Chapitre XIX.2

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XIX — Par procuration

[...]

Son cœur battait grandement, en revanche ce n'était pas celui de ses souvenirs, mais bel et bien le sien, celui qui reposait dans sa poitrine, sur ce matelas miteux situé quelque part sur un port. Bien que l'agitation, qui la cueillait, ne fût pas appropriée, elle percevait cette invitation d'une manière différente. Pourtant, il n'y avait rien d'étrange à ce qu'un ami voulût la voir, alors pourquoi se faire du souci pour une telle chose dans ce cas ? Etait-ce le fait de n'avoir aucun contrôle sur sa vie qui l'effrayait tant ?

« Ouais, te bile pas meuf ! Il s'est rien passé de zarb' puis c'est pas ton style, je l'ai bien compris. Je dois avouer que j'ai longtemps accepté de prendre la place de certaines personnes pour les aider à prendre de grandes décisions ou pour sauter sur des opportunités qui leur échappaient à cause d'une timidité absurde, mais dans ton cas je ne sortirais pas des sentiers battus. Ca va ? T'es rassurée? »

Lorsqu'elle se reconcentra sur sa supposée journée, elle frappait à la porte. Alek vint simplement la lui ouvrir avant de repartir à l'intérieur, et ce, sans lui accorder la moindre oeillade. La jeune femme, troublée par ce manque effectif de considération, se contenta simplement d'entrer et de refermer la porte derrière elle. Elle se retrouva alors dans une petite chambre, très sombre, composée d'un lit à baldaquin, d'un fauteuil placé devant une cheminée et deux trois meubles. Les rideaux avaient été tirés, excepté à la fenêtre à laquelle le démon s'accoudait. La très faible luminosité du dehors lui suffit largement à s'orienter dans la pièce.

« Qui es-tu ? Demanda-t-il.

Anna se tendit, alors que dans la scène qu'elle revivait elle s'avançait simplement vers son ami.

—Sérieux ? Tu es sûr que ça va ?

—Ecoute, je sais pas ce qui se passe ! S'emporta-t-il, se retournant pour faire face à l'origine de tous ses maux, selon lui. Je me suis jamais senti aussi mal en présence d'une personne ! Et je suis encore plus mal qu'hier matin, alors que ça allait mieux aujourd'hui jusqu'à ce que je te voie ! Là, maintenant, je suis partagé entre l'idée soit de fuir, soit de vomir, soit de... de... je sais pas ce qui se passe, c'est la première fois que je me sens comme ça !

« Honnêtement, je le sens pas non plus ce gars : tu devrais faire gaffe. »

Une expression apeurée tordait son visage, ces yeux avaient pris cette forme particulière, habituellement noirs, ils étaient à présent fendus de rouge. Il tenait de grandes poignées de cheveux à pleines mains et des larmes roulaient sur ses joues.

—Y'a pas à avoir peur, je ne suis plus contagieux. Une bonne nuit de repos après la course et me voici comme neuf !

Ses yeux, exorbités par ce qui semblait être une colère irréfléchie, l'étaient en réalité à cause d'un mal-être profond. La maladie, qui le tenaillait depuis quelques jours, ne l'avait pas quitté, malgré un regain inespéré d'énergie dû à une miraculeuse potion que sa mère lui avait apportée. Il revenait donc au point de départ, ou au point de non-retour si cette petite toux s'avérait fatale.

—Hein ! Qui es-tu ? S'emporta-t-il en quittant le rebord de la fenêtre. Je peux le sentir : ne me mens pas !

Taniel lui servit la même réplique, exaspérant plus encore son interlocuteur qui se mit à tourner en rond, pris par quelques convulsions, autour de l'imposteur. Puis sans crier gare, il se jeta sur lui, les mains sur son cou, et le plaqua contre le mur d'en face.

—Menteur ! Menteur ! Arrête ton...

Une ombre s'arracha de l'intérieur du lit. Le démon s'approcha d'Alek, le dominant bien de deux têtes, mais aussi en largeur grâce à sa musculature développée. Il le prit par les épaules, pour l'éloigner en douceur de sa victime, avant de le conduire jusqu'au lit et de l'y faire allonger.

Le médiateur revint vers Taniel. Anna, quant à elle, observait la scène avec stupéfaction, son ami sombrait dans la folie.

