Chapitre XVII.2

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XVII - Soif de puissance, en dehors des limites de la loi

Une fois empêtrée dans les ténèbres, une forte odeur alcoolisée s'empressa de resserrer l'étau d'obscurité et de peur. La senteur, qui se dégageait des centaines de bouteilles de liqueur, pour rendre la couverture toujours plus crédible, lui refilait une horrible migraine. De petits picotements assaillirent son nez ; l'odeur de l'alcool lui brûlait les voies nasales et la gorge. Elle pressa le pas jusqu'à une embouchure, au fond de la salle, d'où s'échappait une lueur orange qui dessinait avec grande peine les contours des structures qui entouraient la femme apeurée.

Deux vigiles la laissèrent rentrer lorsqu'elle leur présenta le dos de sa main. Anna s'engouffra dans la grande pièce creusée dans les falaises qui bordaient les docks, les séparant des grandes villas construites sur les pentes abruptes, un peu plus haut.

L'excitation du public l'immergea immédiatement dans le flot de leurs grands gestes de satisfaction et leurs cris de bêtes sauvages qui traduisaient l'amusement qui les habitaient. La novice se fraya un chemin entre ses fous dégoulinants de sueur, et plus très sobres, pour tenter d'avoir une meilleure vue sur ce qui provoquaient autant d'effusions de joie de leur part.

Certains démons grimpaient sur les parois pour se nicher dans les creux de la grotte et ainsi avoir une vue imprenable sur ce qui se passait au centre, en bas de la pièce bondée. De cette manière, ils ressemblaient étrangement à des gargouilles menaçantes.

Le plus surprenant restait, néanmoins, la diversité des peuples. Etrangement, le lieu ne se composait pas globalement de démons, ces derniers se détachaient donc des couleurs claires des anges et des elfes. Les fées, quant à elle, se distinguaient des autres par l'aura florale qui émanait de leurs corps luisants et les yeux des vampires ressortaient de la quasi-obscurité des gradins. Les humains ne manquaient pas à l'appel, complétant ce tableau caractéristique de la soif de violence de l'humanité.

Anna descendit les marches pour s'arrêter à un endroit duquel elle put assister au combat qui avait lieu dans un ring éclairé. Ses côtes la lançaient après un coup porté involontairement. A cela s'ajoutaient ses vêtements qui s'humidifiaient toujours un peu plus, autant à cause des gouttes de bière qu'elle avait reçues et qui commençaient à imbiber le tissu, qu'à cause de son organisme qui régulait sa température, recouvrant sa peau d'un film luisant qui se mêlait à ceux de ses voisins qui, en la percutant, s'épongeaient allègrement sur ses cheveux et sa tenue.

Oubliant momentanément la brutalité des êtres qui l'entouraient, elle se rabattit sur celle des deux hommes en contrebas. Le combat venait visiblement de débuter car les deux opposants ne portaient pas encore les traces d'une altercation récente. Le premier, détenant une peau noire et des cheveux volumineux qui entouraient son crâne d'une coupe arrondie, telle une protection, se tenait fièrement devant un autre homme beaucoup moins imposant, et dont le torse tout aussi découvert, ne laissait apparaître qu'une faible masse musculaire à l'inverse de celui qui le toisait. Le visage du plus maigre était envahi par la frayeur et de discrètes larmes roulaient sur ses joues laiteuses, accentuant sa candeur, mais personne ne vint lui porter son aide, le laissant là, enchaîné au grillage qui entourait le ring, et à la merci de son bourreau.

Le premier asséna une droite phénoménale au maigrichon qui ne retint pas le cri de douleur qui titillait ses lèvres. Sa mâchoire mal en point, le jeune à la peau translucide releva soudain un regard assassin sur celui qui venait de le frapper, comme si sa frayeur s'était mue en vengeance. Ses yeux parcoururent l'arène à la recherche d'une quelconque arme, mais elle n'était remplie que de cartons vides, de polystyrène et de déchets en tous genres ; de quoi modeler leur objet capable d'infliger souffrance et mort. Alors que la brute s'approchait encore de son frêle corps, il projeta sur celui-ci un liquide, comme n'importe quelle naïade aurait pu lancer, faisant disparaître quelques débris au sol. Le rire tonitruant du démon ne se fit pas attendre, mais il s'interrompit bien vite en voyant sa peau fumée au contact de l'acide. Son épiderme, pourtant réputé pour sa dureté, fondait et quelques cloques d'un brun plus foncé apparurent. Le fétaud s'empressa de répliquer d'un coup de poing ; peu convaincant, ses os se brisèrent un à un en percutant le visage de son opposant. Ce dernier ne se fit pas prier pour ajouter au cri de douleur de sa victime une ribambelle d'autre plus forts encore. La montagne de muscles le projeta ainsi contre la paroi avant de lâcher une avalanche de coups de pied dans l'abdomen.

