Chapitre XXIV.2

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 XXIV — URGENT : Besoin de paracétamol en grande quantité !

[...]

Ces fameux souterrains étaient en réalité en long tunnel qui traversait la ville de part en part. On avait enfouis la route pour qu'aucun véhicule, à l'exception des tramways et bus, n'encombre les rues. Hormis la route, plusieurs passages menaient aux différents coins de la ville, mais seule une ligne droite et goudronnée autorisait la circulation. De part et d'autre de cette route, des cases sombres servaient d'emplacement permettant de garer les voitures. Cependant, il y en avait très peu, ce moyen de transport étant encore très marginalisé sur cette terre. Par ailleurs, le fait qu'aucun de ces engins ne fussent fabriqués ici montrait bien que peu de gens trouvaient une utilité à ces fameuses voitures terriennes. Puis, les prix exorbitants d'entretien et leur lenteur ne jouaient pas en faveur d'une potentielle démocratisation du produit.

Le barman les attendait devant une voiture noire, resplendissante de propreté et sans rayure. C'est dans ces moments que l'on se rend compte d'à quel point leurs aptitudes peuvent être utilisées à des fins ridiculement égoïstes.

A première vue, ce n'était qu'une simple audi A5 coupée noire, tassée, sans lignes grossières, sa silhouette ne faisant que suivre l'air qu'elle fendait sur la route et pour se prolonger élégamment. Néanmoins, son propriétaire l'avait modifiée pour ajouter un moteur hybride.

Damian démarra la voiture de l'homme entre le vert et le gris, avachi sur la place du milieu de sa banquette arrière dont le corps moite était seulement retenu par la fine ceinture, comme pour retenir le souffle de vie emprisonné dans ces chaires débiles aussi longtemps que son ultime mission ne fût accomplie.

Le moteur ronronna à peine, fidèle à ce côté semi-électrique, puis l'ange vampirique entama une marche arrière avant de parcourir la longue route droite faiblement éclairée à intervalle irrégulier par des néons clignotants. Ce matériel défaillant qui concernait qu'une minorité, ne figurait visiblement pas sur la liste des priorités de la ville. D'un autre côté, les phares des voitures palliaient le manque de lumière, cependant, les souterrains restaient un lieu de forte délinquance, un peu plus d'attention ne pouvait être un investissement vain.

Le véhicule sortit enfin de terre pour fendre l'air pestilentiel du devant de sa carrosserie. Les lumières de la ville se reflétaient sur la vitre arrière jusqu'à ce qu'ils fussent trop loin. A présent entourés d'obscurité, les phares permettaient de voir où ils allaient, mais impossible d'apercevoir ce qu'il y avait derrière.

Faire marche arrière était devenu possible.

[...]

Les arbres bordaient la route, mais malgré les phares de la voiture qui redonnaient un peu de couleur et chassaient les ombres de la nuit, la végétation passait inaperçue. Elle se teintait de tant d'obscurité que même éclairée, les ténèbres la protégeaient de cette lumière divine. Les plantes se mouraient, les feuilles se recouvraient du plumage des corbeaux. Oiseaux à l'accoutumée attentifs aux moindres signes de trépas qui, pour une fois, désertaient les bords du Styx. La mort les épiait eux aussi, et pour la première fois, ils la fuyaient.

La lointaine lune, elle-même, privait ce fleuve sur lequel naviguaient les trois jeunes hommes de ses rayons salvateurs. Périssant, elle s'éloignait pour tenter d'échapper à l'haleine mortuaire qui s'étendait jusqu'à elle. Cette brise pestilentielle lui soufflait le message de sa propriétaire : elle serait la prochaine. Alors elle fuyait. Et pour la première fois, ce n'était pas ce morceau de caillou en décomposition qui se déplaçait, mais les planètes alentours. La lune, ce mince croissant presque absent, disparaissait du ciel. Son corps se gangrenait. Trop tard.

AnasgallaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant