaient en sécurité, ils le resteraient. S'ils étaient prisonniers d'Andromède, ils ne seront libres que selon le succès de FVR. Et s'ils étaient déjà morts, ils le resteraient.

Le retour de son copain de son tour de garde la sortit de ses sombres pensées. Ils purent prendre du recul, prendre une pause dans cette guerre, s'aimer quelques minutes.

Rubis vint les voir en début de soirée.

« Il y a peu de chance que cela arrive, mais nous aurons peut-être à nous battre au corps à corps, vous y êtes préparés, ou bien armés, et votre formation ne vous a jamais appris à vous servir d'un flingue. Il y a une salle de tir au rez-de-chaussée dans le bâtiment d'à côté, je vais vous y emmener et vous allez vous y entraîner. »

Le gérant de la salle, Limestone ( = calcaire) leur confia à chacun un Beretta 92, le pistolet le plus courant, et leur apprit à s'en servir entre 17h et le dîner. Tout en gérant le recul et en s'entraînant à recharger, les deux jeunes tirèrent durant deux heures sur des cibles plus ou moins lointaines. Grenat appréciait beaucoup plus manier l'arme à feu que sa copine, que les instruments de morts répugnaient. Il progressait plus vite, tandis que Kristen se décourageait d'un jour apprécier et savoir utiliser dans toute sa puissance ce qu'elle tenait entre les mains.

« Que tu l'aimes ou pas, lui dit Limestone, ce petit objet peut te tuer comme tuer celui qui te menace. Tes ennemis auront les mêmes. Alors, si tu ne veux pas te prendre une balle entre les deux yeux, il faudra que tu la tire avant eux, et mieux qu'eux.

- Je ne veux pas tuer, rétorqua Kristen. Je veux faire prisonnier, neutraliser, mais pas tuer...

- Parfois tu n'auras pas le choix... répondit tristement Limestone. C'est ainsi que va la vie et que vient la mort. »

Saphir resta dubitative, contemplant ce qu'elle tenait entre les mains : un objet de mort, ni plus ni moins.

« Peut-être préférais-tu que je t'apprenne à blesser ton adversaire, de façon à ce qu'il ne puisse plus te nuire sans qu'il en meure ?

- Oui, je préférerais ! » acquiesça Kristen.

Apprendre à tirer dans le pistolet ennemis, dans la jambe, se décaler pour tirer dans la main et le bras. Kristen devenait invincible. Par son entraînement psychologique, par son intelligence donnée par l'enseignement de Jade, par son endurance et son agilité, par sa puissance en tant que super-lucide, par la puissance que lui offrait l'état astral, elle prit soudain conscience qu'elle était l'une des personnes les plus puissantes du monde. Et elle fut convaincue d'une chose : avec Grenat à ses côtés, maintenant qu'ils maniaient les armes, rien ne pourrait les atteindre.