Chapitre XXVII

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XXVII — Post-mortem

Musique : "Breathe" par Fleurie.

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La forêt solide, selon la traduction, impressionnait de par son caractère démesuré. De grands arbres, innombrables et rapprochés, formaient un bloc massif et impénétrable. En revanche, dans un souci de libre circulation, les résidentes avaient élaboré un stratagème pour venir à bout de cet obstacle. Pour cela, dans l'écorce des premiers arbres, un escalier en colimaçon avait été creusé pour mener à la cime des arbres. Au sommet de ceux-là, les feuillages denses et resserrés pavaient naturellement ses vertes hauteurs. La robustesse du terrain s'expliquait par l'alliance de feuilles en jade et d'autres végétales. En menant les premières explorations de ce lieu, les fées avaient par la même occasion découvert une protubérance au centre de cet océan de verdure. Par la suite, séduites par cette tour improvisée, elles l'avaient aménagée pour en faire un lieu funéraire. En effet, ce peuple pratiquait l'enterrement céleste, cérémonie funéraire qui consiste à déposer les corps des défuntes sur un lieu en hauteur ou un terrain vaste comme une colline, considérant qu'une fois que la mort arrivait à sa porte, la défunte devait servir à la vie. Dans ce cas, pour nourrir les oiseaux. Leur folie mortuaire ne s'arrêtait pas-là, car juste avant de ne faire qu'un avec le règne animal, on offrait une dernière intimité plaisante à la fée. Cette pratique remontait à des temps anciens où les fées semaient le vice, la dépravation et la famine partout sur leur chemin. C'est pas pour rien qu'en procréant avec les Diables cela ait donné les sirènes — pauvres tritons, c'est de là que vient leur mise à l'écart ; les fétauds (connus en Indonésie sous le nom de orang-minyak) avait, d'ailleurs, mauvaise réputation. En effet, dans des temps anciens, les fées venaient déshonorer les jeunes défunts ou ceux ayant fait vœu de chasteté. Ouais, des emmerdeuses.

[...]

Le convoi funéraire emprunta donc les marches creusées à même le bois. De part et d'autre, de nombreuses fleurs avaient élu domicile, contrastant de fait avec la sobriété de la marche, très sombre et fermée. Les chevaux, comme conscients de la situation, ne hennissaient pas, les seuls sons qu'ils produisaient n'étant autres que le bruit sourd de leurs sabots et le tintement de l'armature métallique de leurs harnais.

Les fées avançaient, tête baissée, dans ce décor coloré par la lumière d'une étoile rosée, plutôt proche. Des rayons d'une aube d'un nouveau genre.

[...]

La tour s'élevait face à l'astre rose et au-dessus de cette mer de verdure. Majestueuse, faite de jade, le convoi s'engouffra à l'intérieur. [...] En entrant, elles montèrent de nouveau des escaliers en colimaçon pour déboucher sur le toit de l'édifice. Là-haut, une cour arrondie, tapissée de pelouse, accueillait encore quelques restes féeriques.

[...]

Le corps de Vollior fut extrait de sa boîte puis disposé au centre d'un tapis de fleurs blanches. Dans une robe végétale, l'ancienne prêtresse reposait les bras le long du corps, légèrement décollés de celui-ci, les paumes vers le ciel. Ses longs cheveux s'étendaient tout autour de son corps rachitique que sa pâleur mortuaire accentuait. Des points de suture barraient son épaule et descendaient le long de sa poitrine, personne n'avait voulu dissimuler aux yeux des quelques privilégiées, présentes pour se recueillir, la cause du décès. En effet, ce n'était nullement la peste qui l'avait emportée.

[...]

Une fois la prière terminée, les soldates comme une seule fée, s'empressèrent de quitter le lieu avec la grâce des mouvements chorégraphiés de la procédure. Il ne restait plus que Lionnor et son frère, ainsi que la famille proche — la mère, la tante, la grand-mère, la nièce, la cousine, la marraine, etc.

[...]

A la nuit tombée, alors que chacune avait déserté le lieu, les vautours s'invitèrent à la partie et fendirent les cieux pour déchiqueter l'enveloppe de la défunte. Leurs becs sombres et recourbés, comme la faucille qui fend le blé, perforaient la chair. En repartant, se propulsant dans les airs à l'aide de leurs grandes ailes, la viande s'étirait suivant la trajectoire de l'animal non sans opposer une certaine résistance, ainsi distendue, elle finissait par céder dans un bruit élastique. Sous les impulsions des oiseaux, le cadavre ballotté de droite à gauche et de gauche à droite piétinait la couche florale de la défunte. Lorsque la chair commença à se raréfier, les charognards, trop puissants et étant plusieurs sur le même morceau, reprirent leur vol en emportant la fée avec eux. Ils se disputèrent le corps pour finalement repartir avec leur bouchée et laisser retomber la silhouette, désarticulée et grenat, qui s'agitait comme un fantoche animé au centre des cris des vautours.

Il ne resta bientôt plus qu'une structure squelettique carmin d'où s'échappait de longs cheveux collants et un globe oculaire. Les fleurs éparpillées, sur lesquelles perlaient des pâtés de sang rigides mais malléables, se mêlaient à des restes de boyaux.

Dans le calme nocturne, un froissement retentit. Cela venait du couloir circulaire qui encadrait la cour, mais toutefois séparée de celle-ci par une rambarde de jade, il ne se sentit pas en danger. Örelse déploya alors ses ailes membraneuses de fée. C'était la seconde fois que l'on assassinait une de ses sœurs. Qui donc, se questionnait-il, pouvait contrarier les plans de sa famille ?

[...]

L'air humide de la pièce recouvrait les murs de pierres d'un film luisant et moite. Un rai lumineux, presque imperceptible, s'engouffrait dans la salle circulaire par la fente, en hauteur, laissée par la petite porte en bois qui menait dans la cour intérieure de la Tour César.

Sur un des bancs très rudimentaires du lieu, reposait une masse informe emmitouflée dans une longue redingote moutarde au tissu rêche. Une courte robe blanche ornée de symboles gracieux ainsi que des bas raffinées donnaient sur une paire de sandales toutes aussi blanches. De belles boucles tombaient sur le manteau et camouflaient un visage assoupi qui reflétait une paix intérieure. Son souffle régulier agitait les couches de tissu. Une blague de mauvais goût, on voulait qu'elle se souvienne de ce présent, ce sacrifice pour son insignifiante vie.

Soudain, le rythme régulier de la ventilation fut perturbé. Elle prit une grande inspiration comme si elle se rendait enfin compte qu'elle vivait. Elle venait de retrouver la surface en somme.

Dianne ouvrit les yeux sous le coup de la panique.

[...]

Elle se redressa, reconnut le lieu puis prit la fuite. Le fantôme sortit dans la nuit noire sans se demander une seule seconde pour quelles raisons toutes les portes s'ouvraient sur son passage. Sans se demander qui pouvait bien être son ange gardien. Ce bon samaritain qui la guidait vers ses parents et sa morne existence. Ce messie qui l'avait tirée d'entre les morts, l'au-delà, les Enfers, le Valalha, le Paradis, ou peu importe le nom du néant, pour la ramener dans le cercueil de ses jours tranquilles. La vie continuait, mais le voyage se terminait pour elle.

Terminus.

AnasgallaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant