Chapitre XI

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XI — Petit présent impromptu en pleine révision

[...]

La douce mélopée de la pagination, qui rappelait souvent aux élèves autant de mauvais souvenirs que de bons, enveloppait les deux étudiantes. Dianne, assise près de la table en dessous de la fenêtre, lisait ses cours de physique alors qu'Anna, allongée sur son lit, avait étendu ses jambes sur le mur. [...] Son cahier à ses côtés, les interventions de son chaperon improvisé ne l'incitaient pas pour autant à se mettre au travail.

  Elle en avait ouvert un, l'autre, celui des maths, ne bénéficiait pas de la même attention. Cela s'expliquait par le fait que l'organisation démoniaque l'avait passionnée. Elle s'était découvert un réel intérêt pour l'étude sociale des ethnies. Les démons vivaient dans une société auto-gérée, dans laquelle cinq grandes entreprises s'occupaient des grands rôles d'un état, comme l'éducation ou la justice, qu'elles finançaient grâce aux recettes de leurs autres activités marchandes. Chaque citoyens, en plus d'être logés gratuitement, ne possédaient pas d'horaires de travail fixes. Par ailleurs, ils n'étaient pas réellement obligés de travailler — tant que l'entreprise se portait bien avec les quelques employés en service — , néanmoins, ces heures d'activités ajoutaient un rémunération supplémentaire à leur revenu universel.

Anna avait aussi appris qu'Alek n'avait aucun statut politique chez lui. Il était juste le fils d'une des ambassadrices qui s'occupaient des affaires étrangères. Sa mère, fraîchement élue, serait remplacée dans trois ans grâce aux nominations de chacun des démons qui pouvaient user de leur égal pouvoir décisionnaire.

[...]

La porte s'ouvrit brusquement dans une salutation forte et enjouée puis l'individu à l'origine de tout ce boucan s'avachit sur le lit. Dianne, en se retournant, lança un regard sévère dans la direction de Damian qui refermait la porte dans le plus grand des silences, avant d'adresser une remarque acide à l'ami de ce dernier.

« Moh, tu m'en veux toujours ? Constata Alek. Sooorry, je serai plus sage à l'avenir. Sinon, joyeux anniv' toi ! Tenez, cadeau !

Un paquet rouge et plat, surmonté d'un ruban bleu, atterrit sur la table sous le regard sceptique de la jeune femme. L'adolescente, quant à elle, reçut très poliment son présent de la main du démon. Elle le remercia sans enthousiasme puis, toujours sans conviction, défit le papier rouge et froissé pour y découvrir...

Ah ouais putain, ouais quand même.

—Tu te fous de ma gueule ? Qu'est-ce tu veux qu'j'fasse de ton truc tout dégueux là ? S'indigna Anna.

Elle sortit le collier de nouilles sèches, du repas de la veille, de son emballage. Un morceau de ficelle, qui emprisonnait hier encore le rôti, maintenait à présent les pâtes pour former ce bijou de fortune. Puis, dans le but d'augmenter la valeur ajoutée de l'objet, du gruyère resté accroché colorait certaines coquillettes de jaune ou encore de rouge pour celles ayant trempé dans la sauce tomate.

—Sois en honorée, chez lui c'est un gage de grande amitié. Il m'a déjà fait ce coup-là, intervint Damian.

—C'est toi qui me l'as inspiré. T'es ma muse, le premier à qui j'ai fait ce fabuleux présent !

L'ange rejoignit les autres au centre de la pièce et s'adossa à la porte de la salle d'eau, en face du lit qui se trouvait à un peu plus d'un mètre.

—T'ouvres pas ton cadeau Dianne ? S'attrista Alek.

La jeune femme obéit à l'ordre implicite et se saisit de l'emballage. Rien qu'au toucher, la confiance ne se présentait pas. La texture molle lui faisait craindre le pire d'autant plus qu'elle avait sous les yeux un indice des goûts de l'offreur.

L'ouverture lui fit grincer des dents, elle était, certes, prête à faire des efforts, mais visiblement Damian avait tort, Alek ne voulait pas s'excuser ni même tisser des liens amicaux. La couche-culotte, qu'elle tenait dans ses mains, prouvait son insolence et bien évidemment son inimitié à son égard.

Avant qu'elle n'eût ouvert sa bouche pour lui asséner une remarquer désobligeante, l'objet se durcit, se mut et glissa entre ses doigts. La chaîne en platine reposait à terre ; un pendentif abstrait, mais néanmoins athlétique, était emprisonné par celle-ci.

Dianne, muette et incrédule, fixait l'homme. Ses yeux écarquillés gardaient leur stupeur même à travers ses lunettes à la monture mouchetée. Ses cheveux épais, d'un châtain sombre, ondulaient quelque peu autour de son visage à la peau couleur de sable. Ses pommettes avaient cette teinte rosée habituelle qui s'accordait au rose éclatant de ses petites lèvres, entr'ouvertes sous le coup de la surprise. L'objet fut ramassé par ses mains fines aux doigts longilignes qui suivaient une ligne incurvée, quand elle tendait ses mains, et qui se terminaient sur des ongles gondolés.

—Je suis désolé, j'ai un humour, mmh... de merde. Puis Damian te l'a promis alors, je vais vouer une haine éternelle à la vampiresse. Tu acceptes mes excuses du coup ? S'enquit Alek.

—Euh... merci. Puis, 'fin, je veux pas passer pour une fille 'facile' ou une écervelée en changeant d'avis avec un cadeau, mais, ça va, je ne t'en veux pas.

Elle s'en voulait déjà, mais elle avait de nouveau cédé à l'attendrissement. Elle qui se laissait à l'accoutumée facilement persuader, même lorsqu'elle était furieuse, constatait avec effroi que des gens touchants l'entouraient. Heureusement qu'elle les trouvait sympathiques.

—Mais non, tu passes pas pour une simplette, mais plus pour une personne réfléchie, sage et intelligente, et...

—Moi aussi je veux quelque chose d'autre, exigea Anna en attrapant le bras du démon.

Son regard de chat potté et son sourire, démesurément grand, d'enfant de trois ans accompagnaient évidemment sa demande.

—Oh mais t'as un tatouage ! C'est quoi ? Ajouta-t-elle après sa découverte, oubliant sa requête initiale. Faudra aussi que tu m'apprennes à utiliser la magie, tu fais ça tellement facilement !

Le démon hocha la tête en souriant puis retroussa davantage la manche de sa chemise à carreaux blancs. Le dessin circulaire ancré dans sa chaire fut dévoilé à leurs yeux. Son ami découvrit ensuite son avant-bras où reposait une fusée assez simpliste, mais mignonne.

—On cherchait un truc sympa' à faire à deux, puis j'ai trouvé des idées sur Internet. Moi au départ je voulais faire la lune, mais il m'a dit de me faire tatouer Saturne à la place. Mais c'est pas logique ! Est-ce que les humains ont envoyé une fusée sur Saturne : non ! Alors que sur la lune oui. Vraiment, j'ai pas compris, se plaint-il, incrédule. En plus, comme je ressemble à un asiat', on m'a pris pour un yakusa au Japon. Quelle vie de merde.

—Un démon, si innocent, qui l'eût cru ? [...] Conclut Damian. Bon, on va y aller. »

Les deux hommes se dirigèrent vers la sortie, mais Alek ne put partir sans conseiller à Anna de travailler, ce qui la fit grogner pour sûr.

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