Chapitre 4 : Monsieur café

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Le 30 novembre

Mercredi, à quelques minutes de mon entrevue avec Billy, j'ai décidé de m'acheter une petite tarte aux fraises dans une des boutiques du quartier de Westboro. Il s'agissait de la première fois que je m'aventurais seule dans ce coin. Et tandis que je ressors désormais de la petite enceinte en souhaitant une bonne journée à la jolie serveuse, mon encas en main, je soupire de bien-être.

J'ai déjà traîné ici, durant mon adolescence, essentiellement avec Terrence Miller. En plus d'avoir été mon fameux voisin et un très bon ami, j'ai été secrètement amoureuse de lui durant plus de deux ans. Je crois que je n'y avais pas remis les pieds depuis qu'il est parti. Alors, autant dire que ça fait très longtemps et que c'est assez étrange.

On dit parfois que personne ne peut dépasser le premier homme que nous avons embrassé et avec qui nous avons couché. C'est vrai que je n'oublie pas John Sullivan que j'ai fréquenté durant le début de mes études universitaires. Mais ce n'est pas pour autant que cela le classe sur la première place du podium des hommes inoubliables de ma vie. Pour tout dire, Terrence et moi n'avons jamais dépassé le stade de l'amitié, pourtant il a eu une place bien plus importante que mon premier petit ami.

Venir ici fait ressurgir des souvenirs enfuis au plus profond de ma mémoire. Des instants que j'ai inconsciemment protégés et gardés dans mon esprit, et ce malgré la haine que j'ai pu ressentir à un certain moment pour celui qui était autrefois mon double.

Frustrée par les émotions qui me gagnent, je croque dans ma pâtisserie afin de passer à autre chose.

Tout en me dirigeant vers un petit parc dans l'espoir d'y trouver un banc libre, je laisse mon regard se poser sur la rivière des Outaouais au loin. C'est un endroit magnifique en toute saison. L'été, elle est limpide, l'hiver elle est glacée et je crois que je suis incapable de dire quand je la préfère.

Je soupire une nouvelle fois. Est-ce que je stresse à l'idée de rencontrer Billy ? Peut-être bien. Je n'ai pas eu de rendez-vous avec un homme depuis des lustres. Entre mon boulot, mon chien, la maison, ma famille et mes amies, je n'ai pas vraiment trouvé le temps pour m'occuper de ma vie amoureuse, si on peut l'appeler ainsi...

Finalement, j'arrive cinq minutes en avance sur le lieu de rencontre, un petit café assez sympathique qui diffuse des morceaux de musique des années 90. Sa décoration intérieure d'ailleurs rappelle le thème du commerce et me met à l'aise.

Je m'assois sur un tabouret devant une ravissante table haute et triture mes doigts d'un air absent. Si Max était là, probablement m'aurait-il conseillé de me pointer au rendez-vous en retard, question de me faire attendre. Sauf que je suis déjà la reine des employés jamais à l'heure alors je ne peux pas faire de même avec ce pauvre Billy qui a accepté de me voir.

Ce dernier arrive finalement une minute avant l'heure initiale. S'il y avait eu beaucoup de clients, j'aurais sûrement pu douter de son identité étant donné qu'aucun de nous deux n'a songé à se décrire physiquement pour que l'on se reconnaisse facilement. Mais étant donné qu'il s'agit du seul homme qui est entré dans le bâtiment en l'espace de cinq minutes, je ne pense pas me tromper.

L'homme doit faire tout juste un mètre soixante-cinq, légèrement rond, il ne correspond pas vraiment à l'image de mon Alexander imaginaire, cependant je sais que je dois lui laisser une chance. Parce qu'après tout, il y a peu de chances que je trouve un homme qui ressemble vraiment au faux petit-ami que je me suis créé. Parce que oui, dans mon esprit, Alexander avait étrangement le physique de Terrence. Pathétique ? Peut-être un peu, je dois le reconnaître. Mais le plus important est que je n'ai parlé de son apparence à personne.

— Billy Hobs, se présente-t-il en me tendant la main.

Je remarque tout de même que sa peau est douce et chaude, puis qu'il n'a pas d'alliance. C'est quand même quelque chose à vérifier, si on veut être certain de ne pas tomber dans une affaire à scandales.

— Enchantée, Annabelle Stewart.

