[2015] Chapitre II

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II — Mobilisation

Musique : "Libera me" d'Alonso Lobo ; image : Jeanne D'Arc priant dans l'église de Sèvres par Paul Hippolyte Flandrin, à Sèvres.

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 Le flot continu de touristes amarrés devant la cathédrale d'Orléans faisait depuis bien longtemps partie du paysage de la ville. En revanche, Jeanne ne pouvait s'empêcher de constater l'évolution de ces derniers au fil du temps. Loin de son époque originelle, où l'odeur pestilentielle n'avait rien à envier à celui des pots d'échappement, les parades organisées en son nom différaient grandement des plus récentes. Et bien qu'aujourd'hui peu de gens l'idolâtrassent encore, elle trouvait un certain charme à ces défilés festifs, malgré la ferveur du combat qui brillait de par son absence. Même si cette dimension belliqueuse avait progressivement disparu, et lui manquait un peu, cela ne faisait aucun doute, la Pucelle d'Orléans préférait les actuels hommages. D'ailleurs, elle n'oserait l'admettre, mais ce qui l'enjouait le plus étaient les futurs défilés. Elle puisait dans ces adorations, bien que de plus en plus superficielles, sa partie divine. Le lui enlever serait alors vraiment contraignant, d'autant plus qu'il lui restait tant de choses à accomplir.

Sa venue s'expliquait en partie par ces fameuses choses à réaliser. En effet, comme vous le savez, quelque chose se trame dans l'obscurité, et pour elle, l'heure de concrétiser ces projets approchait à grands pas.

La pucelle orléanaise franchit donc le seuil de la cathédrale, non sans jeter quelques regards méprisants à l'intention de ces personnes se croyant tout à fait légitimes en pénétrant dans un lieu religieux, non pas pour se recueillir, mais simplement pour dénaturer le but premier de cette institution divine. Elle fut aussitôt plongée dans une ambiance apaisante. Ainsi enveloppée dans une bulle de recueillement encouragée par le thème joué à l'orgue, elle s'appliquait à faire le moins de bruit possible pour ne pas perturber la quiétude du lieu, alors que tout autour d'elle, de bas murmures se propageaient impunément dans l'église. Elle rejoignit enfin les autres fidèles et pèlerins sur les bancs de la nef centrale sur lesquels elle s'installa.

[...]

Alors que l'ancienne guerrière regardait du coin de l'œil le prêtre traverser la nef, elle releva légèrement la tête qu'elle avait respectueusement inclinée, pour reporter son attention sur l'homme qui venait de la rejoindre.

A première vue, c'était bien une de ces personnes que l'on n'imaginait pas se rendre à la messe, car entre sa longue chevelure d'un châtain doré et sa veste en cuir, il ressemblait, en ces temps modernes, davantage à un adorateur de Satan qu'autre chose. Cependant, il restait un des hommes les plus dévoués à la cause que Jeanne connaissait.

« J'ai toujours eu du mal avec les croyances monothéistes, admit-il.

Le nouveau venu scrutait la pièce de son regard bleu. Son malaise se peignait sur son visage en une grimace sceptique.

—Pourquoi donc ? A tes yeux, le fait de côtoyer d'autres divinités rend ces croyances injustifiées ?

—Je crains qu'il n'y ai aucun rapport, je me suis toujours senti plus proche de mes parents que de leurs cousins éloignés, en admettant bien sûr qu'il y ait des liens de parenté entre les différents panthéons.

Le demi-dieu s'accorda une pause pour ne pas davantage attirer l'attention des touristes qui le fixaient avec curiosité. Il fallait impérativement qu'il apprenne à murmurer pour ne pas susciter de nouveau les œillades intriguées de la foule, mais s'aventurer sur cette pente glissante faisait naître à chaque fois un intérêt vigoureux pour rétablir la vérité sur certains points.

—Pour faire court, je t'ai fait venir pour savoir si tu me suivrais dans ma quête, murmura-t-il. J'ai déjà demandé de l'aide à nos frères et ceux, avec qui j'ai discuté, sont partants. Je prends le soin d'exclure les plus attachés à la vie humaine, ils ne feraient que nous ralentir, voire même nous empêcher d'avancer. C'est pourquoi je ne veux pas que la rumeur s'ébruite. Puis-je compter sur ton silence ?

—La rumeur court déjà.

—Je le sais, hélas.

—Avant que tu n'en dises plus, l'interrompit-elle, sache que je te suis sans hésitation et que, par conséquent, je serai silencieuse.

L'homme releva la tête, exposant aux yeux de tous son sourire satisfait.

—Bien ma chère sœur, il est enfin temps que j'accomplisse ce dernier travail, annonça-t-il en observant la statue d'un ange.

Un rictus carnassier étira les lèvres de Jeanne lorsque, intriguée par la contemplation de son frère, elle comprit le fond de sa pensée.

—L'adrénaline du combat me manque, allons déplumer ces parasites. »

AnasgallaWhere stories live. Discover now