Chapitre XIII.3

13 3 2
                                    

XIII — L'homme habité dans la ville inhospitalière

Musique : "We don't have to dance" par Andy Black.

.•°•°•°•°.

 [...]

Le squatteur franchit le seuil de la porte branlante. Il effectua quelques pas silencieux, son sac en plastique se balançant légèrement au rythme de sa marche, puis il tourna la tête vers l'agitation qui régnait dans le salon. Le reste de son corps conservait sa position initiale. Ce mouvement mécanique, couplé à son regard réprobateur, alerta Anna qui se figea aussitôt, vite imitée par les trois autres amis. Un silence pesant s'installa dans l'appartement, même les fétauds confinés dans la cuisine se taisaient.

Puis soudain, José haussa les épaules et s'exclama d'une voix moins rude que précédemment, et même presque aiguë :

« Pff... sérieux ? Vous auriez pu être plus rapide, les prendre et repartir après !

L'incompréhension de chaque individu présent dans l'appartement grandit. Le responsable de cet étonnement, en revanche, bifurqua dans la cuisine et sortit, de son sac de courses, quatre bouteilles que les fétauds lui avaient demandées.

—En fait, ça tombe bien. Au moins j'ai pas acheté ça pour rien, j'aime pas le lait, ajouta-t-il avant de s'asseoir devant la table du salon.

José souleva quelques documents et sacs remplis de diverses choses à la recherche d'un stylo opérationnel et d'un morceau de papier vierge.

—Je... commença Damian assis sur le sofa entre les deux filles.

Alek, quant à lui, reprenait sa méticuleuse fouille archéologique dans les quelques mètres carrés du bazar que représentait cet appartement.

—Je sais pourquoi t'es là.

Le maître des lieux souleva un ordinateur portable entr'ouvert.

—Et t'essayes de crack' mon mot de passe, reprit-il d'une voix grave avant de repartir dans les aiguës lorsque ses paroles se faisaient railleuses. T'as essayé Damian-Dot-Heile, je l'ai modifié avant ton arrivée.

Damian s'exécuta, son propre ordinateur reposait sur ses genoux et était connecté à celui de José. Un froncement de sourcils révéla sa surprise, son nom complet était bien le mot de passe. L'horreur le parcourut. Dans quoi avait-il atterri ? Peut-être était-ce une mauvaise idée de s'aventurer là tout compte fait.

—D'ailleurs, ça ne te fait pas peur de t'adonner à des activités presque illicites alors que ton papa est un... voire l'homme !, le plus influent de votre île paumée ?

—Ce que je fais n'a rien de mal. Je travaille juste sur quelque chose, répondit l'ange.

—Mouais, c'est sûr que cette politique de communication mise en place pour dire que le Deep Web : it's the Evil ! va aider les gens à voir ton travail d'un bon œil. 'Fin, fait c'que t'as à faire mec, je te soutiens !

Puis le squatteur finit par tirer précautionneusement un cahier positionné sous son ordinateur, lui-même relié par une dizaine de câbles à différentes rallonges. Il avait fait en sorte de détourner une petite partie de l'électricité distribuée dans le quartier voisin pour alimenter la ville fantôme et les quelques résidents et dissidents dans son genre. Des gens qui tentaient de fuir la justice, le D ou une autre organisation mafieuse de petite envergure ou une puissance divine.

Alek découvrit un tiroir qu'il s'empressa d'ouvrir. Il en parcourut le contenu. Une dizaine de passeports et de cartes d'identité attendaient à l'intérieur. Quentin Maillard, Loren Williams, Xavier David, Franka Wiedermman ou encore José Rodrigue Correia Mouchão, etc. Tous de différentes nationalités terriennes et même de lieux inconnus à Alek. Le démon, curieux, s'installa en face de l'homme qui griffonnait le papier. Cet homme pouvait-il être un dangeureux criminel alors qu'il venait tout juste de sauver des ondins retenus contre leur volonté ? Peut-être les destinait-il à un sort encore plus horrible ?

L'étudiant braqua ses yeux sur le téléphone de l'hôte qui s'illuminait tout juste. Il venait de recevoir un message d'une certaine El'.