Billy a les yeux sombres et tirés. Ses arcades sourcilières sont marquées, ce qui lui donne un petit air que je ne saurais vraiment définir. Pour le coup, je dois reconnaître qu'il est unique. Je ne pense pas que ce soit un physique que l'on oublie d'aussitôt.

Rapidement, j'apprends que cet homme a fait des études de commerce puis d'informatique, mais qu'après deux ans de cursus, il s'est rendu compte que c'était la communication qui lui plaisait vraiment. Il me dit que généralement, il n'aime pas afficher son intelligence hors norme en pleine figure dès le premier rendez-vous et qu'il se montre bien plus timide dans la boite où il travaille, mais apparemment, je le mets à l'aise et il a envie de se confier.

Plus le temps passe et moins je peux en placer une. Cinq minutes plus tard, je pourrais carrément écrire tout un roman sur son parcours universitaire et professionnel. Cependant, je doute que ce soit pareil de son côté étant donné que je n'ai même pas pu renseigner ne serait-ce que mon métier.

Alors que Billy sort un mouchoir blanc en tissu pour s'essuyer les mains, l'unique serveur de la salle, qui a probablement eu pitié de moi, vient nous demander si nous souhaitons commander. Et tandis que je m'apprête à faire mon choix, mon rendez-vous du jour déclare que nous prendrons tous deux un café noir. J'aurais bien voulu dire que je préférerais un chocolat chaud, mais la cassette qui s'était mise momentanément sur pause semble s'être à nouveau mise en marche.

Il passe maintenant aux critiques des autres sur son physique durant son enfance. Bien que ce soit un sujet sérieux, je n'en doute pas, je n'ai pas tellement envie de l'entendre parler plus longtemps. Sa voix nasillarde me porte sur le système, de même que ses manies étranges qu'il a avec son mouchoir qu'il plie puis déplie avant de recommencer inlassablement le schéma. Je suis peut-être exigeante, mais je ne pense pas que je puisse faire passer Billy pour mon Alexander et je ne souhaite qu'une seule chose désormais : m'enfuir à grandes enjambées.

Seulement comment déguerpir quand on a un roman humanisé en face de nous ? Moi qui pensais avoir plus de chance avec le coup arrangé d'Alice, eh bien je pourrais lui dire ce que je pense de son Billy !

Le serveur amène notre commande et, alors que je m'apprête à attraper ma petite cuillère pour touiller machinalement dans ma tasse, Billy s'exclame :

— Mais enfin ! On attend qu'il refroidisse un peu avant. Puis regardez-vous, vous en mettez partout. On dirait un gamin de deux ans qui s'amuse.

Mon visage se fige. Cette fois-ci, c'en est trop. Je suis peut-être un peu particulière et maladroite, mais cela ne veut pas dire pour autant que l'on peut me parler de cette façon.

— Écoutez Billy, cela fait... douze minutes, dis-je après avoir vérifié l'heure sur mon portable, que nous sommes ici et je n'ai pas pu en placer une. Vous épiez mes faits et gestes et me jugez sans retenue, mais laissez-moi vous conseiller de vous regarder dans un miroir avant de critiquer les autres. Bien, maintenant voici la monnaie pour mon café. Vous n'avez qu'à le boire puisque je n'aime que le chocolat. Je vous souhaite toute de même une bonne...

— Le chocolat ? me coupe-t-il sur un ton moqueur, c'est bien ce que je disais alors, vous êtes une vraie gamine.

Mon sang ne fait qu'un tour. S'il y a bien quelque chose que je déteste chez les gens, c'est quand ces derniers n'acceptent pas les critiques et ne peuvent pas s'empêcher d'attaquer en retour. C'est sans un au revoir que je quitte le café. Je fais cependant un signe de tête au serveur qui semble compatir pour moi. Si seulement ça avait été avec lui que j'avais eu rencart, peut-être que les choses se seraient passées autrement.

Ah que l'on ne me reparle pas de rencontrer un collègue de boulot !

Je dois reconnaître qu'il y a malgré tout un point positif à cela : j'ai le reste de mon après-midi de libre désormais et bien que ça va me faire gaspiller du carburant, je vais rentrer chez moi pour me détendre avant ce soir et donner la sortie que Happy mérite. Lui au moins ne m'a jamais traitée de gamine. Non mais !

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NOTE AUTEUR

Premier candidat, premier échec ! Pauvre Annabelle... Qu'avez-vous pensé de Billy ?

Petit ami et Compagnie 1 - Opération Alexander (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant