Prologue

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Le 26 novembre

Parfois, quand on arrive à un certain tournant de notre vie, des questions existentielles éclosent dans notre esprit. Si pour certains, ces dernières peuvent être bénéfiques, pour ma part, elles sont plutôt du genre à me rendre morose.

Je sais bien que ce n'est pas le moment de déprimer, car je suis attendue pour une cérémonie de mariage ultra importante. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire !

Parce qu'honnêtement, qu'y a-t-il de pire que d'être invitée à un mariage, quand on a pratiquement trente ans, que l'on est célibataire et que toute la famille est axée sur les enfants ? Eh bien sans hésitation, je dirais « s'appeler Annabelle et être la petite amie de la malchance ! ».

Bon, je sais que la plupart des gens diraient que j'ai eu une existence assez tranquille. Et c'est vrai, je dois le reconnaître. Du moins vu sous un certain angle...

Mes parents n'ont pas divorcé et se sont toujours aimés comme au premier jour de leur rencontre, lors d'une fête estivale dans un village portuaire. Nous n'avons pas eu de graves problèmes financiers, bien que nous n'ayons jamais roulé sur l'or.

Je n'ai pas été une adolescente rebelle séchant les cours pour aller fumer un joint avec les cancres de l'école. Pas première de la classe pour autant, j'ai fait partie des assidus fournissant un travail convenable pour faire plaisir à leurs parents. Quant à ma petite sœur Roxanne, de treize ans ma cadette, elle n'est pas venue au monde avec un handicap contrairement à notre ancienne petite voisine, née sourde.

Seulement voilà, malgré une certaine banalité concernant mes événements passés, il s'avère que je possède depuis ma plus tendre enfance un talent pour me mettre dans des situations complètement loufoques. En fait, j'ai pris pleinement conscience de cette capacité hors norme à l'école élémentaire. Étrangement, je me souviens très bien de ce jour-là...

J'étais en premier grade et alors que je jouais à trappe-trappe avec mes amis dans la cour de récréation, j'ai foncé dans la poutre en bois de l'aire de jeu (il faut dire que je courrais en regardant derrière, ce qui n'est absolument pas recommandé). Le coup a été violent. Si violent d'ailleurs que j'ai fait tomber deux dents de devant qui refusaient de se décrocher depuis quelques jours. Enfin, pour être tout à fait honnête, j'en ai fait tomber une dans le sable. Et la deuxième, je l'ai avalée par inadvertance.

Ma maîtresse a été alertée par le hurlement que j'ai poussé et a aussitôt accouru vers moi. Mes camarades de classe étaient horrifiés et criaient que j'étais en train de mourir parce que ma bouche saignait. Pour ma part, je pleurais. Parce que j'avais mal. Mais surtout car je venais de voir que j'avais écrasé une coccinelle sur le poteau.

Gamine déjà, j'adorais les animaux.

Parce que je n'arrivais pas à parler sans revoir l'image du malheureux petit insecte sur la poutre, deux autres enseignants sont venus en aide à mon professeur. Mes pleurs ont attiré le reste des enfants qui se sont aussitôt réunis autour de moi. J'étais l'animation de la cour et bien vite, ça a été difficile de retenir les curieux qui voulaient me toucher pour s'assurer que je n'étais pas devenue un zombie.

Au final, j'ai dû être transportée par le seul maître de l'école élémentaire. Ce dernier a involontairement remonté ma jupe en m'attrapant. Et c'est ainsi que l'ensemble des élèves a eu une vue imprenable sur ma culotte remplie de nounours et de biberons, plus une de mes fesses puisque mon dessous n'était plus vraiment en place.

Bien sûr, cet événement est resté gravé dans les mémoires et on m'a même donné le surnom de miss culotte de bébé. Ce dernier m'a suivie jusqu'au sixième grade, après quoi les gens sont passés à autre chose car c'était le début des gros potins du style « Apparemment, Allison a embrassé Jordan sous le préau ! ».

Est-ce que j'ai un deuxième talent ? Mais tout à fait ! Oui je suis gâtée, je le sais, puisque j'ai le chic pour sortir les phrases qu'il ne faut pas, au moment qu'il ne faut pas.

Mes amis disent que je parle sans filtre. Pour ma part, je dirais plutôt que je sors des âneries et que mon cerveau, long à la détente, ne se met en route pour évaluer la signification de mes mots qu'une fois que ces derniers ont franchi mes lèvres. Pour beaucoup, les deux interprétations paraîtront semblables, mais pas pour moi. Parce que la première me fait passer pour une femme dont l'honnêteté est un peu plus poussée qu'à la moyenne alors qu'en vérité, si on devait vraiment me résumer, je dirais plutôt que je suis une calamité.

D'après les dires, c'est amusant d'avoir une amie comme moi. C'est vrai que l'on ne s'ennuie pas. Puis on ne peut pas déprimer à mes côtés car j'ai remarqué que citer mes expériences rocambolesques remontait le moral aux gens. En effet, les personnes arrivent toujours à la même conclusion : leur vie n'est pas pire que la mienne. Peut-être que côté « drama », la leur est plus chargée que la mienne, mais question scènes inédites et improbables, je les bats tous à plate couture.

Alors c'est vrai que je ne me suis pas découverte descendante de la reine d'Angleterre. Pas plus que j'ai grandi dans une mafia ou que j'ai un QI de 130. Seulement, quand on a bientôt vingt-neuf ans et que l'on est aussi adroit qu'un enfant qui apprend à tenir une cuillère, ce n'est tout de même pas facile à vivre. Puis nous n'allons pas nous mentir, notre estime de soi en prend un coup.

Il m'arrive parfois de me demander si ce n'est pas à cause de cela que je n'ai jamais réussi à garder un homme à mes côtés. Parfois même, lorsque je suis en période déprime-glaces-séries, je me dis que je resterai célibataire toute ma vie et que je passerai mes vieux jours dans mon canapé avec pour seule compagnie un des descendants de Happy, mon adorable chien Welsh Corgi à la robe de feu.

Maladroite, célibataire endurcie, pas spécialement un canon de beauté, je parle à mon animal comme s'il s'agissait d'un humain et je me donne corps et âme pour mon travail de sage-femme à l'hôpital d'Ottawa. Autrement dit, je ne suis pas vraiment un bon parti et cela explique pourquoi contrairement aux personnes de mon entourage, je suis toujours seule et sans enfant.

Voilà ce que je vais entendre tout aujourd'hui de la part de mes proches. Pourtant, je sais que je dois me rendre à ce mariage car ce n'est pas tous les jours que notre cousin se marie. Puis de toute façon, je suis le témoin, alors je n'ai pas vraiment le choix.

C'est après avoir pris une grande inspiration que j'arrête de regarder mon reflet dans la glace et quitte la salle de bains pour descendre au rez-de-chaussée. Je devrais me contenter de mon visage un peu rond, de mes yeux gris que je n'arrive jamais à maquiller correctement, de mes cheveux bouclés qui jouent sans cesse aux rebelles et de mon corps que j'ai longtemps haï durant mon adolescence, car je suis déjà à la bourre. Pour ne pas changer !

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NOTE AUTEUR

Ça y est, nous venons de faire la connaissance de notre protagoniste et narratrice de l'histoire. Quels sont vos avis la concernant ?

Petit ami et Compagnie 1 - Opération Alexander (Terminée)Where stories live. Discover now