Le portail des mondes

4

— Je peux savoir ce que tu fais ?

Alex déglutit. La voix de sa mère retentit un instant dans sa tête et le figea. Alors qu'il tenait son arc en main, elle venait d'entrer dans sa chambre sans un bruit. La panique accéléra les battements de son cœur, il ignorait que penser de sa découverte, mais un stress intense le gagna. Qui était réellement sa mère ? Qu'allait-il lui arriver ?

— Je...

Il se retourna lentement, il n'osait même pas croiser son regard. Sa mère dissimulait ses émotions derrière un visage fermé. Impossible de dire si elle était énervée ou non et cela l'angoissait. L'heure de vérité approchait alors.

— Oh Glen, mais qu'as-tu fait ?

Sa mère ferma les yeux et soupira. À présent, Alex allait pouvoir l'interroger sur Glen. Sur ce mystérieux inconnu à l'origine de tout ça.

— Qui est Glen ?

Cette question déstabilisa sa mère qui écarquilla les yeux et resta figée sur place. Elle fixa Alex, bouche bée comme s'il venait de percer un secret enfoui.

— Tu... Tu entends mes pensées ? s'étonna-t-elle.

— Oui ! s'affola Alex. Qui est Glen ? Et qu'est-ce qu'il m'a fait ?

Il serrait l'arc si fort dans ses mains que ses phalanges blanchirent. Alex ne cessait de trembler et les larmes lui montaient aux yeux, ne pas sombrer dans la panique s'avérait compliqué. Depuis des heures ce don le terrorisait, il n'en voulait pas. Il voulait être normal.

— Calme-toi, souffla sa mère.

— Comment veux-tu que je me calme ? s'écria-t-il.

— Alex, j'ai beaucoup de choses à t'avouer...

Sa mère souffla longuement. Mais avant même qu'elle ne parle, la porte d'entrée s'ouvrit brusquement.

— Katrina Stark ! appela une voix grave.

Au visage de sa mère, Alex sentit son cœur lâcher. La personne qui venait d'entrer chez eux n'avait rien d'amical. Katrina grinça des dents, la peur se lut sur son visage, elle lança un regard à Alex. Elle s'inquiétait davantage pour lui que pour elle.

— Fais le moins de bruit possible et écoute-moi ! lança-t-elle avant de s'emparer de son arc.

En un éclair, elle enfila la cape et son carquois. Alex découvrit alors une nouvelle personnalité de sa mère : la guerrière. Si Alex tremblait, sa mère gardait son calme, elle savait ce qu'elle faisait. Les marches grincèrent. Alex sursauta. Il était là, il arrivait : en un regard, sa mère arma son arc.

— Ne panique pas, d'accord ?

Alex ne comprenait rien à ce qu'il se passait. Il était trop terrifié pour poser la moindre question, la situation s'aggravait et son monde changeait.

— Cet homme est très dangereux.

Katrina lui passa le médaillon autour du cou et le poussa vers le placard. Elle gardait son calme, mais en vérité, elle paniquait. Elle n'avait pas utilisé son arc depuis longtemps, trop longtemps même.

— Cache-toi dans le placard, je fais vite. Quoi qu'il arrive, n'ouvre pas. Ce médaillon appartient à Jon Rainy, rappelle-toi bien de ce nom, il t'aidera s'il m'arrive quelque chose.

— Est-ce que... c'est mon père ?

D'innombrables questions lui passèrent par la tête, mais la seule qu'il parvint à poser était celle-ci.

— Non, lui répondit-elle avant de refermer les portes.

Au même instant, de gigantesques flammes ravagèrent la porte de la chambre. Alex écarquilla les yeux. La chaleur intense lui coupa la respiration, la fumée âcre empoigna sa gorge.

— Comme on se retrouve, Katrina !

Alex ouvrit légèrement la porte, juste assez pour apercevoir des ronces jaillirent du sol. Le pyromane bondit en arrière, les plantes étouffèrent l'incendie puis engloutirent la maison. Alex n'y comprenait plus rien. La fumée l'étouffait, l'aveuglait, mais ce qu'il vit n'était pas le fruit de son imagination. Sa mère utilisait de la magie. Et ce feu, il provenait sans doute d'un pouvoir lui aussi.

— Glen ? s'étonna Katrina.