Lo' ! comme tu me l'as demandé, je t'envoie...

—Comment on doit t'appeler ? S'intéressa-t-il.

Son interlocuteur releva la tête pour le jauger de son sempiternel air froid et détaché. Celui qui avait posé la question se montra alors fuyant, préférant détailler la paperasse qui tapissait la table ainsi que les plaquettes de médicaments et les verres qui diffusaient une odeur d'alcool qui se mêlait aux effluves de tabac. Il préférait cette vision à celle de ces yeux d'un marron incertain, peut-être ambre ou cerclés de bleu, et cette cicatrice comme en forme de soleil, mais ce genre de soleil dessiné par les enfants, ce cercle d'où partent plusieurs traits. Cette cicatrice reposait sur sa pommette gauche près, trop près, de son œil.

Une odeur d'alcool... mais aussi une autre plus subtile que percevait par degrés le visiteur impromptu se fit progressivement plus présente, insistante. Une flagrance timide qui eut vite fait de le submerger. Un parfum légèrement sucré qui rappelait des contrées inimaginées et des promesses d'oubli, pour masquer sans y parvenir cette nuance métallique. Alek releva la tête. Du sang. C'était du sang et il émanait de José. Il en était certain, il ne pouvait pas se tromper, pourtant, il ne voyait aucune blessure apparente.

—Appelle-moi comme tu veux.

Le démon fronça les sourcils et reporta son attention sur José même si le parfum qui émanait de lui continuait de le titiller. Il ne sut que répondre jusqu'à ce qu'il ne se souvînt de ce message.

—Loren ?

—Touché.

—Nous devons partir ! Vite ! Ordonna Damian coupant court aux conversations.

Il se leva brusquement et rangea précipitamment son ordinateur dans son sac à dos.

Il venait de faire une découverte qu'il souhait plus que tout effacer de sa mémoire. Un puissant dégoût lui retournait les entrailles. Damian avait vécu assez longtemps, mais il n'avait jamais été confronté d'aussi près à de pareilles ignominies. La réalité, même si nous en avons une vague idée, frappe plus fort lorsqu'elle nous fait face. Ce ne sont plus alors des légendes urbaines, mais une promesse de chaos, une société à feu et à sang mentalement, une apparence pacifiste engendrée par une ignorance totale. [...] L'ange comprenait à présent que l'Humanité n'avait pas de limites, tout simplement parce que l'argent n'en possédait pas. « Pecunia non olet. » Comme disait Vespasien.

—Euh, tu es sûr de toi ? On pourrait tenir compagnie au gars chez lequel on est entré sans permission, proposa Alek.

—Fait ce que tu veux, moi j'y vais ! J'attends en bas !

—Non, vous devriez y aller, mais avant assurez-moi que vous accompagnerez ces fétauds chez les vampires ou les démons. Ils seront en sécurité là-bas.

José déchira le morceau de feuille et le tendit à Alek.

—Prévenez-moi quand cela sera fait, puis donnez-leur mon num' si jamais ils ont besoin de quelque chose un jour. D'ailleurs, oubliez-moi après ça, je ne veux pas que vous me recontactiez, exigea José des trois amis restants.

Alek se saisit du morceau de papier puis le fourra dans sa poche.

—Ok, dommage...

—J'y pense, mais j'ai jamais eu de téléphone, je pourrais en avoir un ? S'émerveilla Anna.

Le squatteur attrapa une robe qui gisait sur le sol et qui servait visiblement à éponger l'eau en cas de fuite ou de tempête. Elle devint très vite, à son contact, un fin appareil noir.

—Réflexe !

L'adolescente sortit de son état de fascination pour intercepter le téléphone qui volait à travers la pièce.

—Allez, à jamais mauvaise troupe ! » Cingla mon José.

.•°•°•°•°.

Et vous ? Vous préférez Loren ou José (à prononcer à la portugaise, c'est-à-dire [Zè]) ? Sinon, de quelle manière vous l'aurez nommé ?

AnasgallaWhere stories live. Discover now