Chapitre XXIV.1

3 1 0
                                    

 XXIV — URGENT : Besoin de paracétamol en grande quantité !


[...]

Les nombreux lampadaires, qui illuminaient les rues de la ville, traçaient dans le paysage une longue nuée colorée, toute en pointillée, comme la Voie Lactée. Le bruit incessant qui résonnait dans cette jungle bétonnée devenait aux oreilles des passants une sourde plainte à laquelle ils ne prêtaient guère plus attention. Ainsi plongée dans l'atmosphère lourde de cette ville, banc d'étoiles scintillantes qui se détachait de la toile sombre du ciel, les deux jeunes hommes se dirigeaient vers cette partie de la ville, désertée par les habitants, qui ressemblait plus encore à l'espace.

Le silence était le maître absolu de ce lieu. Il y avait bien deux ou trois bruits mécaniques qui se frayaient un chemin depuis le centre de la ville, quelques frottements dans des haies qui s'étendaient sans retenue aucune sur la chaussée ou encore près des poubelles pleines depuis des lustres, pour accompagner le battement du sol des deux intrus.

Arrivés devant le bâtiment occupé par des vagabonds et le faiseur de miracles, Damian entreprit l'ascension des marches menant au hall de l'immeuble. Cependant, le démon avait la certitude que l'homme ne se trouvait pas là. Son parfum n'imprégnait pas le lieu, ce sang sucré qui avait laissé une empreinte enchanteresse dans ses narines, brûlure que seul plus de feu apaiserait. Cette douce senteur n'irradiait pas du bâtiment, sa source était autre part. S'abandonnant à cette recherche, plaçant sa confiance dans son organe olfactif et son instinct, il perçut la présence de cette hypnotisante flagrance. Au Nord. Il pourrait s'en abreuver à volonté. Au Nord.

Il quitta son ami sans le prévenir, se dirigeant comme un automate vers ce parfum qui l'appelait. Or, Alek ne s'attarda pas sur ce qu'il ressentait réellement. Ce n'était pas le sang de l'individu qui avait laissé un fil pour que le démon se repérât dans ce labyrinthe urbain. S'il s'était posé la question, il aurait découvert qu'une chose plus attirante le tirait jusqu'à lui. Cette attraction aurait dû le rebuter, mais elle réveillait sa nature héritée de son père et bien qu'il ne maîtrisât pas ce sixième sens, il en usait sans comprendre les signaux qu'il recevait, ni comment les interpréter. Pourtant, cela ne l'effrayait pas, sa détermination seule suffisait à lui frayer un chemin dans cette ville. Restant aveugle aux malades qui crachaient leurs poumons sur les trottoirs qui, tantôt faisaient fuir ceux qui redoutaient une transmission de bactéries, tantôt monopolisaient l'attention de ces volontaires qui s'appliquaient à prendre soin d'eux, le démon continuait sa route imperturbable. Certains tendaient la main vers lui pour avoir un peu d'aide comme cette fillette qui l'implorait de secourir son grand-père qui gisait au sol, pris de convulsions. Sa terre s'étouffait sous le poids de la maladie, omniprésente, elle n'épargnait personne, intransigeante. Impossible de la fuir, la dissiper était tout aussi compliqué. Néanmoins, une minorité continuait d'espérer et de la combattre.

Il demeurait, bien sûr, un groupe de personnes qui ignorait la crise qui touchait leur peuple et poursuivait leur vie ennuyeuse à mourir, que la maladie devait elle-même fuir pour ne pas s'empêtrer dans ces existences génériques, tentant de profiter de leurs derniers instants malgré le peu d'amusement dont elle était faite. C'était exactement ce type d'individu qui s'agglutinait dans des bars comme celui dans lequel venait de pénétrer Alek.

L'odeur du sang ne parvenait pas à dominer celle du tabac et de l'alcool, mais sa source était bien là, quelque part dans cette salle peu éclairée et bondée. Les gens se tassaient dans chaque coin, se serraient autour des tables ou se figeaient sur place en plein milieu des passages, ne sachant où se mettre. Des cernes marquaient le visage de certains clients. Des toussotements étouffés et des reniflements bruyants accompagnaient les conversations.

AnasgallaWhere stories live. Discover now