Glen apparut alors dans son champ de vision et contre toute attente, il n'était pas humain. D'environ un mètre, cet être ressemblait aux farfadets des histoires de sa mère avec son menton aussi allongé que ses oreilles et sa peau verte. Bien que d'aspect terrifiant avec ses yeux en losange et ses dents en scie, Glen aida tout de suite Alex.

— Emmène Alex à Siltaria ! ordonna sa mère.

Siltaria. Ce nom ne lui était pas inconnu. Soudain, une explosion retentit dans tout l'étage. Les cris se mêlèrent aux flammes qui repoussèrent les plantes. Alex, dans un hurlement d'effroi, passa à travers le sol et retomba lourdement sur le sol carrelé. À ses côtés, Glen toussotait ; il venait de traverser la table de la cuisine. Ses yeux effarés se portèrent sur les immenses flammes qui vinrent à bout des escaliers, malgré la chaleur insoutenable il parvint à hurler. Aussitôt, sa mère bondit et décocha trois flèches sur l'ennemi. L'homme cria avant de lancer une boule de feu qu'elle esquiva.

La peur tétanisait Alex. Ses yeux larmoyaient et l'épaisse fumée n'y était pour rien. Tout autour de lui, une tempête de flammes dévorait la maison.

— Lève-toi gamin, lança Glen dans une toux grasse.

Alex se redressa, mais sous la panique, ses jambes lâchèrent et il s'écroula au sol. Sa mère se battait avec une rage qu'il ne lui connaissait pas. Il ne lui restait plus beaucoup de flèches et toutes partaient en fumée. Sauf une. Une qui pénétra l'épaule du pyromane lui arrachant un cri. Katrina lui sauta alors dessus et enchaina les coups de poing à une vitesse qui épaterait le plus grand des boxeurs. Ses ronces se propagèrent alors et attrapèrent l'assaillant. Même avec cette fumée, Alex ne perdit pas un instant de ce combat.

Quand sa mère revint vers eux à la hâte, son cœur se serra. Les flammes l'avaient eue, de nombreuses plaies saignaient sur ses bras et son visage. Par chance elle tenait le coup, mais pour combien de temps encore ?

— Alex ! Glen va t'emmener en Siltaria et là-bas, tu chercheras Jon comme je te l'ai dit !

Alex serra le médaillon dans sa paume. Siltaria, ce royaume légendaire existait donc réellement. Terrorisé, il ne répondit pas, il resta paralysé, incapable de prononcer le moindre mot. Tout ceci semblait tellement irréel qu'il ne put s'empêcher de rire. Un autre monde, un farfadet, un combat magique, tout ceci était improbable. Sa mère ne s'était d'ailleurs jamais battue, il ne l'avait jamais vue violente.

Mais une chose qui le marqua également était les larmes qui perlaient le coin de ses yeux. Pour la première fois de sa vie, il la vit pleurer. Il sut alors que c'était peut-être la dernière fois qu'il la voyait.

— N'oublie rien des histoires que je t'ai racontées, ne parle jamais de moi à qui que ce soit et surtout, restes-en Siltaria quoiqu'il arrive.

Alex ne répondit pas. Son instinct de survie prit le dessus et malgré la douleur fulgurante qui perçait son dos, il se releva et aida Glen.

— On se reverra ! cria Katrina alors qu'un geyser de flammes dévora les plantes.

Elle brandit son arc et avec un courage inébranlable, décocha ses dernières flèches. L'homme en esquiva une et brûla les suivantes. Il bondit, mais les plantes le rattrapèrent et s'enroulèrent autour de ses membres. Cet homme vêtu d'un long manteau noir, Alex le reconnut, son visage resta gravé dans son esprit. Une mâchoire carrée entourée d'une fine barbe, des cheveux blonds hérissés et un regard froid. Il ne l'oublierait jamais, c'était son agresseur et à présent, il venait de s'en prendre à sa mère.

Le brasier rougeoyant ravageait leur maison. Le plancher de l'étage craquait et menaçait de s'effondrer à tout instant. Les murs crème disparaissaient sous le feu et une épaisse fumée piquante enveloppait la salle. Dans tout ce chaos, Katrina tendit la main et un orbe d'un bleu très clair apparut. Glen toussa avant d'attraper la main d'Alex. Une violente quinte de toux prit le jeune homme qui se força à avancer. La fumée l'aveuglait, il se laissa guider.

Alors qu'il traversa l'orbe, Alex entendit un cri. Sa mère hurla alors que le feu crépita davantage.