Chapitre XIII.2

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XIII — L'homme habité dans la ville inhospitalière

Musique : "Keep the streets empty for me" par Fever Ray.
Image : libre de droit, par Free-Photos, Pixibay.

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L'épaule appuyée contre le lampadaire, l'homme observait passivement, à travers le rideau opaque de sa respiration, les étoiles dont une, tout particulièrement, colorait le fond sombre du ciel d'un bleu éclatant. Tout le poids de son corps reposait sur le pilier de lumière, son regard dans le vide ainsi que son geste machinal de la main prolongeait simplement son état d'abandon.

Il ramena une fois de plus le cylindre blanc à sa bouche, embrassa cette femme éphémère, qui promettait bien-être et oubli pour cacher la toxicité de son attraction, inspira son parfum, puis, lorsqu'elle finit de caresser les poumons du jeune homme de ses griffes peintes de rose, il la rejeta. L'âme de la femme s'éleva doucement vers le ciel, avant de se dissiper, et celui resté sur terre s'imaginait, lui aussi, s'évanouir dans le souffle du vent. Il voyait son esprit sortir de ses lèvres et les bourrasques de la terre l'expulser de son sein.

Mais bientôt, la femme usée fut délaissée. Il la laissa glisser d'entre ses doigts fins. Elle rencontra le bitume puis reçut le dernier coup. L'homme l'écrasa puis la fit disparaître pour combler une fissure dans une des façades des bâtiments proches autant que le lui permettait l'objet.

Puis l'homme se détacha du lampadaire. Tête baissée, son regard balayait les alentours. La rue, seulement éclairée par les néons des enseignes des différents commerces, connaissait un flux de passant réduit mais ceux qui s'aventuraient là savaient exactement ce qu'ils recherchaient.

Les mains dans les poches, il se rapprocha d'un groupe de fétauds qui grelottaient dans le froid, jouant les mannequins de bois pour les beaux yeux de clients rustres et insultants. Pas besoin de chercher une explication alambiquée, le fameux D figurait sur leurs avant-bras, suivi d'une combinaison de chiffres et de lettres. C'était ainsi que cette organisation tenait les comptes : « D-Ar07.12.g n'a rapporté qu'une centaine de pièces : médiocre. Au suivant ! »

Ils se fichaient de la provenance. Prisonnier de guerre ? Don d'une famille endettée ? Sûrement, les fées s'abaissaient souvent à ce genre d'abominations. Ce qui étaient sûr, excepté pour les fonctions élevées, bien protégées et non marquées, personne n'entrait dans l'engrenage par envie ou vocation. Esclaves d'un maître décédé ; ancien sans-abri ; orphelin ; acquisition lors d'une vente ; simple chantage... Tant de façons d'y entrer, si peu d'en sortir...

Il asservissait dans l'ombre, maintenait sa terreur et on n'osait l'attaquer. Existait-il réellement ? Si discret et silencieux bien qu'omniprésent, vous pouviez vous réveiller un matin en vous demandant si tout cela n'avait été qu'un rêve. Si le fer chauffé à blanc avait bien un jour embrassé votre peau pour apposer sa délicate promesse de souffrance le long de votre poignet. Ceux qui retournaient à la vie civile en devenaient parfois fous. Est-ce que ce qu'ils avaient subi n'avait été que pure invention ? L'issue était radicale. Au bout du compte, sans réponse, le D les avait finalement anéantis.

Il arriva enfin devant les fétauds ou plutôt les ondins, comme le renseignèrent leurs peaux translucides qui laissaient apparents leurs organes internes. Les naïades, ou aussi ondine d'où le dérivé masculin, réputées pour leur physique atypique qui leur conférait un aspect de poupée en porcelaine, avait dû essuyer les rudes conséquences de la crise de 99. L'incapacité de tout être à modifier la matière avait entraîné de nombreuses catastrophes dont la grande inondation des cités nymphes lorsque leurs barrages 'aériens' avaient cédé. Certes, certaines nymphes étaient des créatures aquatiques, néanmoins, elles n'étaient pas des sirènes pour autant et passé un certain délais, l'immersion prolongée pouvait être fatale. Cependant, dans ce cas, le problème n'avait pas été les pertes féeriques, mais bien les dégâts matériels. Depuis, les familles endettées n'hésitaient pas à vendre leurs enfants fétauds pour boucler les fins de mois et amortir les dépenses des réparations.

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