—Excuse-le, je ne crois pas qu'il ait toute sa tête, confia-t-il à l'intrus qu'il raccompagna dans le couloir. »

Anna finit par se réveiller. Sa journée d'hier venait de se terminer, tout comme sa nuit.

[Les jours qui suivirent, Anna reçut les nouvelles de Taniel. Son ami était porté disparu et personne ne savait ce qu'il se passait. En réalité, il avait été rapatrié sur le continent démoniaque et, selon les informations de Thaélia, sa fièvre revenait et il délirait. Sa mère lui donnait de nouveau son remède-miracle, mais cela n'améliorait plus son état, comme s'il avait été immunisé contre ses effets. Anna, elle, continuait son entraînement, bien qu'elle commençât sérieusement à regretter le calme de sa vie. Faire du sport, se coucher pour rester éveillée, ce rythme l'épuisait plus qu'autre chose, et puis, elle ne progressait pas sur le plan de la magie. Elle se consolait, cependant, en approfondissant ses liens avec ses hôtes. Elle préférait d'ailleurs leur compagnie. Elle s'était à nouveau intégrée à un petit groupe dans lequel une chaleur familiale régnait, ce qui différait de son cercle d'amis à l'école. Pourtant, elle souhait tout de même les retrouver.]

Elle s'appliquait à pousser sur ses bras pour relever le haut de son corps avec peine. Toutefois, ce n'était pas ses douleurs musculaires qui la dérangeaient le plus, mais celle de ses genoux, enfoncés dans le sol de la pièce, en dehors des tatamis. A ses côtés, Pala effectuait, lui aussi, ses pompes, comme un grand, sur la pointe des pieds.

« Dit ! Qu'est-ce que tu sais des démons ? J'ai un ami très malade, tu crois qu'il va s'en sortir ?

L'ange fit rouler ses yeux vers elle, avant de souffler et de réfléchir un moment les yeux fermés.

—Qu'est-ce que je pourrai te dire ? Qu'ils sont résistants, qu'ils peuvent pas nous caser et que ton pote doit avoir des étoiles plein les yeux en voyant défiler autour de lui des infirmières et des aides-soignants très séduisants.

—Nan, mais plus sérieusement ? Exigea Anna.

Elle se tint en tailleur devant l'homme qui continuait ses exercices.

—Ok, commença-t-il en faisant en sorte de pouvoir respirer convenablement. Les démons ont été créés en mélangeant les gènes des Diables et d'autres peuples, contrairement à nous qui venons de la lumière, eux viennent du sang. Les amazones et les succubes descendent des humains, les lycanthropes et autres changelins des animaux, les harpies d'anges corrompus et bien d'autres. Les démons représentent en quelque sorte l'ivraie de l'humanité, mais ça reste des nuisibles tellement ils sont increvables ! Chacun des peuples démoniaques ont leur propre diable, qu'on nomme leader, et qui est choisi parmi les premières naissances. Donc, je pense pas que ce soit une grosse maladie. Puis si c'est en voyant Taniel qui a pété un plomb, ça va lui passer. La présence angélique fait beaucoup d'effets à certains au sang noble : ton pote doit vraiment être issu d'une putain de lignée !

Pala interrompit son mouvement en hauteur, essoufflé par sa tirade le rouge colorait son visage, mais rien n'ébranlait sa motivation. Il reprit donc le pompage voulant à tout prix prouver à sa disciple qu'il pouvait tenir ce mouvement très longtemps.

—Bon, je crois que tu as fait tes preuves, rit Anna. Je m'incline devant tant de puissance.

D'un geste de la main, elle le repoussa pour qu'il fléchît. Pala, déséquilibré, tomba sur le côté.

—Mais nan ! Vas-y ! J'étais presque à deux cents ! »

Un sourire joueur barra son visage, il décida donc de se jeter sur l'adolescente qui riait ouvertement de son coup bas. Lui aussi se permit de pousser quelques éclats de rire, quand, tel un traître, il pressa ses doigts mouvants sur les côtes flottantes de sa victime.

Remarquez : les guilis constituent une arme comme une autre, il faut bien savoir s'en servir !

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Mmh, Alek ne deviendrait-il pas un personnage plus important et dont il faudrait se méfier ? è_é

AnasgallaWhere stories live. Discover now