Puis il s'arrêta, ce qui laissa à Anna le loisir de prêter attention aux paroles de la foule. Ils criaient en cœur un mot, qu'elle ne comprenait pas.

« Khoësli ».

Un frisson de plaisir parcourut l'assistance quand le démon se saisit d'un carton qui se transforma en une arme barbare : un marteau. A la vue de l'outil, Anna fronça les sourcils autant d'anxiété que par curiosité, une curiosité plutôt malsaine.

Ce fut alors que l'objet, qui renvoyait un reflet métallique menaçant, comme pour attirer l'attention sur la scène, heurta la mâchoire meurtrie de la naïade, la réduisant en miettes, avant de s'abattre sur son épaule qui se disloqua, ses côtes qui se brisèrent toutes sans exception et son dos qui se cambra, le tout non sans provoquer des cris gutturaux qui semblaient directement sortir des lèvres de ses plaies tant le visage ensanglanté du jeune homme répondait à présent aux critères esthétiques du cubisme. Autour, les craquements de son squelette se faisaient bien entendre malgré les sifflements et applaudissements des spectateurs qui se délectaient de cette vision macabre.

Le marteau disparut ensuite des mains de la brute pour réapparaître dans celles d'un autre homme, assis sur un siège, dans une loge au sommet de la grotte. Il frappa un socle en bois, comme au tribunal, pour mettre un terme au combat, puis lâcha l'outil pour le faire retomber dans un filet, accroché à la loge, qui pendait dangereuse au-dessus de certaines têtes qui recevaient quelquefois des gouttes d'hémoglobine sur le visage. Les démons et les vampires se regroupaient donc juste en dessous, dans l'espoir de pouvoir tendre leur langue pour en récupérer certaines. Pour le moment, ce n'était que le deuxième de la soirée, mais aux vues de la couleur bordeaux des cordes, beaucoup d'autres suivraient.

Il y avait aussi une vitre incrustée dans la pierre, à mi-hauteur, et qui se situait sous la loge. Une petite vingtaine de marteaux, tous plus beaux et élaborés les uns que les autres, brillait sous l'éclairage de la vitrine. Les meilleures réalisations avaient donc droit à une vie plus longue.

D'où se trouvait Anna, elle ne parvenait pas à discerner celui qui avait mis un terme au massacre du fétaud, mais elle se doutait que le maître du jeu les observait de là-haut.

Quand elle se remit de la ferveur du combat, qui l'avait tout de même emballé, ses pensées se tournèrent vers ce... demi traître de Loren ! Elle ne voyait pas comment s'adonner à des duels à mort l'aiderait à maîtriser et amplifier ses capacités, et ce, même si ces combats autorisaient l'utilisation de celles-ci pour faire apparaître un marteau ! Elle ne concevait pas non plus la manière dont elle acquerrait de la puissance. Peut-être une approche différente du meurtre, mais pas la force magique qu'elle recherchait. Il l'avait donc mené tout droit à son exécution et elle s'était livrée sans résister. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de sourire et d'observer minutieusement le corps méconnaissable et convulsant du malheureux. Le combat procurait une certaine satisfaction aux vainqueurs et un sentiment de supériorité, de contrôle, celui-là même qu'elle recherchait dans la maîtrise de la magie. L'image du démon, tout sourire au milieu de cette boucherie, créa une vocation qu'elle tut en premier lieu.

Alors qu'elle reculait pour repartir d'où elle venait, déçue de ne pas avoir trouvé chaussure à son pied, la voix rauque et animale du Maître retentit :

« Session des servi* : terminée. Prochaine session : nouvelles combattantes. Premier duel : femmes. Sont appelées dans l'arène : F1029 et Maryssa - F217. »

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[* : servus, i, m : esclave ; ici au nominatif pluriel]

Ca sent le roussi ?

AnasgallaWhere stories live. Discover now